Le Québec pris au piège par Ottawa
Objectif 100 millions de Canadiens en 2100 ?

Un Québec moins influent
au Canada

Un ex-ministre libéral n’est pas tendre avec le plan du gouvernement Trudeau

Photo Adobe Stock

 

L’ex-ministre du gouvernement Charest Benoit Pelletier croit que le déclin du Québec comme société francophone à l’intérieur du Canada est « irréversible ».

Seul un amendement constitutionnel lui permettrait de maintenir son statut dans la fédération. Or, il ne se « berce pas d’illusions » et reconnaît qu’il n’y a aucun appétit pour une telle réforme.

 

 

Qui est Benoît Pelletier ?

Photo Guillaume St-Pierre, Le Journal de Montréal
Benoit Pelletier
Photo Guillaume St-Pierre,
LE JOURNAL DE MONTRÉAL
  • Député de Chapleau, en Outaouais,
    de 1998 à 2008
  • Entre autres ministre des Affaires intergouvernementales et de la Francophonie canadienne
  • Président du comité spécial du PLQ sur l’avenir politique et constitutionnel de la société québécoise
  • Auteur de nombreux ouvrages sur le fédéralisme, le Québec et la constitution

 

Elle est souhaitable, l’idée du Canada à 100 millions ?

Je pense que les acteurs fédéraux, en bonne partie, sont obnubilés par les chiffres et oublient la francité, oublient l’importance que la langue française conserve son statut au canada, oublient l’importance finalement d’aider le français dans ce pays. Quand j’entends les arguments de monsieur Trudeau et de monsieur Rodriguez, je me dis que franchement, on n’est pas sortis de l’auberge. Parce que finalement, c’est pas en augmentant le nombre d’immigrants au Québec qu’on va régler la situation, c’est en s’efforçant de définir et de toujours redéfinir le Canada comme un pays fondé sur une dualité linguistique.


Est-ce que le Québec est condamné à diminuer en importance dans le Canada ?

Quand j’étais en politique, j’étais fédéraliste, j’étais conscient de cette menace à terme pour le Québec. Je pense que la baisse du poids du Québec à l’intérieur du Canada, c’est un phénomène irréversible. On va assister de façon très impuissante à une baisse et du poids démographique et du poids politique à l’intérieur du Canada. Le portrait est plutôt sombre pour le Québec. Vous et moi et les autres francophones, on va être aux premières loges.


Est-il logique et légitime de s’inquiéter de la perte du poids du Québec au sein du Canada ?

Lorsqu’il y a 20 ans, 30 ans ou 40 ans, on disait que le Québec a tous les outils pour s’épanouir à l’intérieur du Canada, on ne mentionnait pas comme fédéraliste que son poids politique et son poids démographique risquent de diminuer au point où la force du Québec au Canada va être très relative, et puis même va devenir très discutable.


Ce n’était pas quelque chose qu’on voulait s’avouer ?

Absolument. Je suis très très candide avec vous, parce que les autres acteurs politiques fédéralistes ne l’admettront pas aussi crûment que moi. Quand vous entendez monsieur Trudeau et monsieur Rodriguez [...], ce sont des gens qui ferment les yeux en se disant que mon Dieu, le Canada est une source d’avenir pour le Québec. Oui, mais c’est une source d’avenir pour un Québec qui va être constamment diminué, néanmoins.


Avec de tels constats, pourquoi pas la souveraineté ?

Je doute fort que le Québec devienne un État souverain un de ces jours, surtout en voyant le peu d’appui dans la population et chez les jeunes. Depuis 1995, il y a eu énormément d’immigrants qui se sont ajoutés au Québec et qui transforment beaucoup la donne sociale. Cela éloigne la perspective d’un Québec souverain.


Ça prendrait quoi pour assurer au Québec un poids politique ?

Pour vraiment reconnaître au Québec un pourcentage de députés intéressant, et le lui garantir, pour l’avenir, en dépit de la baisse de sa population, ça prend une modification constitutionnelle en bonne et due forme. Mais en même temps, je ne me berce pas d’illusions, on est loin d’en arriver là, et je sais très bien qu’il n’y a pas d’appétit pour la réforme constitutionnelle. Ce sont les provinces de l’ouest qui gagnent en poids politique et en poids démographique. Elles vont se montrer très réservées par rapport aux demandes du Québec et vont répondre ce que disent monsieur Trudeau et monsieur Rodriguez, que le Québec n’a qu’à augmenter le nombre d’immigrants. Il y a une espèce d’impasse politique qui se dessine.


Que signifie le déclin du Québec dans la dynamique fédérale ?

Ça me rend inquiet par rapport à l’évolution du fédéralisme canadien. Le Québec, avec son poids politique notamment et son poids démographique aussi, a été un frein contre la centralisation du régime. C’est vraiment des tendances lourdes du régime, et puis, à mon avis, si vous diminuez le poids du Québec, vous diminuez l’importance d’une société qui jusqu’à présent était un frein à la centralisation, et donc vous ouvrez la porte à plus de centralisation.

 

Lord durham
John George Lambton, premier comte de Durham, auteur du rapport du même nom qui propose de fusionner le Haut-Canada et le Bas-Canada afin d’assimiler le peuple canadien-français. Image Wikimedia Commons

Le spectre de Lord Durham hante encore les esprits

Le démographe Alain Bélanger n’y va pas par quatre chemins pour décrire les conséquences de la mise en œuvre de l’Initiative du siècle.

Alain Belanger
« J’ai l’impression que, si on met en œuvre l’Initiative du siècle, on va finalement réaliser les recommandations du rapport Durham de 1838 d’assimiler les Canadiens français »
- Alain Bélanger, chercheur de l’Institut national de la recherche scientifique du Québec.
Photo tirée du site Internet de l’INRS

Spécialiste des projections démographiques, M. Bélanger se trouve à l’université de Melbourne en Australie, où il aide des collègues à faire des prévisions détaillées sur la population du pays.

M. Bélanger est conscient que son jugement est tranchant. Mais il affirme que l’idée à l’origine de l’Initiative du siècle, selon laquelle un accroissement marqué de la population canadienne va assurer la prospérité au pays, est sans fondement.

Pas de base

« Il n’y a aucune base pour [cette idée] dans la littérature scientifique, que ce soit en termes de richesse, en termes de démographie de la population, en termes de puissance de l’économie », dit-il.

Il prend pour preuve la réussite de pays de petite ou de moyenne taille comme la Suède, la Norvège ou même la France.

« Que reste-t-il alors de cette initiative, sinon l’assimilation des Canadiens français ? », se demande M. Bélanger.

À ses yeux, c’est, en réalité, l’aboutissement 260 ans plus tard du rapport Durham, qui porte le nom d’un lord britannique qui avait proposé l’assimilation des francophones à l’aube de la fondation du Canada.

On doit à lord Durham des formules selon lesquelles les Canadiens français sont un peuple « sans histoire et sans littérature », « mal éduqué et stationnaire ».

D’après les estimations de M. Bélanger, l’Initiative du siècle réduirait la proportion des francophones à seulement 8 ou 10 % de la population canadienne en 2100. Les francophones forment présentement 21 % de la population du pays.

« Le déclin des francophones est amorcé depuis longtemps », rappelle-t-il.

Tendance lourde

L’immigration massive nécessaire à l’Initiative du siècle ne ferait, croit-il, qu’accentuer la tendance. Le vieillissement marqué des Québécois et l’attrait inévitable de l’anglais dans un contexte nord-américain pèsent lourd dans la balance.

« Pour que l’immigration ne soit pas anglicisante au Québec, il faudrait que 90 % des nouveaux arrivants choisissent le français.

« Actuellement, c’est entre 50 et 60 % et ce n’est pas près de changer », souligne le démographe.

En fin de compte, M. Bélanger nuance un peu sa pensée, mais sa conclusion reste la même. « Je ne sais pas si ç’a été réfléchi comme ça, mais la résultante de l’Initiative du siècle qui est certaine, c’est que le Canada français sera assimilé. »

Objectif 100 millions de canadiens en 2100 ?

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