Québec ne se laissera pas dicter ses cibles
Si Justin Trudeau ouvre grandes les portes du Canada à un demi-million de nouveaux arrivants par an, le Québec ne se laissera pas pour autant imposer des seuils d’immigration.
                    
                La perspective de recevoir ici 100 000 immigrants annuellement du jour au lendemain est « farferlue », juge la ministre québécoise Christine Fréchette.
Dans ce scénario, qui est mis de l’avant par le groupe de pression nommé l’Initiative du siècle et soutenu par le gouvernement Trudeau, le Québec se retrouverait noyé dans l’ensemble canadien et la survie de la langue française pourrait être menacée, selon des experts.
«Nous, on ne se laissera pas dicter notre seuil [annuel de nouveaux arrivants]»![]()
Incompatible
En entrevue, la ministre Fréchette souligne que le Québec a le « contrôle » sur le nombre d’immigrants permanents qu’il reçoit en vertu d’une entente signée avec le fédéral en 1991.
Christine Fréchette s’attend à ce que cet accord soit respecté, peu importe les ambitions et les idées de grandeur du premier ministre canadien.
Car donner le feu vert à une hausse importante des nouveaux arrivants n’est « pas compatible » avec la pérennité du français, dit-elle.
« Il faut développer l’environnement qui soit apte à permettre au Québec de protéger sa langue française, protéger la culture et on ne fera pas de compromis sur la langue française », plaide-t-elle.
            La ministre de l’Immigration n’est d’ailleurs pas convaincue que Justin Trudeau maintiendra son objectif d’accueillir 500 000 immigrants par an à compter de 2025. Les provinces n’ont pas été consultées au sujet de cette nouvelle lubie, dont il n’a jamais été question aux dernières élections.
« Est-ce qu’on peut se rendre à 100 000 [nouveaux arrivants annuellement] ? Moi, je pense que c’est farfelu de penser qu’on pourrait passer comme ça de 50 000 à 100 000 parce que la capacité d’accueil ne serait pas au rendez-vous », insiste-t-elle.
« Un beau gros chiffre rond ! »
Au Québec comme dans le reste du Canada, un afflux massif de nouveaux habitants a inévitablement des conséquences sur la disponibilité des logements, un secteur déjà en crise.
Mme Fréchette évoque notamment le cas de Toronto et Vancouver, deux villes où se trouver un toit n’est pas simple en raison du prix élevé des logements.
Sans parler des soins de santé et de la bureaucratie fédérale, qui peine actuellement à traiter dans des délais acceptables les dossiers des personnes qui émigrent ici.
« Un Canada à 100 millions en termes de population, un beau gros chiffre rond ! Ça frappe, ça nous met dans une classe de pays, de nations un peu plus pesantes, influentes, dit-elle. Mais il faut voir bien au-delà du chiffre ! »
Néanmoins, si le premier ministre canadien garde le cap, le poids démographique et politique du Québec risque fort d’en pâtir. Une éventualité qui « préoccupe » Christine Fréchette, qui esquive lorsqu’on lui demande si la nation québécoise est condamnée à disparaître.
Et la souveraineté ?
            Pour l’instant, le gouvernement québécois ne souhaite pas une réouverture de la Constitution canadienne pour assurer au Québec un pourcentage de sièges à la Chambre des communes, peu importe son déclin démographique.
Dans ce contexte, est-ce que la souveraineté du Québec devient une solution plausible ? « Il faut qu’on règle les enjeux pour ce qui est urgent là, dans les prochains mois, dans les trois prochaines années, cinq prochaines années. Je ne pense pas que la souveraineté soit la voie que veulent prendre les Québécois. Vraiment, il n’y a pas là une solution que je vois comme étant activable », dit-elle.
            Le Québec, bientôt une petite province ?
S’il veut maintenir son poids démographique et politique au sein d’un Canada de 100 millions d’habitants, le Québec, qui constitue actuellement 22,3 % de la population du pays, devrait accueillir un peu plus de 110 000 immigrants par année.
Or, cette cible est bien plus élevée que celles proposées par les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale.
Nous avons demandé à Statistique Canada de faire des projections sur le poids du Québec d’ici la fin du siècle avec les seuils mis de l’avant aux dernières élections par chaque parti élu à l’Assemblée nationale, soit la CAQ, le PLQ, QS et le PQ.
En jouant avec ces différents seuils proposés par les partis provinciaux, vous constaterez que peu importe la cible, le poids du Québec à Ottawa est en chute libre.
D’abord, la Coalition Avenir Québec (CAQ) proposait une limite de 50 000, François Legault suscitant la controverse en affirmant qu’il serait « suicidaire » d’aller au-delà.
Selon ce scénario, Statistique Canada prévoit un rabougrissement du Québec à 18,1 % en 2050, avant de glisser graduellement à 15,7 % en 2075 et finalement à 14,5 % en 2100.
L’Alberta, qui connaît une forte croissance démographique largement propulsée par l’immigration, égaliserait le poids du Québec en 2068, à 16,3 %, toujours selon Statistique Canada.
En suggérant un seuil de 70 000 immigrants par année, le Parti Libéral du Québec (PLQ) ralentirait le déclin démographique québécois : il faudrait attendre à 2043 pour que le Québec passe sous la barre des 20 %. À la fin du siècle, la province représenterait ici 17 % du Canada.
Les deux partis souverainistes, Québec Solidaire (QS) et le Parti Québécois (PQ), proposent des seuils d’immigration radicalement opposés. Le premier suggérait un seuil de 60 000 à 80 000, alors que le deuxième proposait une baisse du seuil, à 35 000.
En accueillant 80 000 immigrants par année, le Québec compterait toujours pour 19,9 % en 2050, et finirait le siècle avec 18,2 % du poids démographique canadien.
En toute logique, la proposition de 35 000 du PQ est celle qui mène au déclin proportionnel le plus rapide : dès 2050, le Québec représenterait 17,1 % du Canada, puis 14,2 % en 2075 et plus que 12,6 % en 2100, soit un peu moins que la Colombie-Britannique d’aujourd’hui.
Bien entendu, il n’est dans les plans d’aucun de ces deux partis que le Québec demeure une province canadienne dans cet horizon.