Des fraudeurs qui se font passer pour des Sugar Daddies sont de plus en plus présents sur les réseaux sociaux.

Tout commence avec un message privé, dans lequel un homme d’une quarantaine d’années propose un montant d’argent significatif en échange de compagnie virtuelle ou d’un petit service.

Le Journal a entretenu des conversations avec deux d’entre eux pour voir de quelle façon ils parviennent à convaincre leur victime.

(Les conversations ont été traduites de l’anglais. De plus, les photos de profil choisies proviennent de banques d’images. Ce ne sont pas les images réellement utilisées par les fraudeurs qui font l’objet de ce reportage.)

L'entente

À quelques jours d’intervalle, je reçois sur mon compte Instagram, deux messages privés d’hommes que je ne connais pas.

Nous n’avons pas d’amis en commun et ils sont plus vieux que moi. Ils me proposent d’être leur Sugar Baby.

Tout de suite, je me mets dans la peau d’une adolescente pour qui l’offre est intéressante. J’adopte un code de langage, en introduisant beaucoup d’emojis et j’ajoute des abréviations que je n’utilise pas habituellement, comme «rn», pour « right now » (qui signifie « en ce moment » en français).

Déjà des indices inquiétants

Le second fraudeur, lui, a mis en place des règles beaucoup plus strictes dès que j’ai accepté d’être sa Sugar baby. Il m'offrirait 2000 $ par semaine.

Déjà un drapeau rouge, selon la psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier, qui s’est prêtée au jeu pour analyser les conversations et l’impact que peuvent avoir certains messages sur la proie du fraudeur.

Notion d'urgence

Dès le premier texto, on me parle d’argent. Puis, très rapidement, on m’indique la méthode pour procéder au paiement et on instaure une notion d’urgence.

Sur Instagram, la seule information que les fraudeurs avaient sur moi, à part ma photo, c’était mon surnom, « Rox ». J’ai donc décidé de changer mon nom à Roxanne Dupuis, lorsqu’on me l’a demandé pour les chèques. J’ai aussi créé une fausse adresse courriel basée sur ce faux nom, pour recevoir les chèques.

Je reçois un chèque par email, avec le faux nom que j’ai donné au fraudeur, que je dois déposer le plus rapidement possible. J’ai le droit de garder 200 $ sur les 800 $.

Le chèque reçu par notre journaliste.

Il me demande, pour lui rendre service, de rediriger la différence dans une machine ATM à Bitcoin près de chez moi, parce qu’il doit se rendre à un meeting d’affaire et qu’il a besoin de ces fonds.

Je décide d’échouer sa demande.

Si j’étais allée de l’avant, les fonds seraient apparus dans mon compte le temps que le faux chèque soit vérifié par ma banque.

Une fois le chèque vérifié, ce qui peut parfois prendre quelques jours, le montant complet aurait disparu.

Jouer avec les émotions

S’il y a bien une chose que j’ai remarquée, c’est que mes Sugar daddies n’avaient pas peur de jouer avec mes émotions pour arriver à leur fin.

Dès le début de ma conversation avec le deuxième, je lui ai demandé comment je pouvais être sûre qu’il n’essayait pas de me frauder.

En discutant avec la Sugar baby, j’ai rapidement réalisé qu’elle était connectée aux mêmes moments que mon fraudeur, qu’elle s’exprimait comme lui et qu’elle réutilisait mes abréviations utilisées dans ma conversation privée avec lui : aucun doute, c’est la même personne.

Des cadeaux

J’ai dit à un fraudeur que j’avais des problèmes financiers. Il a immédiatement proposé de me donner de l’argent le dimanche suivant, visiblement dans l’espoir que j’aie mordu à l’hameçon entre-temps. Il m’avait aussi dit qu’il voulait qu’on sorte ensemble au cinéma… mais trouvait des excuses pour ne pas se rencontrer tout de suite.

Jeunes vulnérables

L’offre, qui peut paraître « très alléchante » pour certains, cible les adolescents et les jeunes adultes qui n’ont pas nécessairement encore les repères pour lever les drapeaux rouges.

Bien souvent, ces derniers n’ont pas encore un emploi à temps plein et l’idée d’empocher la somme d’une façon aussi simple peut être suffisante pour répondre au message initial.

Les jeunes sont vulnérables. On l’est tous au fond. Il y a souvent de nouvelles stratégies qui sont mises de l’avant pour frauder, et ça peut être tellement réaliste que tout le monde peut être susceptible de se faire avoir.
Les réseaux sociaux offrent un accès facile aux fraudeurs vers les jeunes, tandis que les parents ne sont pas toujours au courant de ce que font leurs adolescents derrière leur écran.

Geneviève Beaulieu-Pelletier
Psychologue

Vieille méthode, nouvelle histoire

La méthode de fraude n’est pas nouvelle: ce qui est nouveau, c’est que l’histoire du subterfuge s’est transformée pour atteindre un public beaucoup plus jeune, explique quant à lui Jeff Horncastle, agent de sensibilisation à la clientèle et de communication intérimaire au centre antifraude du Canada. 

Avant les réseaux sociaux, les jeunes étaient nettement moins sollicités par les fraudeurs. La pandémie a par ailleurs exacerbé le nombre de fraude visant la population en général, puisqu’une grande partie des interactions se sont tournés vers le virtuel. 

Selon les données du Centre antifraude du Canada, le public cible des fraudes a rajeuni dans les dernières années.

Progression des fraudes

Données pour le Canada (2017 à 2021)

Source : Centre antifraude du Canada

Depuis janvier 2021, seulement une poignée de rapports font état de cette fraude de Sugar daddy au Québec, mais elle pourrait être beaucoup plus répandue, explique-t-il. 

On estime que seulement 5% des victimes rapportent au centre antifraude du Canada. Il y a différentes raisons pour lesquelles elles ne rapportent pas, comme la honte. Mais c’est certain que ça circule sur les réseaux sociaux.

Jeff Horncastle
Agent au centre antifraude du Canada

Cette fraude n’est pas la seule à viser spécifiquement les jeunes: d’autres fraudeurs vont monitorer les objets en vente sur internet (marketplace, kijiji, etc.) pour tenter de les dérober à leur propriétaire. Le fraudeur fait part de son intérêt, envoie un faux virement Interac ou Paypal au vendeur et réclame un numéro pour suivre le colis avant que les fonds soient déposés. Sauf que les fonds ne se déposent jamais et le jeune se fait voler son objet.

Différentes méthodes, même résultat

Il existe plusieurs variations de cette fraude, qui peut être habillée de diverses façons.

Le second Sugar Daddy ne procédait pas par faux chèque, mais plutôt en envoyant par courriel un faux lien Paypal où il fallait payer un petit montant pour débloquer l’allocation de 2000$ pour une semaine.

Le courriel reçu par notre journaliste.

Une fois les informations rentrées dans le faux lien, la victime se fait voler ses informations Paypal.

Et pour approcher leurs victimes, les fraudeurs sont créatifs :

Ils peuvent offrir de faire de l’argent simplement en décorant votre véhicule avec le logo d’une compagnie. Ils font parvenir un premier faux-chèque en demandant de déposer l’argent dans un compte bancaire pour payer, par exemple, des frais de graphisme.

Jamais vraiment fini

Dans tous les cas, il faut absolument dénoncer et « rester sur ses gardes », prévient Jeff Horncastle, car les fraudeurs ne s’arrêtent pas après une seule extorsion. 

Souvent, avec les stratagèmes amoureux, les fraudeurs vont revenir après plusieurs mois en essayant de se faire passer pour la police internationale ou locale pour rembourser de l’argent à la victime. La victime va payer un montant pour aider avec l’enquête.

Jeff Horncastle
Agent au centre antifraude du Canada

Il existe même des listes, que se partagent les fraudeurs, où figurent les informations de ceux qui ont déjà mordu à l’hameçon pour se réessayer, poursuit l’agent de sensibilisation. 

La meilleure façon de se protéger, c’est d’être éduqué sur les différentes fraudes qui circulent, surtout sur les réseaux sociaux. Il ne faut jamais accepter ou envoyer de l’argent à des personnes qu’on ne connaît pas.

Jeff Horncastle
Agent au centre antifraude du Canada

Toujours sur ses gardes

Après avoir parlé durant plusieurs jours, j’ai prétexté avoir de la difficulté à déposer l’argent pour forcer le fraudeur à m’appeler. Habituellement, les fraudeurs trouvent n’importe quelle raison pour éviter un appel.

J’ai confronté le fraudeur qui a nié en bloc. Par texto, il a ensuite ressorti la carte de l’émotion pour tenter de quand même recevoir de l’argent de ma part. 

Jeff Horncastle rappelle qu’il est important de signaler les comptes frauduleux aux différents réseaux sociaux, mais aussi aux autorités via le site du Centre antifraude du Canada.

Le Journal a ainsi signalé les trois profils à Instagram directement.

Après avoir été signalés, les deux fraudeurs ont changé leur photo de profil pour la photo d’un tout autre homme.

L’un d’entre eux a même indiqué dans sa biographie avoir été piraté. Les deux profils sont encore actifs.

Le profil de la Sugar baby, quant à lui, n’a plus rien du tout.