Plus nombreux,
mais moins riches ?
Des économistes remettent en question l’approche d’Ottawa quant à l’immigration
OTTAWA | Le gouvernement Trudeau et l’Initiative du siècle assurent que l’immigration est la clé de voûte qui assurera notre prospérité à long terme. La science économique est loin d’être aussi claire.
« Il n’y a pas le début d’un commencement de preuve que l’immigration fait augmenter le niveau de vie ni qu’il le diminue », tranche l’économiste Pierre Fortin.
« Ce n’est pas une question de droite ou de gauche. C’est une question mathématique, c’est une question statistique »![]()
Les partisans de la hausse substantielle des niveaux d’immigration font valoir qu’au contraire, une immigration élevée dopera la croissance économique et matera la pénurie de main-d’œuvre.
Plus riches ?
Or, les économistes sont de plus en plus nombreux à remettre en question ces bénéfices, depuis l’annonce par le gouvernement Trudeau de ses nouvelles cibles de 500 000 nouveaux résidents permanents dès 2025.
Mikal Skuterud, professeur d’économie du travail à l’Université de Waterloo, en Ontario, remet en question l’idée selon laquelle l’augmentation de la population entraîne une hausse de la richesse.
« La science démontre que ça ne change pas grand-chose au PIB par habitant », renchérit-il.
En gros, la tarte sera plus grosse, mais chaque part ne sera pas nécessairement plus copieuse pour chaque Canadien.
Pénurie de main-d’œuvre
Avec le vieillissement de la population, le nombre de retraités par travailleur est appelé à exploser dans les prochaines années.
La rareté de la main-d’œuvre exerce une forte pression sur les entreprises.
Mais vouloir combler cette rareté par l’immigration est une fausse bonne idée, croit M. Skuterud.
« L’utilisation de l’immigration pour résoudre la pénurie de main-d’œuvre a le potentiel d’affaiblir la productivité et de faire baisser les salaires »![]()
Selon lui, les entreprises sont surtout à la recherche d’une main-d’œuvre bon marché, ce qui la décourage d’être plus productive.
L’Initiative du siècle admet elle-même, dans un de ses rapports, que la « science suggère que l’immigration est bonne pour l’économie, ou à tout le moins a un impact neutre ».
Sa porte-parole, Lisa Lalande, soutient néanmoins que « l’immigration est le seul moyen de nous assurer que nous avons la main-d’œuvre nécessaire pour répondre aux besoins du marché du travail et les recettes fiscales pour appuyer les programmes sociaux ».
Critiquer les seuils d’immigration au Canada est un exercice périlleux, surtout dans le Canada anglais, où le multiculturalisme est érigé en un dogme fondateur de l’identité canadienne.
Or, depuis l’annonce des nouvelles cibles fédérales de novembre dernier, les langues se délient.
Des économistes spécialisés dans le domaine de l’immigration d’un peu partout au pays multiplient les lettres ouvertes et les sorties dans les médias.
Immigration Canada :
Le pire des ministères
L’Initiative du siècle repose sur un recours massif à l’immigration. Pour que le Canada puisse compter 100 millions d’habitants en 2100, il faudrait accueillir 500 000 nouveaux arrivants par année en 2026 pour ensuite augmenter ce chiffre jusqu’à 1,2 million en 2100.
Mais, pour y arriver, il faudrait que le ministère fédéral de l’Immigration ait les reins solides. Or, c’est loin d’être le cas actuellement.
À la fin de l’année dernière, plus de 2 millions de dossiers étaient toujours en attente de traitement à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, un retard sans précédent, selon des chiffres obtenus récemment par le Globe and Mail.
« C’est probablement le ministère le plus dysfonctionnel de l’appareil d’État fédéral »![]()
Ces retards bureaucratiques ont entraîné d’innombrables drames humains dont les médias ont fait abondamment état, comme ceux de familles immigrantes déjà bien établies au Canada forcées de repartir dans leur pays d’origine.
« Comment, ajoute-t-il, peut-on essayer de prévoir de tripler la population d’un pays en 75 ans, alors que [Immigration Canada] n’est même pas capable d’arriver à traiter les dossiers pour l’année en cours ? »
« C’est comme un enfant qui vient d’avoir sa première auto avec des pédales et qui rêve déjà de sa Corvette. »
Un bilan gênant, des exemples à la pelle
Les ratés d’Immigration Canada sont nombreux et variés. En voici parmi les plus frappants :
- Recours à des fonctionnaires fantômes. Le système informatique du ministère a attribué la gestion de dossiers d’immigration à des fonctionnaires qui avaient quitté leur poste il y a plus de 10 ans.
- Retards marqués dans l’attribution de permis de travail temporaires aux demandeurs du statut de réfugié. Actuellement, plus de 25 000 demandeurs, dont plusieurs sont passés par le chemin Roxham, vivent aux crochets de l’aide sociale, faute de pouvoir travailler.
- Délais d’obtention de visas pour les étrangers visitant le Canada qui frisent le ridicule. Par exemple, les Sénégalais doivent patienter en moyenne 462 jours avant d’obtenir un visa de visiteur, ce qui complique la tenue de certaines conférences internationales au Canada.
- Promesses non tenues. « Malgré les promesses, ils ont toujours des difficultés à régler les cas des dernières années », renchérit le député Brunelle-Duceppe. En août dernier, le ministre fédéral de l’Immigration, Sean Fraser, avait promis l’embauche de 1250 nouveaux fonctionnaires en vue de réduire les délais d’ici la fin de 2022. Jusqu’à maintenant, ces efforts ne semblent pas avoir porté fruit.