Jasmine Charette, à gauche, et Stéphanie Tanguay, à droite. Photo Facebook de Stéphanie Tanguay

Décès de Jasmine Charette

Elle a tué son amie pour sa fête

Un souper festif et arrosé entre trois amies pour célébrer un anniversaire a viré au drame à l’automne 2019 : l’une est morte et une autre risque la prison. Résumé d’une soirée de fête qui restera gravée dans les mémoires pour les mauvaises raisons.

« Tu me promets que tu ne prends pas ta voiture? Et que tu n’embarques pas avec Stéphanie? »

En quittant le resto-bar où elle venait de faire la fête, Michèle Parsons a tenu à s’assurer que sa copine Jasmine Charette retourne à la maison de façon sécuritaire.

La réunion amicale 

Elles s’étaient réunies pour célébrer le 35e anniversaire de leur autre amie, Stéphanie Tanguay.

Mais la nuit des festivités, où l’alcool coulait à flots, s’est terminée dans un fossé pour la fêtée, qui avait pris le volant de sa voiture. Assise sur le siège passager, son amie Jasmine Charette est morte sur le coup.

Leurs derniers instants avant le drame ont été captés par des caméras de surveillance. Conduite erratique dans un stationnement, comportements inhabituels, vitesse excessive, embardée : ces images ont été présentées lors du procès de Stéphanie Tanguay, laquelle est accusée de négligence criminelle et de conduite avec les facultés affaiblies causant la mort.

Stéphanie Tanguay, le mois dernier, lors de son procès au palais de justice de Joliette.
Stéphanie Tanguay, le mois dernier, lors de son procès au palais de justice de Joliette. Photo Martin Alarie, Journal de Montréal

L’alcool qui coule à flots 

Le 7 novembre 2019, Michèle a décidé à la dernière minute de se joindre à Jasmine et Stéphanie, au resto-bar Houston, à Terrebonne.

À l’arrivée de Michèle, vers 20 h, ses deux amies mangeaient et venaient de terminer une bouteille de vin.

Les trois femmes ont commandé une autre bouteille, qu’elles ont partagée. Puis une autre.

La soirée était déjà festive, mais le party a levé davantage lorsque Stéphanie, qui devait travailler ce soir-là comme infirmière, a appris qu’elle avait finalement congé.

« C’était donc la fête. Les filles se sont commandé deux shooters. Moi, j’ai commandé une bouteille de mousseux », s’est souvenue Michèle.
Michèle Parsons
Michèle Parsons a raconté en détails à la Cour la dernière soirée qu’elle a passé avec son amie Jasmine et l’accusée Stéphanie, juste avant la sortie de route fatale. Photo Martin Alarie, Journal de Montréal

Les trois filles se sont ensuite déplacées dans la section bar du restaurant. Un DJ faisait jouer de la musique, Stéphanie et Jasmine se déhanchaient près du bar.

Michèle s’amusait à les regarder. Elle a même commandé une autre bouteille de mousseux. Si elle a ralenti la cadence, ses deux amies ont continué à trinquer, se rappelle-t-elle. Stéphanie s’était même mêlée à un groupe de clients, avec qui elle faisait la fête en commandant plusieurs consommations pour tous.

Inquiète pour ses amies 

« Jasmine et moi, on était assise au bar, on la regardait et on riait », a raconté Michèle.

« Elle marchait en dansant, sautillait, était expressive, excitée. Je suis souvent sortie dans les bars avec Stéphanie. Ce soir-là, ce que je voyais, c’était mon amie en état d’ébriété », a lancé Michèle, lors de son témoignage en cour.

Elle-même était enivrée par l’alcool. Au point où, ne se sentant pas apte à conduire, elle a fait appel à un service de raccompagnement qui allait la reconduire chez elle avec son propre véhicule.

Michèle se souvient d’avoir quitté le resto-bar vers minuit, non sans s’inquiéter pour ses amies.

« Je ne voulais pas qu’elles conduisent. Moi, je prends un service de raccompagnement parce que je suis en état d’ébriété. Et j’ai moins bu qu’elles », a-t-elle témoigné.

Les dernières minutes filmées

La preuve au procès ne permet pas de déterminer ce que Jasmine et Stéphanie ont fait après le départ de leur amie Michèle.

Mais les policiers ont pu visionner les dernières minutes qui se sont écoulées avant le drame. Vers 3h19 cette nuit-là, les deux filles se sont rendues à bord de la Honda Civic blanche de Stéphanie au Tim Hortons de Saint-Roch-de-l'Achigan, à une vingtaine de kilomètres du Houston.

Vidéo fournie par la cour, extrait de la caméra de surveillance du Tim Hortons

Des caméras de surveillance ont capté leur passage dans le stationnement du restaurant. La voiture y circule difficilement, ratant d’abord l’entrée pour accéder au module de commande au volant. En moins d’une minute, la voiture chevauche des bordures de stationnement à trois reprises, passant même proche de percuter un lampadaire.

Puis, une fois devant la borne de prise de commande, le véhicule reste immobile 10 longues minutes.

« J’ai répété sept ou huit fois si je pouvais prendre la commande, mais rien. J’ai pensé qu’on me niaisait », a témoigné la caissière qui travaillait au service au volant cette nuit-là.
Trajet de l'auto le soir du drame
Passage de l’accusée et de la victime à la caisse. Photo fournie par la cour, extrait de la vidéo de caméra de surveillance de l'établissement

Luciana Larosa se souvient d’avoir soupçonné la conductrice d’être intoxiquée. Si bien que lorsqu’un client l’a avisée peu après leur départ qu’une violente sortie de route était survenue non loin, elle a immédiatement demandé s’il s’agissait de deux demoiselles dans un véhicule blanc.

Photos des coroners
Les policiers sur les lieux de la sortie de route. Photo Erik Peters, Agence QMI

La sortie de route fatale 

En quittant le stationnement du Tim Hortons vers 3 h 37, la Honda Civic a emprunté la rue Armand-Majeau, en direction nord. Près d'une minute plus tard, le véhicule a raté une courbe et a percuté un ponceau en bordure de la route.

L’embardée a été captée par la caméra de surveillance d’un immeuble à proximité.

Sortie de route. Vidéo extraite de la caméra de surveillance d'un immeuble voisin.

Stéphanie Tanguay roulait alors à 96 km/h, selon une reconstitutionniste. La limite permise dans ce secteur est de 50 km/h.

En apercevant le véhicule accidenté dans le fossé, deux bons samaritains qui revenaient de travailler ont accouru pour leur porter secours.

« La première chose que j’ai vue, c’est Jasmine », a lancé en cour Jean-Simon Tardif, émotif, expliquant avoir appris le nom des deux femmes par la suite.

La collision
La collision est survenue à 3 h 37, le 8 novembre 2019, sur le boulevard Armand-Majeau, à Saint-Roch-de-l'Achigan. Photo fournie par la cour

Aucune ne portait sa ceinture de sécurité.

La passagère était accroupie au fond du véhicule. Elle n’avait aucun signe vital. La conductrice était pour sa part coincée entre son siège et sa porte.

« Je l’ai sortie et je l’ai mise par terre. Elle a pris un grand respire, comme si elle manquait d’air », a décrit M. Tardif.

Policiers et ambulanciers ont ensuite pris le relais à leur arrivée.

Odeur d’alcool 

Pendant les manœuvres, l’un des premiers répondants aurait noté une odeur d’alcool. La policière Vanessa Fluet, de la Sûreté du Québec, a fait le même constat, alors qu’elle se trouvait dans l’ambulance avec la conductrice. « Je suis proche de son visage. L’odeur d’alcool est restée présente tout au long du trajet », a-t-elle témoigné.

La courbe.
La sortie de route.
La reconstitutionniste de la Sûreté du Québec a établi la trajectoire du véhicule de Stéphanie Tanguay, dans une courbe qu'elle qualifie de légère, au moment de la sortie de route qui a tué son amie Jasmine Charette. Photos fournies par la cour

Les deux femmes sont transportées à l’Hôpital du Sacré-Cœur. Le lieu de travail de Jasmine. Plusieurs de ses collègues étaient alors sous le choc lorsqu’ils ont appris son décès.

Stéphanie était pour sa part gravement blessée, au point où l’on a craint pour sa vie. Elle a été plongée dans le coma.

Des policiers patientaient près d’elle, dans l’attente du mandat de perquisition pour obtenir un échantillon sanguin. On voulait vérifier le taux d’alcoolémie dans son sang. Le prélèvement a été autorisé en fin d’avant-midi. Les analyses ont révélé que huit heures après la sortie de route, la conductrice avait 61 mg d’alcool par 100 ml de sang (la limite permise est de 80 mg). Cela laisse croire aux procureures de la Couronne que son taux d'alcoolémie était nettement supérieur au moment du drame. Jasmine avait pour sa part un taux d'alcoolémie de 195 mg/100 ml.

La collision
La route arbore maintenant des chevrons pour signaler la courbe dangereuse. Photo Google Earth

La défense, pour sa part, pointe du doigt l’aménagement des lieux, qui a été le théâtre de deux autres sorties de route en 2019. Une « évidence de dangerosité dans ce secteur », selon l’expert en génie biomécanique de la défense Denis Rancourt.

Depuis, des chevrons ont été installés dans cette courbe, a-t-il noté.

Photos du salon funéraire
Jasmine Charette. Photo tirée du site Web dignitymemorial.com

Le dernier souvenir 

Le lendemain de sa soirée, à son réveil, Michèle a appris que ses amies avaient eu un grave accident de voiture et que Stéphanie avait survécu. Mais pas son autre amie.

Ce matin-là, elle s’est aperçue que, plus tôt dans la nuit, vers 1 h 30, Jasmine lui avait écrit. Un dernier message, que Michèle a enregistré précieusement dans son téléphone, en souvenir.

Le dernier egoportrait des filles.
Le dernier message que
Jasmine Charette a envoyé
à son amie
Michèle Parsons, la nuit de son décès.

Il s’agit d’un égoportrait d’elle et Jasmine, pris quelques heures avant la tragédie. L’image était accompagnée de trois mots : « Je t’aime. »

 

Le procès de Stéphanie Tanguay se poursuit le 4 mai, au palais de justice de Joliette, devant le juge Normand Bonin. Maîtres Jade Coderre et Alexe Champagne-Lessard représentent le ministère public alors que Maîtres Roxane Hamelin et Élodie Leygues représentent l'accusée.