
12 M à Montréal et
5 M à Québec : nos villes métamorphosées
Faire croître la population du Canada à 100 millions de personnes est risqué pour les villes du Québec.

Selon les décisions que les pouvoirs publics prendraient d’ici là, l’initiative pourrait engendrer des catastrophes urbaines... ou mener vers un développement viable pour le Québec.
L’Initiative du siècle a estimé la taille que pourraient avoir les grandes villes du Canada en 2100 si la population du pays était de 100 millions de Canadiens.
Selon ces estimations, la région de Montréal compterait alors 12,2 millions d’habitants, ce qui est trois fois plus que sa population actuelle, et Québec, 4,8 millions d’habitants.
La taille future des autres agglomérations du Québec n’a toutefois pas été évaluée.
Extrapolations
À la demande du Journal, l’urbaniste Richard Bergeron a accepté d’extrapoler les données pour les villes de Gatineau, Sherbrooke, Trois-Rivières et Saguenay.
Toutes ces extrapolations tiennent compte du fait que le Québec conserverait son poids actuel au sein du Canada.
Dans le cas de Montréal et de Québec, Richard Bergeron a poussé son extrapolation plus loin en imaginant pour chacune des villes deux scénarios de croissance.
Dans son premier scénario, l’urbaniste a envisagé que les villes de 2100 se seraient développées avec une forte densité urbaine.
Dans son second scénario, M. Bergeron a plutôt tenu compte d’une faible densité urbaine, c’est-à-dire ce qui ressemble à ce que l’on connaît au Québec aujourd’hui, avec des banlieues étendues.
Un scénario catastrophe
Or, lorsque l’on regarde ses projections avec une faible densité urbaine, le résultat est complètement sidérant.
Autant à Montréal qu’à Québec, les banlieues deviendraient d’immenses territoires tentaculaires.
Les plus riches terres agricoles du Québec, celles de la vallée du Saint-Laurent, disparaîtraient, envahies par des bungalows à perte de vue, ce qui serait une véritable « catastrophe », selon Richard Bergeron.
Le scénario d’une croissance des villes avec une forte densité urbaine pourrait toutefois sauver la mise, estime l’urbaniste.
Avec des projets immobiliers bien définis et bien répartis, il serait possible, croit Richard Bergeron, d’éviter le « saccage » de nos espaces urbains.
Cette analyse fait dire à l’expert qu’il est important de commencer à penser nos villes de demain dès maintenant, compte tenu des enjeux majeurs qu’entraînerait une explosion de la population liée à la hausse de l’immigration.
Qui est Richard Bergeron ?

LE JOURNAL DE MONTRÉAL
- Figure bien connue des Québécois, Richard Bergeron est passionné d’urbanisme et de politique municipale.
- Même s’il est retiré de la vie publique, après avoir passé une dizaine d’années à l’hôtel de ville de Montréal, comme conseiller et chef de Projet Montréal, il continue à s’exprimer sur les tribunes publiques.
- On l’entend régulièrement sur différentes tribunes, où il ne se gêne pas pour exprimer des positions tranchées sur les questions d’urbanisme à Montréal et dans le reste du Québec.
- Il détient un baccalauréat en architecture et un doctorat en urbanisme, obtenus à l’Université de Montréal.
MONTRÉAL
Voici de quoi aurait l’air Montréal avec 12 millions d’habitants
L’urbaniste Richard Bergeron croit qu’elle pourrait éviter le pire en se tournant vers la densification urbaine.
Le visage de Montréal sera transformé radicalement si sa population grimpe à 12 millions d’habitants en 2100, comme le préconise l’Initiative du siècle. Mais il y a moyen d’éviter le pire, croit l’urbaniste Richard Bergeron.


- Axe REM Ouest
A-40 - Hippodrome / 15-40
Jean-Talon Ouest - REM Deux-Montagnes
Marché Central - Cour Turcot
Lachine Est - Angrignon / Newman
- Grand centre-ville
- Bonaventure
Cité du Havre - Entrée maritime
- Sherbrooke Est
L’Assomption - Métro ligne bleue
- Est de l’île
Projet structurant
de l’Est
À son avis, la métropole pourrait croître de façon relativement harmonieuse si elle le faisait alors en privilégiant un développement à forte densité, plutôt que l’étalement urbain vers les banlieues.
Selon lui, ce modèle permettrait de loger tous les nouveaux habitants de Montréal à l’intérieur des limites actuelles de la ville « sans la saccager », précise-t-il. Le visage de l’agglomération avec ses espaces verts et ses grandes artères, tels qu’on les connaît maintenant, demeurerait.
Pas question donc, selon lui, de laisser pousser des forêts désordonnées de gratte-ciel, comme on peut en voir à Hong Kong.
Comme Griffintown
Il faudrait viser, estime l’urbaniste, des ensembles de terrains bien précis qui se prêteraient à une « réurbanisation ». Dans les dernières années, ce fut ainsi le cas du secteur de Griffintown, près du centre-ville, qui a connu une croissance rapide.
Sur l’île de Montréal, Richard Bergeron a identifié plusieurs secteurs potentiels aux quatre coins de la ville.

Bien entendu, toute cette activité de construction ne pourrait se réaliser sans une expansion du système de transport en commun.
Sur l’île de Montréal, on connaît déjà certaines des avenues possibles, comme la poursuite du développement du métro et la construction d’une antenne du REM (Réseau express métropolitain) dans l’est.
Mais ce sera « tout un programme ! » concède M. Bergeron.
Les quartiers historiques
Pour les secteurs existants, il estime qu’il serait possible de préserver tels quels – donc en gardant leur cachet – « tous les quartiers historiques construits de plex », comme Le Plateau-Mont-Royal, Hochelaga-Maisonneuve et le Vieux-Rosemont.

Afin d’augmenter leur densité, il suffirait d’utiliser les terrains vacants ou ceux à redévelopper, qui existent déjà « abondamment » dans ces quartiers, note Richard Bergeron. Dans ces îlots, on pourrait construire des immeubles de quatre à 15 étages.
Sur l’île de Montréal même, le nombre d’habitants triplerait pour atteindre 6 millions d’habitants en 2100.
« Montréal ne souffrirait aucunement de voir sa population passer à 6 millions d’habitants [avec un développement à forte densité] », conclut-il.
Pas plus d’ailleurs que d’autres villes du Québec, ajoute-t-il.
« Au contraire, dit-il, nos villes seraient simplement plus belles en 2100 qu’elles ne le sont aujourd’hui. »
En résumé
Des immeubles à sacrifier
Des démolitions sont envisageables, mais il faudrait cibler, dans ce cas, des immeubles des années 1950 à 1970, souvent de « mauvaise qualité autant architecturale qu’urbanistique », dit Richard Bergeron.
Un développement concentré
Il s’agirait de répéter le développement qu’a connu le quartier de Griffintown, près du centre-ville, qui a gagné 33 000 habitants dans les dernières années. La carte ci-haut montre plusieurs autres secteurs potentiels.

Une « réurbanisation »
Dans les anciens quartiers existants, on pourrait « réurbaniser » des parties vacantes ou anciennement industrialisées. Ces îlots comporteraient des immeubles en hauteur, avec une limite de quatre à 15 étages.
Trois fois plus d’habitants sur l’île
Richard Bergeron estime qu’il serait possible de multiplier par trois la population établie sur l’île de Montréal, la faisant passer de 2 millions à 6 millions, grâce à un développement équilibré.
Le visage de la ville
Le cachet de Montréal est préservé. Ses espaces verts demeurent. Ses quartiers pittoresques, comme Le Plateau-Mont-Royal ou le Vieux-Rosemont, échappent aux pics des démolisseurs.

QUÉBEC
Cinq millions d’habitants à Québec ? Ce serait vivable. L’espace abonde dans plusieurs secteurs pour des projets immobiliers avec des tours plus ou moins hautes.
Contrairement à Montréal, qui devrait jouer de prudence pour faire face à une forte croissance de sa population, la ville de Québec, elle, dispose d’un « énorme potentiel » pour y faire face avec succès et compter près de 5 millions d’habitants en 2100, croit l’urbaniste Richard Bergeron.
« Québec est tellement peu dense en dehors de la Haute-Ville et du Vieux-Québec, explique-t-il, qu’il n’y aurait aucun problème à trouver tous les espaces nécessaires sur le territoire existant pour restreindre l’expansion de la banlieue. »


- Axe A-40
Aut. Félix Leclerc - Boul. Charest Ouest
- Ligne Tramway Est
- Pôle
Centre Vidéotron - Secteur D’Estimauville
- Promenades Beauport
Ainsi, selon lui, il y aurait beaucoup d’endroits à urbaniser avec des tours plus ou moins hautes, entre l’Université Laval et les ponts Pierre-Laporte et de Québec. Il y a, dans ce secteur, estime-t-il, trop de centres commerciaux qui monopolisent l’espace.
Composé de plusieurs tours, le mégaprojet anciennement appelé Le Phare, maintenant nommé Humaniti Québec, représente le genre de développement à haute densité qui pourrait se réaliser dans le secteur, note l’urbaniste.


Quartiers préservés
Toute cette construction serait possible, avance Richard Bergeron, sans toucher aux espaces verts de la ville ni à ses quartiers caractéristiques, comme Saint-Jean-Baptiste, Saint-Roch, Limoilou, Montcalm et même Sillery.
On pourrait préserver la « personnalité historique et conviviale de la capitale », malgré le fait que la région compterait alors 4,8 millions d’habitants, selon les projections de l’Initiative du siècle.
Un des principes à suivre, dit-il, quand on souhaite augmenter la densité d’une ville est d’éviter la prolifération des terrains vacants. En ce sens, l’exemple des villes européennes est à suivre, où les terrains en zone urbaine ne restent pas inoccupés.
Dans les dernières décennies, l’exemple du réaménagement de certaines villes françaises de taille moyenne est à suivre. M. Bergeron évoque ainsi le cas de Bordeaux, où des efforts ont été consentis pour donner plus de lustre à la ville et implanter un réseau étendu de tramway.

Transport en commun
Il est assuré pour M. Bergeron que le transport en commun devra continuer à être développé à Québec. Il faudrait un réseau de tramway plus important, notamment avec une ligne dans l’axe du boulevard Charest Est.
Et pourquoi pas une ligne de métro est-ouest ? Ce serait possible avec la nouvelle densité de population. « Ça serait beaucoup plus rapide que le tramway », dit-il. S’il voit le jour, le tunnel du troisième lien pourrait même servir à y faire passer une ligne de tramway et une ligne de métro vers Lévis.
« Il y aurait un formidable développement à Québec. N’oublions pas que c’est sur un horizon de 80 ans. Ce serait un défi urbanistique emballant », conclut Richard Bergeron.
En résumé
Et le troisième lien ?
D’autres liens, outre les deux ponts actuels, auraient leur utilité dans ce nouvel environnement, puisque Lévis, elle aussi, va se densifier. Elle pourrait profiter d’un raccordement aux tramways et à un éventuel métro de Québec.
Plus de tramways
Il est évident, pour Richard Bergeron, que le développement du tramway devra se poursuivre dans l’avenir. Au moins deux nouvelles lignes, dont une le long du boulevard Charest Est, en plus de celle qui est prévue, seraient nécessaires.

Un métro
Avec cette nouvelle densité de population, Québec pourrait entrer dans le club des villes qui possèdent un métro, un moyen de transport, faut-il le rappeler, rapide et peu encombrant. Richard Bergeron envisage un trajet est-ouest.
Des quartiers conservés
Malgré ce scénario, les quartiers caractéristiques de Québec demeureraient plus vivants que jamais. Limoilou, Sillery, les quartiers Montcalm, Saint-Jean-Baptiste et Saint-Roch garderaient leur cachet.

Un potentiel important
Sur le territoire de Québec, ce n’est pas l’espace qui manque pour établir des secteurs à haute densité. Richard Bergeron en identifie plusieurs (voir ci-haut), comme l’axe du boulevard Charest Est.

Nos terres agricoles en danger
Une catastrophe nous guette dans un Canada de 100 millions d’habitants. Montréal, Trois-Rivières et Québec pourraient ne former qu’une seule immense ville, avec l’étalement urbain.
Une catastrophe urbaine guette le Québec, si la population du Canada grimpe bel et bien à 100 millions en 2100 : celle de voir Montréal, Trois-Rivières et Québec ne former qu’une seule et gigantesque ville sans fin qui éliminerait dans son sillage nos plus belles terres nourricières.
Il est clair pour l’urbaniste Richard Bergeron que l’augmentation majeure de la population canadienne prévue par l’Initiative du siècle pourrait se transformer en un « véritable désastre » pour le Québec, si un modèle de développement urbain à faible densité devait s’imposer dans la province.
Ce modèle se traduirait par une expansion tentaculaire de la banlieue dans la vallée du Saint-Laurent, à l’opposé de ce qui se passerait si on concentrait l’ajout de population dans le cœur de nos centres urbains.




La superficie nécessaire à cet immense déploiement de bungalows et d’autoroutes fait tourner la tête.
Étalement inimaginable
Dans la grande région de Montréal, calcule Richard Bergeron, 4000 kilomètres carrés de nouvelles habitations s’ajouteraient dans un scénario à basse densité. Cette superficie équivaut à cinq fois la taille de l’île de Montréal et de l’île Jésus (Laval) combinées.
Il s’agit de l’espace requis pour accueillir dans ce modèle les 8 millions d’habitants supplémentaires envisagés par l’Initiative du siècle pour la région de Montréal, dont la population triplerait, passant de 4 millions à 12 millions.

Pour la région de Québec, Richard Bergeron évalue la superficie additionnelle à 1690 kilomètres carrés, afin de faire passer la région de 837 000 à 3,25 millions d’habitants en environnement de basse densité.
Résultat : Montréal s’étalerait sans interruption jusqu’à Joliette au nord-est, à Saint-Sauveur au nord, à Lachute dans l’ouest, à Sorel dans l’est, puis à Saint-Hyacinthe et à Bromont dans le sud.
À Québec, l’expansion se ferait surtout sur la Rive-Sud, à cause de la présence de montagnes sur la Rive-Nord. « La banlieue, rappelle-t-il, a besoin d’un territoire plat. »
« L’urbanisation [sur la Rive-Sud] s’étendrait jusqu’à englober Sainte-Marie en Beauce », dit M. Bergeron.
Un sixième lien ?
À la blague, il lance qu’une agglomération de Québec avec 4,8 millions d’habitants avec une faible densité nécessiterait « un quatrième, un cinquième et même un sixième lien ! » pour traverser le fleuve Saint-Laurent.
M. Bergeron évoque l’idée d’une gigantesque « conurbation » s’étendant entre Montréal et Québec (voir la carte ci-haut). Ce terme d’urbanisme décrit les villes qui se fondent entre elles pour former un grand territoire continu.
Floride

Aux États-Unis, on peut penser, par exemple, à la côte est de la Floride, où sur 160 kilomètres, de West Palm Beach à Miami, le territoire urbain s’étale sans interruption.
La conséquence est plus que désolante. « Toutes nos belles terres agricoles se feraient bouffer », déplore Richard Bergeron. Les terres les plus fertiles, celles de la vallée du Saint-Laurent, seraient annihilées.
En somme, enchaîne l’urbaniste, il faudrait dire adieu pour de bon à l’idée d’autonomie alimentaire pour le Québec. Sans les terres pour faire pousser les légumes et les céréales, on dépendrait totalement de l’extérieur.