En 2022, ce sont quelque 20 000 migrants qui ont franchi la frontière entre l’État de New York et le Québec, via cette route qui sert de porte d’entrée aux migrants irréguliers depuis maintenant quelques années.
Images J.E
Parmi les milliers de migrants qui ont franchi le chemin Roxham depuis le début de l’année, certains sont partis d’aussi loin que la jungle équatoriale et ont dû parcourir jusqu’à 8000 kilomètres pour se rendre au Québec, au péril de leur vie.
C’est le cas de deux hommes rencontrés par notre Bureau d’enquête il y a quelques mois, au Panama, et qui ont pu atteindre la province au cours des dernières semaines.
« Dans mon périple, j’ai affronté beaucoup d’épreuves. C’est un voyage dangereux. Si la grâce de Dieu n’est pas avec toi, tu ne pourras pas survivre », témoigne Kingsley, originaire du Nigéria, lorsque rencontré à Montréal. En avril, il avait quitté le Brésil pour remonter l’Amérique en entier. Destination : le Canada.
C’est en surfant sur internet qu’il a découvert que le meilleur endroit pour entrer au pays était le chemin Roxham.
Prince, un autre migrant, raconte pour sa part qu’il a bien failli mourir de faim et de soif lors de sa traversée du Darién, une région sauvage du Panama.
C’est justement à la sortie de cette jungle – réputée très dangereuse – que l’équipe de J.E. s’est rendue pour faire état des obstacles extrêmes que rencontrent ces migrants.
Certains, comme Prince et Kinglsey, sont finalement parvenus à franchir le chemin Roxham ; d’autres sont encore coincés quelque part aux États-Unis ou en Amérique latine, par manque d’argent ou dans l’attente d’autorisations gouvernementales.
Plusieurs des migrants que nous avons suivis ont quitté leur pays parce qu’ils n’arrivaient plus à nourrir leur famille. D’autres ont fui la persécution de leur communauté ou un mariage forcé.
Ils n’avaient souvent qu’une idée abstraite de la route qu’ils comptaient emprunter vers le nord, et même de leur destination finale. Pour tenter d’y arriver, ils ont dû traverser les frontières d’une dizaine de pays, que ce soit à pied ou en autobus, dans l’espoir d’une vie meilleure, au nord du continent.
Par ailleurs, ce périple est loin d’être gratuit: il faut payer le passage à certaines frontières, débourser pour le transport, se nourrir et se loger. Sans compter les brigands, qui attaquent sournoisement et privent les voyageurs de leurs précieux dollars. Certains seront même forcés de mettre un frein à leur voyage pour travailler et amasser de l’argent. D’autres sont aussi interceptés par les autorités et détenus pour avoir franchi les frontières illégalement en quête d’une vie meilleure.
- Avec la collaboration de Maude Boutet
Un jeune homme originaire du Ghana a dû traverser 13 pays avant d’arriver enfin à Montréal par le fameux chemin Roxham.
Maintenant qu’il a atteint la destination rêvée, Prince désire apprendre le français et travailler «le plus vite possible». Non seulement pour subvenir à ses propres besoins, mais surtout pour envoyer de l’argent à sa sœur qui souhaite le rejoindre.
«Je veux absolument lui éviter d’avoir à subir la traversée de la jungle, c’était terrible», confie-t-il à notre Bureau d’enquête.
La jungle en question, c’est le Darién, seul endroit de son périple dépourvu de route. Après cinq jours à y risquer sa vie, Prince a songé à tout abandonner. Avec le recul, il se rend compte qu’il n’avait aucune idée des épreuves qui se dresseraient sur sa route.
«Si j’avais su à quel point c’était difficile, je ne pense pas que je l’aurais fait. À mi-chemin je voulais tout arrêter, mais c’était impossible», a-t-il raconté.
Prince a mis 10 jours pour parcourir les sentiers de cette jungle hostile. Une morsure de serpent, un pas au mauvais endroit, un criminel sorti de nulle part : on peut perdre la vie en un instant dans ce passage obligé.
Étant seul et vulnérable auprès des criminels, il s’est greffé à des groupes de migrants qui n’avaient que pour seul avantage la force du nombre.
«Je n’ai pas mangé pendant dix jours, et on buvait l’eau de pluie», a-t-il ajouté.
Malgré les défis qu’il a dû affronter en Amérique, quitter le Ghana était selon lui la seule avenue possible. En février dernier, sa mère y a été sauvagement attaquée à coup de couteau. À ce jour, il n’a aucune idée de l’identité des assaillants ni de leurs motivations.
« Le bouchon du Darién, c’est un lieu sans loi. En fait, c’est la loi du plus fort », résume à notre Bureau d’enquête Ohigginis Arcia Jaramillo, journaliste pour le quotidien La Prensa, au Panama.
Les migrants qui veulent rejoindre le Canada ou les États-Unis à partir du Sud doivent y marcher pendant des jours, dans des conditions exécrables et périlleuses. Au terme d’un éreintant voyage, certains d’entre eux emprunteront le désormais célèbre chemin Roxham, principale porte d’entrée du Québec pour ces migrants irréguliers.
Mais avant de franchir cette ultime étape, ils devront affronter plusieurs dangers. Le Darién, ce sont quelque 100 km de jungle dense et accidentée qui séparent la Colombie du Panama, entre les Amériques du Sud et Centrale. Il s’agit du seul endroit entre le nord et le sud du continent n’étant pourvu d’aucune route.
« C’est une réalité qu’on voit depuis quelques années. Ce n’est pas un phénomène nouveau. Mais le nombre de migrants a augmenté significativement depuis l’an dernier », explique Santiago Paz Noboa, chef de mission au Panama pour l’Organisation internationale pour les migrations, une branche de l’ONU.
En 2021, quelque 133 726 personnes, dont plus de la moitié d’origine haïtienne, ont franchi le bouchon du Darién, selon des données du gouvernement panaméen. C’est autant que pendant les 10 années précédentes.
Sources : Service national de l'immigration du Panama et WOLA
Notre Bureau d’enquête est allé à la sortie du Darién pour rencontrer ces migrants qui ont tout risqué dans l’espoir d’une vie meilleure. Vous pourrez entendre leurs témoignages ce soir à J.E., ou lire leurs histoires demain dans le Journal.
« Ils poursuivent le rêve américain. Ils pensent que c’est facile d’arriver aux États-Unis et au Canada et qu’ils vont améliorer leur situation économique, poursuit M. Paz Noboa. Mais ce n’est pas nécessairement vrai. Ils ne sont pas informés de tous les risques qu’ils courent pendant la traversée. »
Et pour cause : au moins cinquante personnes ont perdu la vie en 2021 lors de la traversée, un chiffre sans doute sous-évalué. Plusieurs enfants figurent au nombre des victimes. Les migrants qui parviennent de l’autre côté n’arrivent jamais indemnes, que ce soit physiquement ou psychologiquement.
« Hier, une femme a perdu son bébé de 8 mois et a dû être évacuée dans un centre de santé, nous confie Nuria Gonzalez, une psychologue en mission pour Médecins sans frontière. Mais que je trouve particulièrement difficile, c’est d’entendre des histoires comme des cas de violences sexuelles graves. »
« On retourne à la maison et on y pense encore. »
Textes et recherche : Denis Therriault et Pascal Dugas Bourdon
Recherche : Maude Boutet
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