La une du Journal de Québec du 26 novembre 1846,
publié par Augustin Côté et Joseph Cauchon,
rédacteurs-propriétaires.
La une du Journal
Image BAnQ / Photomontage JDM
Dans cette édition de quatre pages, on annonce notamment de « Nouveaux arrivages de pelleteries » comprenant des souliers d’orignal et des manchons d’écureuil gris.
Extrait du journal
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Mais ce n’est pas cette réclame du marchand F.E. Garant qui nous intéresse ici.
C’est plutôt en page 2 qu’un entrefilet du Journal relate les circonstances du naufrage du Scotsman, survenu une semaine plus tôt près de Rimouski.
Extrait du Journal La une du Journal
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Plus de 175 ans plus tard,
le naufrage du Scotsman refait surface.
Brigg
Plonger
sans se mouiller
À la découverte d’une épave
du fleuve Saint-Laurent
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Scientifiques et spécialistes de la réalité virtuelle font revivre une importante découverte archéologique sous-marine près de Rimouski

Votre lampe de poche sous-marine éclaire une ancre qui gît à près de 30 mètres de profondeur dans les eaux du Saint-Laurent et une voix dans vos écouteurs vous signale que cette découverte est intéressante. « Vous voici devant une des trois ancres du Scotsman, bien joué! » poursuit la voix du commandant de bord.

Séquence fournie par le Studio Super Splendide

En réalité, vous avez les deux pieds dans un local du Mile-End et votre hôte, Jean-François Malouin, reprend le casque de réalité virtuelle qui vous a permis quelques instants de jouer à l’archéologue sous-marin, au large du parc national des îles du Bic. Son rôle a été de reconstituer l’épave qui permettra aux visiteurs du musée de l’Islet-sur-mer, au Bas-Saint-Laurent, des plongées immersives.

L’épave que vous avez explorée est celle du Scotsman, un deux-mâts écossais qui a fait naufrage dans la nuit du 20 novembre 1846. Le navire marchand, qui partait de Montréal et se dirigeait vers Liverpool, en Angleterre, a coulé avec sa cargaison de blé, farine, bois et tonneaux en pièces détachées destinés au commerce du rhum et de la mélasse. Seul un membre de l’équipage formé de neuf personnes a survécu au drame.

Epave
Une partie de l’épave qu’on peut voir durant la visite virtuelle. Image fournie par le Studio Super Splendide

« C’est la plus vieille épave relativement complète dans le Bas-Saint-Laurent », mentionne l’historien maritime et plongeur professionnel Samuel Côté. Surnommé le « Chasseur d’épaves » en raison de la série de documentaires diffusés sur Historia de 2014 à 2017, Samuel Côté a formellement identifié le Scotsman en 2015. On croyait jusque-là qu’il s’agissait d’une goélette disparue en 1938.

Ses observations ont été confirmées par des chercheurs de l’Institut d’histoire maritime et d’archéologie subaquatique (IRHMAS) et de l’Université de Montréal. La description du Scotsman figure désormais sur le site du Répertoire du patrimoine culturel du Québec.

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Le bateau

Bâti en 1834 par l’armateur écossais John Duncanson, le Scotsman mesure 25 mètres de long par 7 mètres de large et pèse 184 tonnes. Sa coque est recouverte de feuilles de cuivre et on peut voir encore les chiffres romains indiquant le tirant d’eau sur l’étrave (proue).

Le bateau
Un brick est un voilier marchand qui est considéré comme le sommet du genre au 19e siècle. Il sera bientôt remplacé par le bateau à vapeur. Illustration tirée du Dictionnaire Maritime Illustré Paasch, 1894 (via IRHMAS)
Le bateau
Étrave du Scotsman. Les chiffres romains permettent d’identifier le tirant d’eau. Photo Richard Laroque

Le Scotsman a navigué pendant 12 ans. On lui attribue 60 voyages à travers le monde, de New York à Glasgow et Édimbourg en passant par Rio de Janeiro, Buenos Aires et Naples. Il a aussi mouillé dans des ports des Caraïbes, de la Baltique, de la Russie, sans parler de ceux de Québec et Montréal.

Représentation par intelligence artificielle de la tempête ayant emporté le brick Scotsman. Illustration fournie par le Studio Splendide

Le naufrage

C’est au cours d’une tempête nocturne d’automne que le Scotsman frappe un rocher au large du Bic et dérive avant de couler. Les membres de l’équipage sous la direction du capitaine James Jamieson embarquent dans les canots de sauvetage mais un seul survivant parvient à l’île Saint-Barnabé où il est rescapé le lendemain par des habitants de Rimouski. On ignore le nom de ce survivant, comme le rapporte le Journal de Québec le 26 novembre 1846.

Image BAnQ / Photomontage JDM

La découverte

Il y a 20 ans, en 2002, le Service hydrographique du Canada identifie une épave à une dizaine de kilomètres au large du parc national des îles du Bic, qu’il attribue à tort à la goélette Lina Gagné.

Le plongeur Samuel Côté, accompagné de ses collègues Benoît Bourgeois, Benoît Chassé et Michel Côté, consulte de nombreux documents d’époque et émet l’hypothèse que l’épave est bel et bien celle du Scotsman. Il multiplie les plongées à partir de 2010 et identifie une marque au poinçon dans une pièce de cuivre qui identifie le fournisseur du constructeur, « Muntz’s Metal Company ».

La marque au poinçon de la « Muntz’s Metal Company » est perceptible au centre de l’image. Photo Samuel Côté

« Ce n’est pas ma découverte la plus importante mais c’est celle qui m’a demandé le plus de travail », mentionne le chasseur d’épave qui a dédié son travail à Benoît Bourgeois, mort en plongée au début de la décennie 2010.

Assiette trouvée dans l’épave du Scotsman. Photo Stéphane Fournier

Les pillages

Entre les premières plongées et les plus récentes, de nombreux artefacts ont disparu, déplorent les archéologues sous-marins. Dans le rapport d’intervention archéologique sur le Scotsman, l’IRHMAS et ses collaborateurs recommandent d’« agir pour la conservation des vestiges ». « Il est recommandé de poursuivre les recherches étant donné la nature exceptionnelle des vestiges et leur exposition aux éléments et à de possibles pillages », peut-on lire.

Le bateau
Le navire comptait trois ancres dont l’ancre tribord que les plongeurs ont pu découvrir. Photo Richard Larocque

M. Côté déplore le peu d’efforts déployés au Québec pour empêcher les plongeurs de s’emparer d’artefacts. « Les gens qui explorent les fonds marins croient qu’ils peuvent emporter leurs découvertes. C’est faux », résume-t-il.

L’expérience virtuelle

À partir d’images authentiques de plongées sous-marines effectuées en 2020 et 2021, l’équipe de concepteurs de réalité virtuelle de l’entreprise montréalaise Super Splendide sous la direction de Jean-François Malouin a recréé le fond marin où repose le Scotsman.

Les visiteurs du musée de la mer de l’Islet-sur-mer pourront effectuer des plongées interactives d’une dizaine de minutes.

Séquence fournie par le Studio Super Splendide

Archéologues subaquatiques, cartographes, experts de l’infographie assistée par ordinateur et concepteurs de simulation de réalité virtuelle ont uni leurs forces pour recréer cette plongée interactive.

La reconstitution de l’épave se base sur les images vidéo tournées par les plongeurs, puis traitées à l'aide de logiciels permettant la conversion en trois dimensions. Rien n’a été laissé au hasard. Les informations présentées dans la simulation sont tirées d’un rapport scientifique déposé par les archéologues en 2021.

Le bateau
Vue de l’ensemble de la coque visible. Les portions colorées sont les parties captées par la caméra. Image fournie par le Centre de développement et de recherche en intelligence numérique (CDRIN)

« C’est un projet dont nous sommes très fiers et qui s’insère dans le cadre du programme Voir la mer », commente Isabel Cayer, directrice du Centre de développement en intelligence numérique du Cégep de Matane. Il s’agissait de mettre en valeur les images tournées en profondeur pour en faire profiter le grand public. L’inauguration de l'exposition virtuelle est prévue pour le printemps 2023.

Une conférence sur la découverte et la mise en valeur de l’épave du Scotsman aura lieu le 27 octobre au Cœur des sciences de l’UQAM.

Le bateau, une dernière fois

Crédits

Recherche et rédaction : Mathieu-Robert Sauvé

Design et réalisation : David Lambert

Intégration web et animation : Cécilia Defer

Direction, création éditoriale : Charles Trahan