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Valérie Plante
22 Septembre 2021
«On a quand même réussi à
faire 12 000 logements
abordables et sociaux en 4 ans.»
— Valérie Plante
Mairesse de Montréal
Photo archive, Joël Lemay, Agence QMI
Des centaines de logements abordables qui ne verront jamais le jour, des centaines d’autres qui ne sont toujours pas terminées, des seuils de prix maximaux élastiques, et bien peu de nouvelles constructions.

Le vrai bilan en matière d’habitation de la mairesse Valérie Plante est bien moins rose que celui qu’elle a présenté au public.

Les maisons de paille de Valérie Plante

Avant son élection à la tête de Montréal, en 2017, Valérie Plante s’était engagée à « construire » « un minimum » de 6000 logements sociaux et 6000 logements abordables pendant son premier mandat (2017 à 2021).

Il s’agissait d’une des promesses phares de son programme électoral, surtout dans le contexte de la crise du logement.

En cours de route, cet objectif est devenu de « développer » 12 000 logements. Un objectif que la mairesse dit avoir réalisé et même dépassé. Mais c’est faux et son bilan comporte bien des contorsions comptables. C’est plutôt moins de 4300 nouveaux logements sociaux et abordables qui ont été construits, un an après la fin de son mandat.

Bilan officiel de la Ville

Stratégie 12 000 logements, septembre 2022
Abordable
privé
1550
Abordable
subvention
5439
Abordable
rénovation
1091
Abordable
projet novateur
699
Logement
social
4343
TOTAL13122
Abordable
privé
Abordable
subvention
Abordable
rénovation
Abordable
projet novateur
Logement
social
<-

Qu’est-ce qu’un logement abordable privé?

C’est un logement construit par un promoteur privé, sans financement public, vendu ou loué sous des prix maximaux fixés par la Ville de Montréal.

En 2021 les seuils étaient les suivants :

  • Studio : 200 000$ ou 853 $/mois
  • 1 chambre : 250 000$ 1024 $/mois
  • 2 chambres : 280 000$ 1152 $/mois
  • 3 chambres : 360 000 $ ou 1366 $/mois
<-

Qu’est-ce que le Soutien à l'acquisition de logements abordables ?

Ici, la Ville a inclus ses différents programmes de subvention d’accès à la propriété. La quasi-totalité vient du Programme d’aide à l’acquisition résidentiel (PAAR). Celui-ci permet à de premiers acheteurs ou des familles d’obtenir jusqu’à 15 000 $ à l’achat d’une résidence sous des prix fixés par la Ville. Actuellement, le prix maximal pour une famille qui achète un logement neuf au centre-ville est de 610 000 $.

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Qu’est-ce que la sauvegarde de l’offre abordable?

Ici, l’administration Plante a comptabilisé tous les logements des coopératives d’habitation auxquelles la Ville de Montréal a offert une subvention de rénovation. Il s’agit donc de logements qui étaient déjà abordables avant la subvention.

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Qu’est-ce qu’un projet novateur?

La Ville entend par projets novateurs des logements qui ne peuvent être considérés comme du logement social, mais dont la construction a été financée en partie par la Ville. Il s’agit d’appartements pour étudiants ou de rénovation des vieux édifices par des organismes pour accueillir des clientèles vulnérables.

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Qu’est-ce qu’un logement social?

Un logement social est une habitation dont la construction est financée par des fonds publics. Les résidents paient en fonction de leur revenu (dans bien des cas 25 %) ou ont droit à une subvention gouvernementale pour les aider à payer leur loyer.

Bilan officiel de la ville
13122

logements

Chantier Dalia
Site du projet Dalia, à Saint-Laurent. Photo Dominique Cambron-Goulet, Le Journal de Montréal

Chapitre 1

Des centaines de logements
n'ont pas vu le jour

Des centaines de logements n'ont
pas vu le jour

Afin de garnir son bilan de logements abordables, l’administration Plante y a inscrit de nombreux projets immobiliers dès qu’ils entraient en chantier. Mais des centaines de logements « créés » ne sont toujours pas construits un an après la fin du premier mandat de Valérie Plante ou ne verront tout simplement jamais le jour.

Abordable
privé
1550
Non réalisés
749
Abordable
subvention
5439
Abordable
rénovation
1091
Abordable
projet novateur
699
Logement
social
4343

Projets figurant dans le bilan
de logements abordables privés de Valérie Plante

  • Non réalisés et pénalisés
  • En construction
  • Seuils de vente non respectés
  • Réalisés
Voir sur la carte

Non réalisés

Toujours comptés,
bien qu’abandonnés

En 2016, le Groupe Maurice s’était engagé à construire 43 logements abordables dans son projet de réfection du centre commercial Wilderton, situé sur l’avenue Van Horne dans le quartier Côte-des-Neiges.

Carte détaillée du projet

Dès le début de la construction, l’administration Plante a inscrit ces 43 logements à son bilan. Mais finalement, aucun n’a été réalisé. Les loyers les moins élevés dans cette résidence pour personnes âgées frôlent les 2000 $ par mois pour un studio de 408 pi2.

« Pour la résidence Cornelius, comme il n’était pas possible de construire du logement abordable à même le projet vu les coûts de construction et le prix des loyers, nous avons offert une contribution financière pour le logement abordable », a indiqué la porte-parole de Groupe Maurice, Marie-Ève Généreux.

En 2022, la Ville a donc imposé une pénalité de 430 000$ au promoteur pour avoir contrevenu à ses obligations en matière de logements abordables. Mais elle s’est bien gardée de retirer ces chiffres de son bilan et le projet Cornelius s’y trouve toujours.

Le projet Cornelius
La résidence pour personnes âgées Cornelius dans le quartier Côte-des-Neiges. Photo Dominique Cambron-Goulet, Le Journal de Montréal

« Si un promoteur est en défaut de son obligation et que la Ville encaisse une garantie bancaire, les données comptabilisées antérieurement ne sont pas, à ce jour, modifiées rétroactivement », confirme le porte-parole de la Ville de Montréal, Guillaume Rivest.

Nous avons trouvé dans le bilan 227 logements, situés dans neuf projets, qui ont été pénalisés par la Ville et qui ne verront jamais le jour. Tous ces logements étaient comptabilisés quand la mairesse s’est vantée, en campagne électorale, d’avoir réussi à créer 12 000 logements.

« C’est difficile de blâmer la Ville si le promoteur a un engagement, mais ils manquent de transparence sur ce qui est vraiment en train de se créer. Idéalement on devrait voir les unités promises, et aussi celles qui existent vraiment », déplore le professeur associé de géographie à l’Université Concordia, Ted Rutland, qui a étudié le dossier du logement à Montréal.

Une étude de l’institut du Québec publiée à la fin novembre indiquait que les loyers ont augmenté de près de 20% entre 2016 et 2021 à Montréal et que désormais près du quart des Montréalais consacrent plus de 30% de leur revenu pour se loger.

Dans ce contexte de crise du logement, et pour avoir « un bon débat public » sur l’habitation, une meilleure transparence est de mise, croit M. Rutland.

« Si la Ville ne gère pas bien le dossier du logement, c’est néfaste pour tout le monde et surtout pour les ménages à faible revenu », dit-il.

Voir sur la carte

Le projet Cité Angus était présenté l’automne dernier comme une réalisation de 42 logements abordables dans le bilan de Valérie Plante.

Carte détaillée du projet

Pourtant, à ce moment, il était facile pour la Ville de savoir que ces condominiums ne respectaient pas les critères d’abordabilité.

Le promoteur aurait dû vendre ses unités des dizaines de milliers de dollars moins cher pour qu’elles soient considérées comme abordables. L’unité la moins chère du projet a été vendue 289 900 $ en 2021.

« Ces condos-là ont été mis en vente fin 2018 ou début 2019 », rappelle le vice-président communication et affaires publiques de la Société de développement Angus, Pierre Choquette.

Le promoteur était convaincu de mettre en vente ces unités à des prix abordables puisque les acheteurs étaient éligibles au Programme d’aide à l’acquisition d’une propriété (PAAR).

Le projet Angus
Les condos Cité Angus dans Rosemont. Photo Charles Mathieu, Agence QMI

Mais selon la Ville, Angus devait continuer à respecter les seuils de vente en vigueur au moment où il a signé son entente.

Le responsable de l’habitation dans l’administration Plante, Benoit Dorais, reconnaît que ces unités auraient dû être retirées du bilan.

«On ne retournait pas dans le registre pour venir corriger. Là-dessus, je vous remercie, vous avez permis qu’on demande des correctifs et je l’ai fait dès que j’ai su», a-t-il affirmé en entrevue avec Le Journal.

À lire aussi : Benoit Dorais défend le bilan d’habitation de l’administration Plante

Ajustement au bilan
- 227

Logements privés qui ne verront jamais le jour

13122

En construction

Pas construits,
mais comptés quand même

L’administration montréalaise inclut également dans le bilan de son premier mandat 484 logements qui ne sont toujours pas terminés un an plus tard.


Certains sont tout près d’être complétés.

Le projet Sir John
Le projet Sir John – District Langelier dans Mercier. Photo Dominique Cambron-Goulet, Le Journal de Montréal

Tandis que d’autres sont bien loin d’accueillir leurs premiers locataires.

Le projet Dalia
Site du projet Dalia, à Saint-Laurent. Photo Dominique Cambron-Goulet, Le Journal de Montréal

Le problème, c’est qu’on ignore si tous ces logements abordables verront réellement le jour.

La Ville se défend d’avoir agi de la sorte puisque « la non-réalisation de logements abordables demeure marginale ».

Cependant, selon les données fournies par la Ville, de plus en plus de promoteurs choisissent de payer la pénalité (entre 5 000 et 20 000$ par logement) plutôt que de réaliser les condos abordables.

En 2022 seulement, la Ville a perçu près de 30% de toutes les garanties financières encaissées depuis 2017.

Voir sur la carte

Par exemple, l’administration Plante a inscrit dans son bilan les 60 logements abordables prévus du projet Quartier général, situé dans le Sud-Ouest.

Or, le promoteur, Groupe Prével, indique aujourd’hui que seulement 45 des logements abordables seront finalement construits.

L’entreprise paiera donc éventuellement une pénalité pour les 15 logements non réalisés, mais ce ne sera qu’après la fin de la construction de la dernière phase du projet, prévue en 2024.

Carte détaillée du projet

Inclure tous les logements dans le bilan du premier mandat, s’étant terminé en 2021, s’est donc avéré une décision prématurée.

Les premiers propriétaires ont pu rentrer dans leur logement en octobre 2022 et seulement 23 logements abordables se trouvent dans cette phase du projet.

Les 22 autres logements abordables n’arriveront qu’en 2024.

Projet du Quartier General
Le projet Quartier général dans le Sud-Ouest, est habité depuis octobre seulement. Photo Dominique Cambron-Goulet, Le Journal de Montréal
Voir sur la carte

Des ajouts en 2022

Plusieurs des projets en construction ont été ajoutés dans le bilan depuis janvier dernier, alors que le premier mandat de Valérie Plante était pourtant terminé. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui le décompte officiel de la Ville est rendu à 13 122 logements.

Carte détaillée du projet

C’est le cas du projet tant attendu du Quartier des lumières, sur le site de l’ancienne tour de Radio-Canada. Ce projet de plusieurs milliers de logements doit en compter près de 247 qui seront abordables.

La Ville de Montréal en compte déjà 27 de réalisés, alors que le chantier n’a même pas commencé, confirme le promoteur.

« Les 27 [logements abordables], si tu te promènes sur le terrain et tu les trouves, tu nous feras signe. On serait très curieux de savoir ils sont où », lance à la blague le vice-président marketing et communication chez Groupe Mach, Daniel Durand.

Celui-ci ajoute qu’en raison de la démolition des bâtiments de Radio-Canada qui reste à faire, les logements abordables ne verront possiblement le jour qu’en 2025, soit à la fin du second mandat de l’équipe de Valérie Plante.

Quartier des lumieres
Le seul immeuble dont la construction est commencée dans le Quartier des lumières ne contiendra pas de logements abordables. Photo Dominique Cambron-Goulet, Le Journal de Montréal

Le Regroupement des comités logements et associations de locataires du Québec (RCLALQ) qualifie de « malhonnête » et de « logique comptable » d’inclure des logements dans un bilan avant même qu’ils ne soient construits.

« Pour ne pas dire que c’est carrément du mensonge, c’est jouer sur les mots de parler de logements engagés. Un bilan c’est combien concrètement de logements ont été construits, pas le nombre qu’on a promis. Sinon on peut avancer n’importe quel chiffre », tranche le porte-parole de l’organisme Cédric Dussault.

Quartier des lumières - panneau
Chantier du projet du Quartier des lumières s’échelonnera sur plusieurs années. Photo Dominique Cambron-Goulet, Le Journal de Montréal

La porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), Véronique Laflamme, se questionne à savoir si ces logements seront aussi comptabilisés dans le futur bilan de la mairesse Valérie Plante qui a promis l’an dernier de réaliser 60 000 logements abordables sur dix ans.

«C’est une notion très élastique et il n’y a toujours pas d’objectifs clairs, déplore-t-elle. Qu’est-ce qui va être vraiment abordable et qui va s’adresser aux ménages locataires à faible revenu et qui tombent dans la précarité parce qu’ils n’ont pas d’option?»

Le mois dernier, au conseil municipal, Mme Plante n’avait toujours pas de bilan à présenter par rapport à ces 60 000 nouveaux logements promis.

Ajustement au bilan
- 484

Logements privés qui sont toujours en construction

12895
Quartier de Griffintown
Les condos Mary-Roberts dans le secteur Griffintown. Photo Dominique Cambron-Goulet, Le Journal de Montréal

Chapitre 2

Construits,
mais pour qui
et à quel prix ?

Lorsqu’ils sont construits, les logements abordables sont loin de tous tomber entre les mains de personnes qui sont réellement affectées par la crise du logement. Ceci a même incité la Ville à contourner ses propres prix maximum de vente, pour continuer de considérer comme abordables des logements achetés par des investisseurs.

Voir sur la carte

Seuils non respectés

Des seuils élastiques

La Ville a fait une interprétation très élastique de ses propres seuils d’abordabilité, ce qui a permis à des promoteurs de ne pas payer une pénalité pour des condos vendus pourtant plus cher que le prix maximal.

Vente à rabais d’un terrain gouvernemental, projet d’école abandonné, chicane autour du logement social : le projet résidentiel sur le site de l’ancien hôpital de Montréal pour enfants est controversé depuis ses débuts.

Carte détaillée du projet

Au moins une bonne nouvelle, selon la Ville : 169 des 176 logements abordables prévus au projet ont été réalisés. Or, ce n’est pas tout à fait le cas.

Au moins 19 studios et 4 condos d’une chambre ont été vendus au-dessus des prix maximaux que la Ville avait fixés, mais ont tout de même été considérés comme « abordables », avons-nous constaté.

Projet Square Children
Les tours du projet Square Children’s au centre-ville. Photo Dominique Cambron-Goulet, Le Journal de Montréal

Pourquoi ? Parce que la Ville de Montréal a pris en compte que tous les acheteurs de logements abordables avaient droit à des crédits de taxes pour un logement neuf, bien que ça ne soit pas le cas.

Par exemple, la Ville a jugé « abordable » un condo d’une chambre acheté 261 000$ par un résident de Riyad en Arabie Saoudite, Basil Fannouch, en 2021, alors que le prix maximal pour une telle unité devait être de 250 000$.

S’il s’était qualifié pour le crédit de taxes, Basil Fannouch aurait plutôt payé 249 994$.

Revoir les seuils d’abordabilité

Pour se qualifier pour le crédit de taxes, l’acheteur doit être un particulier et utiliser son logement neuf comme résidence principale, soit pour lui, soit pour un de ses proches.

« Un acheteur ayant bénéficié du remboursement de taxes pour une habitation neuve ne peut utiliser la résidence, entre autres, à titre locatif (que ce soit à court ou long terme), à titre d’investissement ou à titre de résidence secondaire », explique Claude-Olivier Fagnant, porte-parole chez Revenu Québec.

En comptabilisant ces unités dépassant ses propres seuils, la Ville a pu gonfler son bilan de 38 logements abordables supplémentaires venant des projets du Square Children, de celui de Griffintown et de la Cité Midtown.

Cela fait également en sorte que les promoteurs n’ont pas eu à payer des pénalités qui auraient totalisé 560 000$ pour ces unités non réalisées.

Projet Midtown
La construction du projet Cité Midtown à Saint-Laurent n’est pas tout à fait achevée. Photo Dominique Cambron-Goulet, Le Journal de Montréal

Puisque les acheteurs de logements qui n’ont pas droit au crédit de taxes n’ont pas l’intention d’y résider, « ça devient un problème qu’on les compte comme du logement abordable », juge le professeur de travail social à l’Université du Québec à Montréal Louis Gaudreau.

« Ce qui est dérangeant c’est que le promoteur vende des unités abordables à des gens qui ne les utilisent pas à des fins de logement abordable », ajoute-t-il.

Ajustement au bilan
- 38

Seuils non respectés

12411

Réalisés

Le party continue
pour les riches investisseurs

En 2021, notre Bureau d’enquête révélait que des centaines de logements abordables privés avaient été acquis par des entreprises, des investisseurs étrangers, des médecins et même des proches des promoteurs, qui s’empressaient de les louer à fort prix ou de les revendre à fort profit.

Condos Mary-Roberts
Les condos Mary-Roberts situés au 101, rue Peel, à Griffintown. Photos Dominique Cambron-Goulet, Le Journal de Montréal

Dans la dernière année, la situation ne s’est pas du tout améliorée. Parmi les centaines de ventes que nous avons analysées, nous avons trouvé :

  • Une entreprise qui a acheté une unité abordable à 173 942$ du 101 rue Peel et l’a revendue deux jours plus tard pour 315 000$.
  • Un courtier immobilier qui a acheté 4 condos abordables dans ce même édifice, avec quatre copropriétaires différents.
  • Deux entreprises à numéro appartenant aux mêmes personnes qui ont acquis trois logements abordables dans le projet Children et trois dans le projet Union sur le Parc.

L’an dernier, le responsable de l’habitation au sein de l’administration Plante, Robert Beaudry, avait qualifié ce type de situations d’« inacceptables ».

Toutefois, la Ville a continué d’inclure dans son bilan des logements « abordables » du genre.

Une vieille bâtisse
Photo Emmanuelle Houle, Journal de Montréal

Chapitre 3

Bien peu
de logements neufs

En 2017, le parti de la mairesse Plante, Projet Montréal avait promis en campagne électorale de construire « un minimum » de 12 000 logements sociaux et abordables.

Une fois au pouvoir, un an plus tard, Valérie Plante a détaillé sa stratégie pour y arriver. Elle a alors convenu qu’il ne s’agirait pas que de nouvelles constructions.

« La grande majorité des 12 000 unités seront des unités neuves, avait-elle avancé. Lorsqu’on réussit à préserver des logements locatifs abordables qui risquaient de ne plus l’être, nous allons les comptabiliser. »

Or, ce n’est pas du tout ce qui s’est produit. Plus de 60% des logements abordables « développés » par l’administration Plante étaient déjà construits.

Des subventions pour de vieux logements

Abordable
privé
1550
Abordable
subvention
5439
Logements déjà existants
4271
Abordable
rénovation
1091
Abordable
projet novateur
699
Logement
social
4343

Plus de 40% des logements du bilan mis de l’avant par la mairesse proviennent des subventions du programme d’aide à l’acquisition d’une propriété (PAAR), soit 5262 logements.

« Ça va en faire partie, mais ce n’est pas la plus grande quantité qui passe là. Mais je n’ai aucune gêne à dire que l’argent qu’on met de côté pour le programme d’accès à la propriété, je n’ai pas être gênée de ça que ça compte dans les unités. » -Valérie Plante en entrevue avec le Journal en 2019 sur le fait d’inclure les subventions dans le bilan des logements.

La mairesse Valérie Plante en entrevue avec le Journal en octobre 2019. Photo Chantal Poirier, archives Le Journal de Montréal

Mais il ne s’agit pas nécessairement d’unités que la Ville jugerait abordables selon ses propres seuils et encore moins exclusivement d’unités neuves.

Seuils abordables privés
et seuils de la subvention (2021)

Logement abordable

  • Studio : 200 000$
  • 1 chambre : 250 000$
  • 2 chambres : 280 000$
  • 3 chambres : 360 000$

Subvention

  • Condo existant : 400 000 $
  • Plex existant : 450 000 $
  • Multiplex existant : 500 000 $
  • Logement neuf personne seule : 225 000 $
  • Logement neuf couple : 280 000 $
  • Logement neuf famille : 400 000 $
  • Logement neuf pour famille (centre-ville) : 450 000 $

Selon les chiffres que nous avons obtenus, sur les 5262 « logements abordables » venant du programme de subvention, au moins 4271 sont des logements déjà existants.

Il peut s’agir de plex centenaires, comme de condos datant de quelques années.

Ted Rutland
Ted Rutland Photo tirée du site web de l’Université Concordia

« Le plus frustrant dans les chiffres [de la Ville], c’est le fait que le programme de subvention d’accès à la propriété a une forte tendance à subventionner l’achat de condos qui existent déjà », juge le professeur associé en géographie à l’Université Concordia, Ted Rutland.

Il se questionne à savoir si l’objectif de la Ville est de régler des problèmes de logements ou favoriser l’accès à la propriété.

« On est en train de subventionner l’embourgeoisement et on doit questionner si on doit utiliser des fonds publics pour faire ça », pense-t-il à propos de subventions pour des condos à 400 000 ou 450 000$ qui sont considérés comme des logements abordables.

Multiplex
Pas moins de 501 multiplex existants ont été comptés comme des logements abordables développés par l'administration Plante. Photo banque d’images

Selon le professeur en travail social à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Louis Gaudreau, le fait d’inclure des subventions d’accès à la propriété dans des objectifs d’abordabilité peut relever de la contradiction.

« Une mesure pour rendre plus abordable l’accès à la propriété n’est pas nécessairement une mesure qui aide à régler la crise du logement », affirme-t-il.

Selon M. Gaudreau, un des problèmes du logement dit « abordable » est que son prix est fixé par rapport au marché et non par rapport au revenu des occupants comme c’est le cas pour du logement social.

« Si on faisait le calcul en fonction de la capacité de payer, on se rendrait compte que c’est très cher », avance-t-il.

Ajustement au bilan
- 4271

Subventions à des logements déjà existants

12373

Des logements comptés deux fois

En comptabilisant des subventions comme des logements, la Ville s’est retrouvée à en compter certains en double, avons-nous découvert : une fois pour sa construction et une autre fois parce qu’un acheteur avait eu une subvention.

Abordable
privé
1550
Abordable
subvention
5439
Logements neufs
1047
Abordable
rénovation
1091
Abordable
projet novateur
699
Logement
social
4343

Au total, 98 logements sont comptés deux fois dans les 13 122 du bilan, admet la Ville.

Le Service de l’habitation dit avoir « jugé non pertinent » d’éviter cette double comptabilité, car la création de logements abordables par les promoteurs et le soutien à l’acquisition d’une propriété sont deux choses distinctes.

Le porte-parole Guillaume Rivest affirme que la Ville a pu compter dans son bilan un même condo comme étant réalisé par un promoteur, puis comme une subvention d’une propriété existante « dans les cas où le premier propriétaire procède à la revente d’une unité non subventionnée rapidement ».

Mais dans une douzaine de cas, il s’agit du premier achat qui est compté deux fois.

Par exemple, le projet Cité Angus ajoute 42 logements au bilan de la mairesse alors que les seuils de vente n’ont même pas été respectés par le promoteur (voir chapitre 1).

Les condos Cité Angus
Les condos Cité Angus dans Rosemont. Photo Charles Mathieu, agence QMI

Mais, en plus, huit ménages qui ont acheté un de ces condos sont aussi comptés dans les subventions pour logements neufs dans ce même bilan.

La Ville reconnaît que la subvention donnée à un acheteur peut être comptée même si le promoteur a été pénalisé parce que cette même propriété a été vendue trop cher.

« Certains promoteurs peuvent préférer payer une pénalité plutôt que de respecter leurs engagements en matière de création de logements abordables.

Cette situation n’affecte aucunement l’admissibilité d’un ménage au programme de soutien à la propriété », indique le Service de l’habitation.

Des rénovations comptabilisées

En plus d’inclure de vieux plex et des condos déjà existants dans son bilan de logements abordables, l’administration Plante y a aussi compté la rénovation de 1091 appartements situés dans des coopératives d’habitation qui, avant même l’intervention de la Ville, étaient déjà abordables.

Abordable
privé
1550
Abordable
subvention
5439
Abordable
rénovation
1091
Abordable
projet novateur
699
Logement
social
4343

Depuis 2018, l’administration Plante n’a jamais caché que des subventions pour la rénovation de logements abordables seraient comptabilisées dans son bilan.

Toutefois, cela n’empêche pas les experts et organismes de défense du droit au logement de trouver que cette inclusion est discutable.

« Les coopératives ce sont déjà des organismes à but non lucratif et dans certains cas, il y a déjà des subventions [du gouvernement] qui permettent d’abaisser le loyer à 25% du revenu [des locataires], explique Louis Gaudreau. C’est déjà censé être abordable. »

Ajustement au bilan
- 1091

Rénovation de logements déjà abordables

8102
Rose des vents dans Rosemont
Les logements étudiants Rose des vents dans le quartier Rosemont. Photo Charles Mathieu, agence QMI

Chapitre 4

Des chambres comptées
au lieu de logements

En plus d’inclure dans le décompte de ses 12 000 logements des condos qui ne sont pas encore construits, l’administration Plante a comptabilisé les chambres au lieu des appartements dans deux projets, gonflant ainsi son bilan de 89 logements inexistants.

Abordable
privé
1550
Abordable
subvention
5439
Abordable
rénovation
1091
Abordable
projet novateur
699
Chambres comptées
comme logements:
89
Logement
social
4343

L’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE) a développé dans les dernières années le concept de logements locatifs destinés uniquement pour les étudiants.

Financés en partie par de l’argent de la Ville de Montréal, deux projets ont vu le jour. Un sur la rue Papineau en 2020 et l’autre dans le secteur Angus à l’été 2022.

Dès 2021, ces deux projets ont été inclus comme 302 logements abordables réalisés dans le bilan de la mairesse Valérie Plante. Mais dans les faits, il s’agit plutôt d’un nombre de chambres réparties dans 213 logements.

Chambre UTILE
Chambre d’un appartement du projet Rose des vents de l’organisme UTILE. Photo tirée du site web d’UTILE

« On a l’habitude de compter en chambres plus qu’en logements parce que ce qui est important à nos yeux c’est le nombre d’étudiants qu’on héberge et non le nombre de portes qu’on a », indique Maxime Pelletier, porte-parole de l’organisme UTILE.

Bien que son plan se nomme Stratégie 12 000 logements, la Ville se défend d’avoir compté des chambres sous prétexte que cela permet de savoir le nombre d’étudiants logés.

« Dans une colocation, c’est en quelque sorte plusieurs ménages qui cohabitent d’où la volonté de compter en nombre de chambres et non de logements », défend le porte-parole de la Ville, Guillaume Rivest.

Pourtant, dans les documents que la Ville fait signer aux promoteurs, elle définit un logement ainsi : « Une pièce ou suite de pièces […] où l’on peut préparer des repas et dormir, et comportant des installations sanitaires composées d’un moins un W.-C., d’une baignoire ou d’une douche, d’un lavabo et d’un évier de cuisine. »

Une définition bien loin de celle d’une chambre.

Ajustement au bilan
- 89

chambres comptées comme des logements

7011
Coopératives
La Coopérative de solidarité Les Voisins de Viau-Robert. Photo Dominique Cambron-Goulet, Le Journal de Montréal

Chapitre 5

Du logement social
qui se fait attendre

L’administration Plante n’a jamais atteint son objectif de créer 6 000 logements sociaux en quatre ans. Et selon des organismes de droit au logement, les chances que les logements inscrits comme « en conception » au bilan de Valérie Plante soient construits sont assez faibles.

Abordable
privé
1550
Abordable
subvention
5439
Abordable
rénovation
1091
Abordable
projet novateur
699
Logement
social
4343

Sous la pression populaire, l’administration Plante a dévoilé dans son bilan l’état d’avancement des 4343 logements sociaux et communautaires qu’elle dit avoir réalisés entre 2017 et 2021.

« On le savait que c’était moins de 6000, mais ce qu’on constate aujourd’hui c’est qu’il y en a très peu qui ont été construits », souligne la porte-parole du FRAPRU, Véronique Laflamme.

Encore sur la planche à dessin

Selon le plus récent décompte présenté par la Ville 1499 logements sociaux sont toujours en conception

Logement
social
4343
Toujours en conception
1499

Ceux-ci sont en attente de financement du gouvernement provincial pour voir le jour. Mais, ils pourraient être sur la liste d’attente bien longtemps.

Depuis son arrivée au pouvoir, la Coalition avenir Québec n’investit plus dans le fonds Accès Logis qui servait à financer ces constructions de logements sociaux, une décision que déplorent les organismes de droit au logement.

« Les chances que ce soit vraiment du logement social, de dire qu’elles sont faibles c’est un euphémisme. Malheureusement, dans les conditions actuelles, si ces logements ne sont pas déjà construits, les chances sont presque nulles que ce soit du logement social », juge le porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), Cédric Dussault.

Selon lui, l’administration Plante pourrait trouver une manière de les financer sous forme de logements abordables, mais ça « ne respecte pas l’esprit de la promesse de départ. »

Véronique Laflamme dit garder espoir qu’ils se réalisent.

« Ce sont des projets qui dans certains cas sont attendus depuis des années et qui sont menacés de ne pas voir le jour », rappelle-t-elle.

Selon Ted Rutland, avec l’abandon du programme Accès Logis, la Ville de Montréal devra reconnaître tôt ou tard que ses objectifs ne seront pas atteints et que ses politiques en logement social sont inopérantes en raison de la décision du gouvernement de François Legault.

« On doit reconnaître qu’on n’a plus de programme de logements sociaux à Montréal en ce moment et que la politique pour une métropole mixte ne marche plus », jure M. Rutland.

ilot Rosemont
Le projet Ilôt Rosemont accueille en décembre ses premiers résidents, mais ses 193 logements sont au bilan depuis plus d’un an et demi. Photo Dominique Cambron-Goulet, Le Journal de Montréal

Encore en chantier

Selon le même décompte de la Ville, 1186 logements sociaux sont toujours en construction, un an après la fin du mandat.

Logement
social
4343
Encore en chantier
1186

Les organismes de défense du logement constatent que la manie de comptabiliser des logements en livraison semble se répandre parmi la classe politique.

Ceux-ci rappellent qu’en campagne électorale à l’automne, François Legault avait dit avoir fait 15 000 logements, alors que seul le tiers a vraiment été construit.

« Compter des logements qui ne sont pas livrés, c’est difficile à suivre, dit Mme Laflamme. Ce qu’on finit par voir ce sont des logements qui sont annoncés plusieurs fois, mais ils ne sont toujours pas construits. »

Au final, même en incluant les condos qui sont habités depuis 2022, ce sont seulement 4422 nouveaux logements sociaux et abordables qui ont réellement vu le jour sur les plus de 13 122 comptés par l’administration de la mairesse Valérie Plante.

Selon le RCLALQ, ce type de bilan comptabilité est malhonnête. 

« C’est malhonnête envers les gens de prétendre remplir un engagement s’il suffit d’avancer un chiffre pour dire que c’est fait », croit son porte-parole, Cédric Dussault.

Les organismes de défense du logement constatent que la manie de comptabiliser des logements en livraison semble se répandre parmi la classe politique.

Ajustement au bilan
- 2685

logements sociaux en conception ou en construction

6922

Bilan

Au final, même en incluant les condos qui sont habités depuis 2022, c’est un maximum de 4237 nouveaux logements sociaux et abordables qui ont réellement vu le jour sur les plus de 13 122 comptés par l’administration de la mairesse Valérie Plante.

Selon le RCLALQ, ce type de bilan comptabilité est malhonnête. 

« C’est malhonnête envers les gens de prétendre remplir un engagement s’il suffit d’avancer un chiffre pour dire que c’est fait », croit son porte-parole, Cédric Dussault.

Méthodologie

  • Les données sur la Stratégie 12 000 logements viennent du site web de la Ville de Montréal, à l’exception des données sur le Soutien à l’acquisition de logements abordables, qui viennent d’une demande d’accès à l’information. Tous les chiffres sont en date de septembre 2022.
  • Les données concernant les pénalités encaissées par la Ville pour les projets de logements abordables privés du bilan datent de décembre.
  • Des logements du programme Accès Condos de la Société d’habitation de Montréal (SHDM) se retrouvent dans l’axe 5, soit le « Soutien à l’acquisition de logements abordable ». Le programme Accès Condos permettait à de premiers acheteurs d’avoir un condo à prix réduit, grâce à une subvention de la Ville. Ils devaient s’engager à y habiter pendant un certain nombre d’années et redonner une partie des profits de la vente à la Ville au moment de leur départ.
  • Afin de vérifier le décompte de la Ville pour le logement abordable privé, nous sommes allés voir tous les projets inclus au bilan, entre le 25 octobre et le 10 novembre 2022.
  • Ensuite, nous avons vérifié les transactions immobilières de tous les projets de condos concernés. Quand des clarifications étaient nécessaires, nous avons tenté de joindre les promoteurs. Certains n’ont pas donné suite à nos demandes et certains ont refusé de répondre à nos questions.
  • Pour trois projets locatifs soit le Milhaus, McCord condos et Voltige, n’ayant pas accès aux baux, nous avons compté les logements abordables comme étant réalisés, faute de preuves contraires.
  • Dans la carte interactive, le projet Bassins du nouveau havre a été séparé en deux parties en raison du nombre important de promoteurs impliqués.
Crédits

Journalistes : Dominique Cambron-Goulet
et Charles Mathieu

Design et réalisation : David Lambert

Intégration web
et visualisation de données :
Cécilia Defer

Animation : Alexandre Pellet

Direction création contenus : Charles Trahan

Chapitre 1Des centaines de logements n'ont pas vu le jour Chapitre 2Construits, mais pour qui et à quel prix? Chapitre 3Bien peu de logements neufs Chapitre 4Des chambres comptées au lieu de logements Chapitre 5Du logement social qui se fait attendre BilanMéthodologie