Bilan officiel de la Ville
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Avant son élection à la tête de Montréal, en 2017, Valérie Plante s’était engagée à « construire » « un minimum » de 6000 logements sociaux et 6000 logements abordables pendant son premier mandat (2017 à 2021).
Il s’agissait d’une des promesses phares de son programme électoral, surtout dans le contexte de la crise du logement.
En cours de route, cet objectif est devenu de « développer » 12 000 logements. Un objectif que la mairesse dit avoir réalisé et même dépassé. Mais c’est faux et son bilan comporte bien des contorsions comptables. C’est plutôt moins de 4300 nouveaux logements sociaux et abordables qui ont été construits, un an après la fin de son mandat.
logements
Afin de garnir son bilan de logements abordables, l’administration Plante y a inscrit de nombreux projets immobiliers dès qu’ils entraient en chantier. Mais des centaines de logements « créés » ne sont toujours pas construits un an après la fin du premier mandat de Valérie Plante ou ne verront tout simplement jamais le jour.
En 2017, le parti de la mairesse Plante, Projet Montréal avait promis en campagne électorale de construire « un minimum » de 12 000 logements sociaux et abordables.
Une fois au pouvoir, un an plus tard, Valérie Plante a détaillé sa stratégie pour y arriver. Elle a alors convenu qu’il ne s’agirait pas que de nouvelles constructions.
« La grande majorité des 12 000 unités seront des unités neuves, avait-elle avancé. Lorsqu’on réussit à préserver des logements locatifs abordables qui risquaient de ne plus l’être, nous allons les comptabiliser. »
Or, ce n’est pas du tout ce qui s’est produit. Plus de 60% des logements abordables « développés » par l’administration Plante étaient déjà construits.
Plus de 40% des logements du bilan mis de l’avant par la mairesse proviennent des subventions du programme d’aide à l’acquisition d’une propriété (PAAR), soit 5262 logements.
« Ça va en faire partie, mais ce n’est pas la plus grande quantité qui passe là. Mais je n’ai aucune gêne à dire que l’argent qu’on met de côté pour le programme d’accès à la propriété, je n’ai pas être gênée de ça que ça compte dans les unités. » -Valérie Plante en entrevue avec le Journal en 2019 sur le fait d’inclure les subventions dans le bilan des logements.
Mais il ne s’agit pas nécessairement d’unités que la Ville jugerait abordables selon ses propres seuils et encore moins exclusivement d’unités neuves.
Logement abordable
Subvention
Selon les chiffres que nous avons obtenus, sur les 5262 « logements abordables » venant du programme de subvention, au moins 4271 sont des logements déjà existants.
Il peut s’agir de plex centenaires, comme de condos datant de quelques années.
« Le plus frustrant dans les chiffres [de la Ville], c’est le fait que le programme de subvention d’accès à la propriété a une forte tendance à subventionner l’achat de condos qui existent déjà », juge le professeur associé en géographie à l’Université Concordia, Ted Rutland.
Il se questionne à savoir si l’objectif de la Ville est de régler des problèmes de logements ou favoriser l’accès à la propriété.
« On est en train de subventionner l’embourgeoisement et on doit questionner si on doit utiliser des fonds publics pour faire ça », pense-t-il à propos de subventions pour des condos à 400 000 ou 450 000$ qui sont considérés comme des logements abordables.
Selon le professeur en travail social à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Louis Gaudreau, le fait d’inclure des subventions d’accès à la propriété dans des objectifs d’abordabilité peut relever de la contradiction.
« Une mesure pour rendre plus abordable l’accès à la propriété n’est pas nécessairement une mesure qui aide à régler la crise du logement », affirme-t-il.
Selon M. Gaudreau, un des problèmes du logement dit « abordable » est que son prix est fixé par rapport au marché et non par rapport au revenu des occupants comme c’est le cas pour du logement social.
« Si on faisait le calcul en fonction de la capacité de payer, on se rendrait compte que c’est très cher », avance-t-il.
Subventions à des logements déjà existants
En comptabilisant des subventions comme des logements, la Ville s’est retrouvée à en compter certains en double, avons-nous découvert : une fois pour sa construction et une autre fois parce qu’un acheteur avait eu une subvention.
Au total, 98 logements sont comptés deux fois dans les 13 122 du bilan, admet la Ville.
Le Service de l’habitation dit avoir « jugé non pertinent » d’éviter cette double comptabilité, car la création de logements abordables par les promoteurs et le soutien à l’acquisition d’une propriété sont deux choses distinctes.
Le porte-parole Guillaume Rivest affirme que la Ville a pu compter dans son bilan un même condo comme étant réalisé par un promoteur, puis comme une subvention d’une propriété existante « dans les cas où le premier propriétaire procède à la revente d’une unité non subventionnée rapidement ».
Mais dans une douzaine de cas, il s’agit du premier achat qui est compté deux fois.
Par exemple, le projet Cité Angus ajoute 42 logements au bilan de la mairesse alors que les seuils de vente n’ont même pas été respectés par le promoteur (voir chapitre 1).
Mais, en plus, huit ménages qui ont acheté un de ces condos sont aussi comptés dans les subventions pour logements neufs dans ce même bilan.
La Ville reconnaît que la subvention donnée à un acheteur peut être comptée même si le promoteur a été pénalisé parce que cette même propriété a été vendue trop cher.
« Certains promoteurs peuvent préférer payer une pénalité plutôt que de respecter leurs engagements en matière de création de logements abordables.
Cette situation n’affecte aucunement l’admissibilité d’un ménage au programme de soutien à la propriété », indique le Service de l’habitation.
En plus d’inclure de vieux plex et des condos déjà existants dans son bilan de logements abordables, l’administration Plante y a aussi compté la rénovation de 1091 appartements situés dans des coopératives d’habitation qui, avant même l’intervention de la Ville, étaient déjà abordables.
Depuis 2018, l’administration Plante n’a jamais caché que des subventions pour la rénovation de logements abordables seraient comptabilisées dans son bilan.
Toutefois, cela n’empêche pas les experts et organismes de défense du droit au logement de trouver que cette inclusion est discutable.
« Les coopératives ce sont déjà des organismes à but non lucratif et dans certains cas, il y a déjà des subventions [du gouvernement] qui permettent d’abaisser le loyer à 25% du revenu [des locataires], explique Louis Gaudreau. C’est déjà censé être abordable. »
Rénovation de logements déjà abordables
En plus d’inclure dans le décompte de ses 12 000 logements des condos qui ne sont pas encore construits, l’administration Plante a comptabilisé les chambres au lieu des appartements dans deux projets, gonflant ainsi son bilan de 89 logements inexistants.
L’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE) a développé dans les dernières années le concept de logements locatifs destinés uniquement pour les étudiants.
Financés en partie par de l’argent de la Ville de Montréal, deux projets ont vu le jour. Un sur la rue Papineau en 2020 et l’autre dans le secteur Angus à l’été 2022.
Dès 2021, ces deux projets ont été inclus comme 302 logements abordables réalisés dans le bilan de la mairesse Valérie Plante. Mais dans les faits, il s’agit plutôt d’un nombre de chambres réparties dans 213 logements.
« On a l’habitude de compter en chambres plus qu’en logements parce que ce qui est important à nos yeux c’est le nombre d’étudiants qu’on héberge et non le nombre de portes qu’on a », indique Maxime Pelletier, porte-parole de l’organisme UTILE.
Bien que son plan se nomme Stratégie 12 000 logements, la Ville se défend d’avoir compté des chambres sous prétexte que cela permet de savoir le nombre d’étudiants logés.
« Dans une colocation, c’est en quelque sorte plusieurs ménages qui cohabitent d’où la volonté de compter en nombre de chambres et non de logements », défend le porte-parole de la Ville, Guillaume Rivest.
Pourtant, dans les documents que la Ville fait signer aux promoteurs, elle définit un logement ainsi : « Une pièce ou suite de pièces […] où l’on peut préparer des repas et dormir, et comportant des installations sanitaires composées d’un moins un W.-C., d’une baignoire ou d’une douche, d’un lavabo et d’un évier de cuisine. »
Une définition bien loin de celle d’une chambre.
chambres comptées comme des logements
L’administration Plante n’a jamais atteint son objectif de créer 6 000 logements sociaux en quatre ans. Et selon des organismes de droit au logement, les chances que les logements inscrits comme « en conception » au bilan de Valérie Plante soient construits sont assez faibles.
Sous la pression populaire, l’administration Plante a dévoilé dans son bilan l’état d’avancement des 4343 logements sociaux et communautaires qu’elle dit avoir réalisés entre 2017 et 2021.
« On le savait que c’était moins de 6000, mais ce qu’on constate aujourd’hui c’est qu’il y en a très peu qui ont été construits », souligne la porte-parole du FRAPRU, Véronique Laflamme.
Selon le plus récent décompte présenté par la Ville 1499 logements sociaux sont toujours en conception
Ceux-ci sont en attente de financement du gouvernement provincial pour voir le jour. Mais, ils pourraient être sur la liste d’attente bien longtemps.
Depuis son arrivée au pouvoir, la Coalition avenir Québec n’investit plus dans le fonds Accès Logis qui servait à financer ces constructions de logements sociaux, une décision que déplorent les organismes de droit au logement.
« Les chances que ce soit vraiment du logement social, de dire qu’elles sont faibles c’est un euphémisme. Malheureusement, dans les conditions actuelles, si ces logements ne sont pas déjà construits, les chances sont presque nulles que ce soit du logement social », juge le porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), Cédric Dussault.
Selon lui, l’administration Plante pourrait trouver une manière de les financer sous forme de logements abordables, mais ça « ne respecte pas l’esprit de la promesse de départ. »
Véronique Laflamme dit garder espoir qu’ils se réalisent.
« Ce sont des projets qui dans certains cas sont attendus depuis des années et qui sont menacés de ne pas voir le jour », rappelle-t-elle.
Selon Ted Rutland, avec l’abandon du programme Accès Logis, la Ville de Montréal devra reconnaître tôt ou tard que ses objectifs ne seront pas atteints et que ses politiques en logement social sont inopérantes en raison de la décision du gouvernement de François Legault.
« On doit reconnaître qu’on n’a plus de programme de logements sociaux à Montréal en ce moment et que la politique pour une métropole mixte ne marche plus », jure M. Rutland.
Selon le même décompte de la Ville, 1186 logements sociaux sont toujours en construction, un an après la fin du mandat.
Les organismes de défense du logement constatent que la manie de comptabiliser des logements en livraison semble se répandre parmi la classe politique.
Ceux-ci rappellent qu’en campagne électorale à l’automne, François Legault avait dit avoir fait 15 000 logements, alors que seul le tiers a vraiment été construit.
« Compter des logements qui ne sont pas livrés, c’est difficile à suivre, dit Mme Laflamme. Ce qu’on finit par voir ce sont des logements qui sont annoncés plusieurs fois, mais ils ne sont toujours pas construits. »
Au final, même en incluant les condos qui sont habités depuis 2022, ce sont seulement 4422 nouveaux logements sociaux et abordables qui ont réellement vu le jour sur les plus de 13 122 comptés par l’administration de la mairesse Valérie Plante.
Selon le RCLALQ, ce type de bilan comptabilité est malhonnête.
« C’est malhonnête envers les gens de prétendre remplir un engagement s’il suffit d’avancer un chiffre pour dire que c’est fait », croit son porte-parole, Cédric Dussault.
Les organismes de défense du logement constatent que la manie de comptabiliser des logements en livraison semble se répandre parmi la classe politique.
logements sociaux en conception ou en construction
Au final, même en incluant les condos qui sont habités depuis 2022, c’est un maximum de 4237 nouveaux logements sociaux et abordables qui ont réellement vu le jour sur les plus de 13 122 comptés par l’administration de la mairesse Valérie Plante.
Selon le RCLALQ, ce type de bilan comptabilité est malhonnête.
« C’est malhonnête envers les gens de prétendre remplir un engagement s’il suffit d’avancer un chiffre pour dire que c’est fait », croit son porte-parole, Cédric Dussault.
Journalistes : Dominique Cambron-Goulet
et Charles Mathieu
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