publié par Augustin Côté et Joseph Cauchon,
rédacteurs-propriétaires.
le naufrage du Scotsman refait surface.
Scientifiques et spécialistes de la réalité virtuelle font revivre une importante découverte archéologique sous-marine près de Rimouski
Votre lampe de poche sous-marine éclaire une ancre qui gît à près de 30 mètres de profondeur dans les eaux du Saint-Laurent et une voix dans vos écouteurs vous signale que cette découverte est intéressante. « Vous voici devant une des trois ancres du Scotsman, bien joué! » poursuit la voix du commandant de bord.
En réalité, vous avez les deux pieds dans un local du Mile-End et votre hôte, Jean-François Malouin, reprend le casque de réalité virtuelle qui vous a permis quelques instants de jouer à l’archéologue sous-marin, au large du parc national des îles du Bic. Son rôle a été de reconstituer l’épave qui permettra aux visiteurs du musée de l’Islet-sur-mer, au Bas-Saint-Laurent, des plongées immersives.
L’épave que vous avez explorée est celle du Scotsman, un deux-mâts écossais qui a fait naufrage dans la nuit du 20 novembre 1846. Le navire marchand, qui partait de Montréal et se dirigeait vers Liverpool, en Angleterre, a coulé avec sa cargaison de blé, farine, bois et tonneaux en pièces détachées destinés au commerce du rhum et de la mélasse. Seul un membre de l’équipage formé de neuf personnes a survécu au drame.
« C’est la plus vieille épave relativement complète dans le Bas-Saint-Laurent », mentionne l’historien maritime et plongeur professionnel Samuel Côté. Surnommé le « Chasseur d’épaves » en raison de la série de documentaires diffusés sur Historia de 2014 à 2017, Samuel Côté a formellement identifié le Scotsman en 2015. On croyait jusque-là qu’il s’agissait d’une goélette disparue en 1938.
Ses observations ont été confirmées par des chercheurs de l’Institut d’histoire maritime et d’archéologie subaquatique (IRHMAS) et de l’Université de Montréal. La description du Scotsman figure désormais sur le site du Répertoire du patrimoine culturel du Québec.
Bâti en 1834 par l’armateur écossais John Duncanson, le Scotsman mesure 25 mètres de long par 7 mètres de large et pèse 184 tonnes. Sa coque est recouverte de feuilles de cuivre et on peut voir encore les chiffres romains indiquant le tirant d’eau sur l’étrave (proue).
Le Scotsman a navigué pendant 12 ans. On lui attribue 60 voyages à travers le monde, de New York à Glasgow et Édimbourg en passant par Rio de Janeiro, Buenos Aires et Naples. Il a aussi mouillé dans des ports des Caraïbes, de la Baltique, de la Russie, sans parler de ceux de Québec et Montréal.
C’est au cours d’une tempête nocturne d’automne que le Scotsman frappe un rocher au large du Bic et dérive avant de couler. Les membres de l’équipage sous la direction du capitaine James Jamieson embarquent dans les canots de sauvetage mais un seul survivant parvient à l’île Saint-Barnabé où il est rescapé le lendemain par des habitants de Rimouski. On ignore le nom de ce survivant, comme le rapporte le Journal de Québec le 26 novembre 1846.
Il y a 20 ans, en 2002, le Service hydrographique du Canada identifie une épave à une dizaine de kilomètres au large du parc national des îles du Bic, qu’il attribue à tort à la goélette Lina Gagné.
Le plongeur Samuel Côté, accompagné de ses collègues Benoît Bourgeois, Benoît Chassé et Michel Côté, consulte de nombreux documents d’époque et émet l’hypothèse que l’épave est bel et bien celle du Scotsman. Il multiplie les plongées à partir de 2010 et identifie une marque au poinçon dans une pièce de cuivre qui identifie le fournisseur du constructeur, « Muntz’s Metal Company ».
« Ce n’est pas ma découverte la plus importante mais c’est celle qui m’a demandé le plus de travail », mentionne le chasseur d’épave qui a dédié son travail à Benoît Bourgeois, mort en plongée au début de la décennie 2010.
Entre les premières plongées et les plus récentes, de nombreux artefacts ont disparu, déplorent les archéologues sous-marins. Dans le rapport d’intervention archéologique sur le Scotsman, l’IRHMAS et ses collaborateurs recommandent d’« agir pour la conservation des vestiges ». « Il est recommandé de poursuivre les recherches étant donné la nature exceptionnelle des vestiges et leur exposition aux éléments et à de possibles pillages », peut-on lire.
M. Côté déplore le peu d’efforts déployés au Québec pour empêcher les plongeurs de s’emparer d’artefacts. « Les gens qui explorent les fonds marins croient qu’ils peuvent emporter leurs découvertes. C’est faux », résume-t-il.
À partir d’images authentiques de plongées sous-marines effectuées en 2020 et 2021, l’équipe de concepteurs de réalité virtuelle de l’entreprise montréalaise Super Splendide sous la direction de Jean-François Malouin a recréé le fond marin où repose le Scotsman.
Les visiteurs du musée de la mer de l’Islet-sur-mer pourront effectuer des plongées interactives d’une dizaine de minutes.
Archéologues subaquatiques, cartographes, experts de l’infographie assistée par ordinateur et concepteurs de simulation de réalité virtuelle ont uni leurs forces pour recréer cette plongée interactive.
La reconstitution de l’épave se base sur les images vidéo tournées par les plongeurs, puis traitées à l'aide de logiciels permettant la conversion en trois dimensions. Rien n’a été laissé au hasard. Les informations présentées dans la simulation sont tirées d’un rapport scientifique déposé par les archéologues en 2021.
« C’est un projet dont nous sommes très fiers et qui s’insère dans le cadre du programme Voir la mer », commente Isabel Cayer, directrice du Centre de développement en intelligence numérique du Cégep de Matane. Il s’agissait de mettre en valeur les images tournées en profondeur pour en faire profiter le grand public. L’inauguration de l'exposition virtuelle est prévue pour le printemps 2023.
Une conférence sur la découverte et la mise en valeur de l’épave du Scotsman aura lieu le 27 octobre au Cœur des sciences de l’UQAM.
Recherche et rédaction : Mathieu-Robert Sauvé
Design et réalisation : David Lambert
Intégration web et animation : Cécilia Defer
Direction, création éditoriale : Charles Trahan