DOSSIER SPÉCIAL
Le côté sombre de la chirurgie esthétique






Des Québécois qui paient des milliers de dollars au privé pour une chirurgie esthétique voient leur rêve virer au cauchemar, et doivent parfois subir plusieurs opérations coûteuses pour réparer les dégâts.
«La chirurgie esthétique peut virer au cauchemar, avoue le Dr Joseph Bou-Merhi, chirurgien plasticien qui pratique au privé, à Verdun. Quand ça fait deux, trois, quatre fois que tu passes sous le bistouri, que ça ne fonctionne pas, ça devient drainant pour la poche, et pour le mental! C’est comme un cauchemar qui ne finit pas! »
Voilà des années que des médecins recommandent aux Québécois de ne pas aller à l’étranger pour la médecine esthétique, notamment parce que les normes médicales n’y sont pas aussi strictes, et que les risques opératoires peuvent être importants.
Or, même si les clients paient cher pour une chirurgie esthétique ici (souvent plus de 15 000 $), certains subissent des complications opératoires ou se retrouvent avec une chirurgie carrément ratée, a constaté Le Journal en suivant des groupes de discussion sur les réseaux sociaux.
Exemples de problèmes: des seins asymétriques ou implants tombants, cicatrices proéminentes, douleur ou perte de sensibilité. Dans les pires cas, des patients développent des infections graves et doivent être hospitalisés. L’injection de produits de comblement peut aussi être risquée.
«En ce moment, c’est une jungle. Il faut s’informer», prévient Stéphanie Léonard, psychologue spécialisée dans les questions d’image corporelle.
Beaucoup de clients en réflexion cherchent des conseils sur les réseaux sociaux, et se fient aux autres clients pour y voir plus clair (quel chirurgien choisir et éviter). Le Journal a constaté que certains médecins québécois ont une très mauvaise réputation.
Lors du suivi post-opératoire, des patientes ont aussi dit avoir été incapables de joindre leur chirurgien pour corriger une erreur, ou devaient repayer. D’autres n’avaient plus confiance et ont préféré aller voir ailleurs. Et repayer.
Le Journal vous présente plusieurs témoignages de femmes qui ont vécu l’horreur après une chirurgie esthétique. Toutes témoignent de façon anonyme soit parce qu’elles ont honte, sont en suivi post-opératoire, ou craignent des représailles légales.
D’ailleurs, des chirurgiens québécois consacrent le tiers de leur pratique à réparer des chirurgies ratées.
«Le jour où un chirurgien plasticien pense plus a sa poche qu’au bien-être de ses patients, il n’est plus un médecin”, pense la Dre Perry Gdalevitch, spécialisée dans ce domaine.
Normalement, tous les risques de la chirurgie doivent être bien expliqués. Or, plusieurs clients sont mal informés et pressés de signer le contrat après quelques minutes.
Depuis la pandémie, la chirurgie esthétique est en hausse d’au moins 20 % au Québec, estime l’Association des spécialistes en chirurgiens plastique et esthétique du Québec. Selon le président Dr Éric Bensimon, la majorité des clients sont contents du résultat, et ce sont les gens insatisfaits «qui sont les plus vocaux».
Sa chirurgie esthétique a causé une infection qui a failli la tuer.
Une mère de famille qui a payé 30 000 $ à un spécialiste de renom pour une importante chirurgie plastique à Montréal a cru qu’elle allait y laisser sa peau l’an dernier, après qu’une infection a gravement dégénéré.
«J’étais sûre que ça y était », confie la femme dans la quarantaine, encore sous le choc.
«Je savais qu’il y avait des risques, mais je pensais qu’on me prendrait en charge, qu’on ne me laisserait pas mourir dans mon coin. »
L’été dernier, cette dame a consulté à un chirurgien plasticien de Montréal réputé dans son domaine. Le Journal ne le nomme pas, puisque la patiente souhaite demeurer anonyme.
L’opération de six heures comprenait un redrapage avec augmentation mammaire, une liposuccion et une abdominoplastie. Dans le jargon, c’est ce qu’on appelle le «mommy makeover» (réparer les traces de la grossesse).
«J’avais préparé ma valise, je n’étais pas du tout nerveuse, j’avais assez hâte. J’étais all in», se rappelle-t-elle.
Or, dès la fin de l’opération, les choses ont mal tourné.
«J’étais encore endormie, on me pressait d’aller faire pipi… Ils m’ont mis une sonde urinaire, ils m’ont tellement fait mal, dit-elle. Après, ils m’ont mis sur une chaise roulante, ils ont ouvert la porte de garage et m’ont sorti dehors!»
Elle n’a aucun souvenir du trajet de retour à la maison.
Rapidement, son état a dégénéré en raison d’une infection urinaire. Durant les semaines suivantes, l’état général ne faisait qu’empirer. Fesses bleues, seins purulents, douleur, insomnie: la mère n’arrivait plus à se lever de son lit.
Appels, textos, courriels: elle jure avoir contacté le cabinet du médecin presque «tous les jours», en a envoyé des photos de ses plaies à l’appui.
«Je me présentais au bureau, il disait que tout était correct, que ça irait mieux dans deux semaines! rage-t-elle. Je me disais que je n’étais pas faite forte.»
À un moment, la femme dit s’être fait prescrire un antibiotique au téléphone.
«Ce n’était même pas le bon! Il traitait n’importe quoi», ajoute la dame qui était suivie au CLSC pour ses plaies. Il aurait pu me dire; va à l’hôpital, ne prends pas de chance. Mais non, il disait que je n’avais rien!»
Au début septembre, la fièvre s’est mise de la partie. Même si la clinique niait qu’il y avait infection, la dame trop inquiète s’est rendue à l’hôpital, à Terrebonne.
«Les médecins (de l’urgence) étaient fâchés au début, ils pensaient que j’étais allé à l’étranger me faire opérer.» En raison d’un choc septique (infection répandue dans le sang), la chirurgienne lui a retiré ses implants mammaires en urgence.
«Pendant la nuit, j’étais en train de mourir. On m’a dit que si j’avais été plus âgée, je n’aurais pas passé au travers», confie la mère, qui peine à se remettre de cette épreuve.
«Ça a été long guérir les cicatrices... Les seins sont épouvantables, je ne peux pas rester comme ça, confie-t-elle, bien qu’elle n’a pas les moyens de repayer une autre chirurgie. «Je pense à ça jour et nuit. Je ne sais pas quoi faire», dit la femme qui a entrepris des démarches juridiques.
Une chirurgie plastique au front a viré au cauchemar pour une jeune femme qui craint maintenant que ses cheveux ne repoussent jamais.
«J’étais complètement détruite de la face pendant deux semaines», raconte la jeune mère qui peine à se remettre d’une «expérience affreuse» subie plus tôt cette année. Puisqu’elle est toujours en processus de guérison et revoit son médecin pour des suivis, Le Journal ne nomme pas la cliente, ni son chirurgien.
La femme dans la trentaine a payé près de 10 000 $ pour subir une réduction de front, une chirurgie qui vise à baisser la ligne de cheveux. Une fois à la maison, elle a vite déchanté. Durant les premiers jours, elle ne pouvait pas ouvrir ses yeux tellement son visage était enflé, et elle avait de gros hématomes, a constaté Le Journal sur des photos post-opératoires.
Évidemment, elle ne pouvait plus vaquer à ses occupations. Lors du premier suivi en clinique, elle a paniqué en voyant l’état de sa tête en enlevant le bandage.
Aujourd’hui, la jeune femme a une cicatrice imposante dans le front, à la ligne du cuir chevelu. Ce qui l’inquiète le plus, c’est que ses cheveux n’ont pas repoussé à quelques endroits. «Psychologiquement, ça a vraiment été difficile, je n’étais pas préparée», avoue celle qui consulte un psychologue.
Pourtant, la jeune femme a dit avoir fait ses recherches, et avait opté pour un chirurgien réputé de la région de Montréal. «On n’est pas à l’abri nulle part de mauvais services, tu répares les pots cassés si t’as un problème», constate-t-elle.
Pour le moment, la cliente continue ses suivis post-opératoires avec la clinique. « J’espère juste que mes cheveux poussent, et que j’oublie cette histoire ».
Une femme qui a eu une opération ratée aux seins déplore la difficulté à obtenir une chirurgie correctrice au Québec.
«Plusieurs médecins ne font même pas de correction. (...) Ils ne voulaient pas me voir même si j’étais prête à payer!, témoigne anonymement une femme qui a eu une chirurgie ratée aux seins, en 2019. À quel point un médecin est seulement dans une business pour faire de l’argent, et pas aider les gens?»
En 2019, la Québécoise a payé 9000 $ pour une augmentation mammaire, à Montréal. Rapidement, il était clair que quelque chose clochait.
«Les implants avaient descendu vraiment bas. Quand j’étais couchée sur le dos, ils allaient sur les côtés», dit-elle.
Insatisfaite, elle s’est fait répondre que «tout était correct», que c’était son anatomie.
«C’est vraiment difficile. Je pleurais tout le temps, j’étais anxieuse. »
Par ailleurs, elle déplore que la rencontre pré-opératoire avec le médecin a été très expéditive.
«J’ai été cinq minutes avec lui, le reste a été fait par une infirmière.»
Décidée à obtenir une chirurgie corrective, la femme a eu du mal à trouver un autre chirurgien qui voulait l’opérer. Selon son expérience, on lui faisait comprendre que ces chirurgies sont plus longues et plus complexes, en raison du mauvais état des tissus.
Deux ans plus tard, la femme a enfin trouvé un chirurgien qui a accepté de la réopérer pour 14 000 $, et elle est satisfaite du résultat.
«C’est possible qu’il y ait des complications. Mais, ce qui compte, c’est comment le chirurgien va les gérer, dit-elle. Mais, c’est une business au bout du compte. Plusieurs n’en ont rien à faire une fois que tu as payé. »
Même si un patient considère sa chirurgie esthétique complètement ratée, il est difficile de gagner sa cause en cour contre son chirurgien, préviennent des avocats.
«Les gens sont convaincus qu’ils ont un bon dossier de par le mauvais résultat esthétique. Mais, ce n’est pas parce que vous avez un mauvais résultat que vous avez une cause », avoue Me Jean-François Leroux, spécialisé en droit de la santé. Dans une poursuite au civil, il faut prouver que le médecin a été négligent, qu’il n’aurait par exemple pas posé les bons implants.
«Il faut insister sur le fait qu'une intervention chirurgicale, même esthétique, est une obligation de "moyen" et non de "résultat". Le chirurgien a l'obligation de faire au mieux de ses capacité et conformément aux règles de l'art pour offrir à la patiente, le résultat espéré », a écrit un juge dans une poursuite civile rejetée contre le Dr Mark Samaha, en 2014.
«Sans minimiser ce que vivent les victimes, (…) le fardeau repose sur les épaules de la demande. Ce n’est pas facile», constate aussi Me Hélène Guay, qui pratique depuis 30 ans.
Cette dernière essaie toujours de mettre en lumière plusieurs options sur la table pour le client, qui « ne va pas toujours récupérer l’argent investi », prévient-elle.
Exemple de problème: lors du retrait d’un drain à la fin d’une chirurgie, des vaisseaux sanguins peuvent être traumatisés, et provoquer une hémorragie. Cela ne signifie pas que le médecin a fait une faute, explique Me Leroux.
«Certains ont la perception qu’une chirurgie esthétique, c’est comme aller se faire faire les ongles, ce qui ne fait aucun sens, dit le Dr Benoit LeBlanc, chirurgien esthétique. Oubliez le mot esthétique, on a des risques, on a des complications. En général ça fonctionne bien (…) Mais quand ça ne va pas bien et que tu n’as pas été bien informé, c’est là que le bât blesse.»
Toutefois, le médecin a l’obligation d’expliquer 100 % des risques au patient (du plus banal au plus grave). Bien que plusieurs clients disent ne pas avoir été pleinement informés des dangers, ce point est difficile à prouver en cour.
L’an dernier, 19 enquêtes de médecine esthétique ont été ouvertes contre des membres du Collège des médecins. Or, aucune n’a mené à une plainte en discipline. Selon Me Guay, les plaintes ne sont pas nécessairement représentatives du niveau d’insatisfaction des patients.
«Ça prend des efforts, de l’organisation pour se plaindre», dit-elle. Aux prises avec une chirurgie ratée, une patiente de 47 ans déplore le combat inégal entre le public et les médecins.
«(Les avocats) me disent qu’ils ne peuvent pas m’aider, qu’ils ne peuvent pas faire d’argent avec moi, rage-t-elle. On est comme une petite fourmi, on ne peut rien faire contre eux-autres.»
«C’est vraiment plus simple d’aller voir un autre médecin, de repayer, et de passer à autre chose, ajoute une autre femme qui a dû être réopérée. L’avocat coûte super cher, et ça prend toutes sortes de preuves. »
Des chirurgiens plasticiens sont devenus des références pour réopérer des patients qui ont eu des opérations ratées, et y consacrent jusqu’au tiers de leur pratique.
«Je vois des patientes qui ont été opérées à deux, quatre, sept, 15 reprises. Des patientes sont rendues à 100 000 $ sur leurs seins. Ce n’est pas des blagues », confie le Dr Benoit LeBlanc, chirurgien esthétique à Laval.
Ce dernier consacre le tiers de sa pratique à réopérer des patients qui ont eu des complications, ou des chirurgies ratées. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la plupart de ces clients avaient été opérés ici au Québec.
Évidemment, il existe toutes sortes de chirurgies ratées: implants mammaires qui tombent, corps déformé par une liposuccion, etc. Souvent, la cliente s’est fait vendre une opération «en laissant miroiter des résultats qui n’étaient pas réalistes», constate le Dr LeBlanc. Certaines se retrouvent carrément avec un corps pire qu’avant.
«Je vois des patientes qui ont été laissées à elle-même. Je leur dis toujours de retourner voir leur chirurgien. (…) J’espère toujours qu’il va reprendre la patiente», ajoute le Dr Joseph Bou-Merhi, qui consacre aussi 30 % de sa pratique à reprendre des chirurgies.
D’ailleurs, les patientes qui consultent après une opération ratée souffrent souvent autant physiquement que mentalement de cet échec. Honte, frustration, peine: certaines sont carrément dévastées.
«Si elles avaient déjà un problème de perception de leur féminité au départ, et là elles ont des résultats catastrophes, ça devient encore pire», se désole le Dr LeBlanc.
«L’impact psychologique si ça se passe mal est aggravé parce que la chirurgie n’était pas essentielle à notre survie, et en plus ça nous cause plus de problèmes que ce que ça nous apporte, donc c’est sûr que c’est lourd à porter”, constate Stéphanie Léonard, psychologue.
Pour des injections de Botox illégalement. Elle a fait l’objet d’une dénonciation publique. Ainsi, un agent d’enquête du Collège des médecins a communiqué auprès d’elle, et cette dernière estimait à 80 unités de Botox à injecter et le coût de cette consultation est de 550$.
Une amende de 5000 $
le 15 mars 2022
Pour l’utilisation du stylo hyaluron ou hyaluronpen, un dispositif de comblement dermique sans aiguille, non homologué par Santé Canada, qui présente des risques pour la santé.
Deux amendes totalisant 21 000 $
le 30 juin 2021
Pour avoir offert des injections d’agents de comblement des lèvres illégalement.
Une amende 4250 $
le 6 octobre 2021
Pour avoir offert des injections aux lèvres et de Botox illégalement.
Une amende 3500 $
de 11 janvier 2021
Pour avoir offert des traitements contre des maladies de la peau illégalement et d’avoir continué malgré un avertissement.
Deux amendes totalisant 8000 $
le 12 novembre 2021
Pour avoir offert des traitements contre des maladies de la peau illégalement.
Deux amendes totalisant 5000 $
le 16 juillet 2020
Pour avoir offert des injections de Botox et de fil tenseur illégalement.
Une amende de 5000 $
16 juillet 2020
Pour avoir offert des traitements contre des maladies de la peau illégalement et d’avoir continué malgré un avertissement.
Deux amendes totalisant 7000 $
le 22 juin 2021
Il n’existe pas de liste précise des actes qui sont réservés aux médecins dans l’exercice de l’esthétique.
Selon le Collège des médecins du Québec (CMQ) qui est chargé de faire appliquer la loi, seul un médecin peut poser un diagnostic, prescrire un traitement ou un médicament ou « utiliser les techniques ou appliquer les traitements, invasifs ou présentant des risques de préjudice, incluant les interventions esthétiques ».
Le Collège assure avoir été proactif ces dernières années avec des séances d’information à ce sujet.
«Nos membres sont assurés et savent ce qu’ils doivent faire et ne pas faire », souligne la directrice générale de l'Association des professionnels en électrolyse et soins esthétiques du Québec (APESEQ), Sylvianne Bouchard.
Cependant, le domaine de l’esthétique n’est pas régi par un ordre professionnel. Ainsi, même si l’Association s’assure que ses membres sont formés, n’importe qui peut se lancer dans l’esthétique.
Mme Bouchard estime aussi que la ligne est souvent « très fine » entre la médecine et l’esthétique. Même si les esthéticiennes ne peuvent pas « traiter », elles peuvent « améliorer l’apparence de la peau ».
Même si elles n’ont pas le droit de toucher aux tâches pigmentaires, elles disposent du même appareil utilisé par les médecins.
Ce sont les assureurs qui déterminent plus souvent les gestes que les esthéticiennes peuvent poser, selon ce qu’ils assurent, remarque Mme Bouchard.
Il y a énormément de nouveautés dans le domaine et elle déplore que des compagnies vendent des appareils et des produits aux esthéticiennes sans égard aux limites professionnelles.
Mais si certains décrient le manque de formation en esthétique, d’autres le font également pour la chirurgie.
Les médecins qui veulent faire de la chirurgie esthétique doivent suivre une formation d’appoint du CMQ avant de poser des actes (à l’exception de certains spécialistes déjà formés).
Resserrée depuis 2016, la formation est à la fois théorique et pratique. La durée varie selon le candidat, et peut être prolongée au besoin.
Selon une chirurgienne spécialisée en esthétique, la formation est insuffisante.
«C’est ridicule la formation!, réagit la Dre Perry Gdalevitch. Ce n'est rien du tout. (...) Un médecin qui fait une formation d’une fin de semaine n’a pas développé son œil esthétique du tout».
5 jours
10 jours
environ un an
(peut aller jusqu’à trois ans)
Les médecins formés en médecine esthétique avant 2016 n’ont pas eu à suivre ces formations. Or, ils doivent faire de la formation continue dans leur domaine, comme tous les médecins.
À noter qu’un médecin de famille qui a suivi une formation pour poser des implants mammaires ne peut pas utiliser le titre de «chirurgien».
Deux femmes qui ont eu recours aux injections d’une esthéticienne pour perdre du poids vivent plutôt avec les cicatrices d’une grave infection, ayant nécessité des mois de guérison.
Gabriella et Carmen (noms fictifs) ont eu peur de mourir. Gabriella, âgée dans la vingtaine raconte:
Traumatisées et honteuses, les deux amies ont demandé de garder l’anonymat. Elles veulent néanmoins partager leur calvaire pour éviter que d’autres personnes subissent le même sort. Le Journal a eu accès leur dossier médical pour confirmer leurs dires.
Les deux femmes s’étaient rendues chez l’esthéticienne pour des massages visant à réduire et redistribuer la graisse du corps.
Après plusieurs soins, cette dernière leur a proposé d’aller plus loin, grâce à des injections pour éliminer le gras.
Ces injections de lipolyse sont aussi appelées mésothérapie.
Naïvement, les clientes ont accepté, faisant confiance à l’esthéticienne. Elles ignoraient que cet acte était réservé à des professionnels, comme des médecins ou des infirmières.
Elles ont reçu des dizaines d’injections dans les cuisses et le dos. Rapidement, des bosses rouges qui chauffent sont apparues. Elles se sont senties fatiguées, puis fiévreuses.
Elles affirment que l’esthéticienne leur déconseillait de consulter, leur promettant que ça passerait, qu’elle aurait accès à des antibiotiques ou encore de ne pas la nommer s’ils allaient à l’hôpital.
Au Centre hospitalier universitaire de l’Université de Montréal (CHUM), une biopsie a confirmé le pire. Énormément de pus s’écoulait alors des plaies.
Une bactérie résistante aux antibiotiques avait trouvé son chemin lors des injections. Tenace, les deux femmes ont subi des mois de traitements, opérations et divers médicaments pour en venir à bout. Et ce n’est toujours pas fini disent-elles, alors que les plaies ne sont toujours pas guéries.
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pour certaines personnes.
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Malgré la gravité de leur infection, aucun médecin du CHUM n’a souhaité commenter leur cas au Journal dans un effort de prévention.
L’esthéticienne Kelly Johanna Vega fait quant à elle face à des accusations d’exercice illégal de la médecine par le Collège des médecins du Québec dans cette affaire. Une amende de 15 000 $ lui est réclamée, notamment pour ses traitements esthétiques « invasifs ou à risque de préjudice ».
Le Collège des médecins du Québec (CMQ) est chargé de faire appliquer la loi sur l’exercice illégal de la médecine. Trouvé coupable, un contrevenant s’expose à une amende.
«Souvent les préjudices sont très graves, il peut y avoir des lésions, des amputations et même des décès. La pratique illégale de la médecine, ce n’est pas banal, ce n’est pas sans risque pour la population, il faut le dire haut et fort, et c’est difficile d’empêcher ça », affirme Mauril Gaudreault, président du CMQ.
Une femme qui voulait des lèvres plus gonflées s’est retrouvée avec des bosses inégales qui perdurent plus d’un an après des injections faites illégalement par une esthéticienne.
Zohra Zenasni est âgée de 20 ans.
Sur un coup de tête, la jeune femme a eu envie de lèvres plus gonflées. Sur les réseaux sociaux, elle a trouvé l’annonce d’une esthéticienne qui en faisait la promotion. Après trois rendez-vous, elle n’en peut plus de la douleur et des bosses qui apparaissent sur ses lèvres, même si on lui assurait que c’était normal et ça passerait.
Elle n’arrivait plus à toucher ses lèvres tant la douleur était intense, dit-elle.
Elle n’avait alors « aucune idée » que ces injections étaient réservées à des professionnels. Habituellement, de l’acide hyaluronique est injecté dans les lèvres pour les rendre plus pulpeuses.
Il existe des produits dissolvants si une personne souhaite retrouver ses lèvres d’avant. Sur Mme Zenasni, rien n'a dissout les bosses.
«Ça m’a vraiment appris une leçon », dit-elle, ajoutant qu’elle ne consulte désormais que des professionnels. Elle se désole cependant que les contrevenants ne s’exposent qu’à des amendes. « Ça ne freine pas les gens », souffle-t-elle.
Cette triste situation n’étonne pas la porte-parole du Regroupement des infirmières injectrices en esthétique du Québec et propriétaire d’une clinique, Mirna Saadé.
Elle s’inquiète énormément de la provenance des produits utilisés illégalement par les esthéticiennes.
Au Québec, les cliniques comme la sienne ont besoin d’un médecin pour prescrire les injections, dit-elle. Et une compagnie pharmaceutique ne peut vendre qu’à un médecin.
Mme Saadé estime que les esthéticiennes qui font des injections risquent ainsi de se procurer leurs produits en ligne, venant surtout de l’étranger. «Ça rend la concurrence déloyale», ajoute-t-elle, car sa clinique doit non seulement acheter des produits d’un fournisseur légitime, en plus de payer pour un médecin, qui doit voir chaque cliente depuis de nouvelles règles en 2017.
Une infirmière spécialisée en injections déplore le manque de surveillance
«Chaque semaine je vois des clients qui sont «botchés» par des esthéticiennes ici à Montréal », dénonce l’infirmière injectrice Mirna Saadé, qui déplore le manque de surveillance dans le domaine esthétique.
La porte-parole du Regroupement des infirmières injectrices en esthétique du Québec et propriétaire de la clinique Main D’or déplore que comme la médecine illégale est du ressort du Collège des médecins (CMQ), la police ne peut pas intervenir, même si elle estime que des vies sont parfois en danger.
«Ces clientes-là, s’il arrive quelque chose, elles vont tomber dans le système santé public », souligne-t-elle.
C’est notamment le cas de deux femmes qui ont contracté une grave bactérie et qui ont nécessité des mois de traitements antibiotiques.
Les enquêtes du CMQ prennent aussi de longs mois avant d’aboutir, poursuit Mme Saadé. « La fin de semaine, tu appelles qui? La police n’intervient pas », déplore-t-elle aussi, ajoutant qu’elle connaît plusieurs esthéticiennes injectant illégalement de la maison, par exemple.
Et les rares contrevenants qui se font pincés ne reçoivent qu’une amende. Or, Mme Saadé souligne qu’une infirmière comme elle qui agirait en dehors des règles risque de perdre son permis d’exercice, l’empêchant ainsi de travailler, ce qui est beaucoup plus sévère qu’une amende. Elle ajoute en soufflant:
Une infirmière ne peut pas faire des injections sans qu’un patient ait été vu par un médecin.
Selon elle, les amendes ne suffisent pas à décourager ceux qui voudraient faire des injections, car c’est extrêmement lucratif. Mme Saadé dit que sa clientèle a doublé depuis la pandémie, avec des délais allant jusqu’à trois mois pour un rendez-vous.
«C’est un problème », reconnaît pour sa part, le président du CMQ, Dr Mauril Gaudreault, à propos des récidivistes de l’exercice illégal de la médecine.
Par ailleurs, ce dernier remarque une forte hausse des plaintes dans le domaine des soins esthétique. Un phénomène inquiétant selon le président du CMQ, dont la mission est la protection du public. « Il faut enquêter et faire ça comme il faut pour bien faire les choses […] ça peut prendre X mois », poursuit-il, admettant qu’il s’écoule en moyenne une année entre l’enquête et le début d’un procès.
Ces dernières années, le montant des amendes données en esthétique s’approchait en moyenne du 5000 $.
Bien que la société est de plus en plus obsédée par l’apparence physique, la chirurgie esthétique n’est pas une solution pour trouver le bonheur, mettent plusieurs experts en garde.
«Il faut bien comprendre les raisons pour lesquelles on le fait, et surtout comprendre que ça ne peut pas changer comment on se sent réellement à l’intérieur de nous, explique Stéphanie Léonard, psychologue spécialisée dans l’image corporelle.
Ça peut changer comment on se perçoit, (…) mais on n’envoie pas un message d’acceptation et de bienveillance.»
Voilà des années que les médias sociaux nous bombardent d’images de corps parfaits. Influencés par cette pression sociale, des clients sont tentés par la chirurgie esthétique en quête d’un plus beau visage ou d’une silhouette plus avantageuse.
Mme Léonard, qui a récemment lancé le site Bien avec mon corps, qui aide les jeunes sur les questions d’image corporelle constate:
«Avant d’être plasticien, on est des médecins. Si la patiente est déprimée, ce n’est pas toujours le bistouri qui est la solution. Il faut être honnête avec les patients», souligne le Dr Joseph Bou-Merhi. «On ne trouve pas le bonheur dans la chirurgie esthétique, assure-t-il. Cherchez le bonheur ailleurs.»
Selon Mme Léonard, la chirurgie esthétique provoque souvent une lune de miel au début, mais qui s’estompe par la suite. Bien qu’elle ne démonise pas la chirurgie esthétique, elle souhaite que les gens soient davantage informés, pour prendre la décision pour les bonnes raisons.
«On n’aime pas voir les corps vieillir, donc cette industrie-là a sauté sur l’occasion, pense-t-elle. C’est dommage, on devrait plus honorer le fait que notre corps change après avoir eu un ou des enfants.»
De plus en plus de clients se présentent devant leur chirurgien avec des photos du corps idéal qu’ils veulent obtenir, alors que ces images sont souvent retouchées et impossibles à reproduire, déplorent des médecins.
«Si on invente des faces et des corps de toute pièce, et que les gens visent ça comme barème à obtenir, c’est une recette pour la catastrophe», réagit le Dr Benoit LeBlanc, chirurgien plasticien à Laval.
«Les médias sociaux inondent l’imaginaire des gens avec des photos et des standards de beauté. Les gens sont bombardés d’images, et ce qui est véhiculé des fois (…) n’est pas nécessairement le reflet de la réalité de ce qu’on peut accomplir», ajoute le Dr Éric Bensimon, président de l’Association des spécialistes en chirurgiens plastique et esthétique du Québec.
En effet, chaque corps réagit différemment à la chirurgie, donc le résultat ne peut pas être le même pour tous. Aussi, les filtres utilisés pour retoucher les photos, et les embellir, faussent aussi la perception de ce qu’on peut obtenir en chirurgie.
Parfois, la différence est à ce point marquante que la personne ne ressemble même pas à ses photos dans la réalité.
«C’est comme si on avait inventé une nouvelle personne!» déplore le Dr LeBlanc.
Évidemment, ces perceptions d’idéaux de beauté rappellent l’importance de bien discuter avec son chirurgien avant l’opération, dit le Dr Bensimon.
«C’est difficile parfois de bien cadrer ce que les patientes ont en tête, et des fois le corps ne guérit pas de la même façon. Il y a quand même une zone grise au niveau du résultat sur laquelle il faut être bien informé.»
Textes et recherche : Héloïse Archambault et Hugo Duchaine
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