Le Québec pris au piège par Ottawa
Objectif 100 millions de Canadiens en 2100 ?

Pénurie de logements :
une crise sociale
nous guette

Le manque de logements met en péril le rêve canadien pour des immigrants cordés dans des tours surpeuplées

Photo archives Journal de Montréal

 

TORONTO | L’afflux de davantage d’immigrants au moment où le pays connaît la pire crise du logement de son histoire risque de créer une crise sociale, préviennent économistes et experts de l’intégration.

Le président et chef de la direction de la CIBC, Victor Dodig, n’y va pas par quatre chemins : augmenter les seuils d’immigration avant d’augmenter l’offre de logements risque de générer «la plus importante crise sociale» qu’ait connue le Canada.

Philip Cross
« Si nous n’avons pas de logements pour tous ces gens, c’est une folie d’en accueillir autant, ça va empirer la crise »
— Phillip Cross, chercheur à l’Institut Macdonald-Laurier.
Photo tirée du Site internet du MLI

 

L’organisme torontois Initiative du siècle, qui promeut l’augmentation de la population du Canada à 100 millions d’ici 2100 par l’immigration, prévient lui-même qu’il y a « un risque pour la cohésion sociale à long terme » si on ne garantit pas l’accès à des logements abordables, convenables et adéquats.

Pire du G7

L’immigration pousse déjà la population canadienne à croître plus rapidement que celle de tous les autres pays du G7. Cependant, au sein de ce groupe de pays riches, le Canada est celui qui compte le plus petit nombre d’unités d’habitation par habitant et ça ne fait qu’empirer.

Nombre d’unités d’habitation pour 1000 habitants au Canada

Source : Statistique Canada

2016
427
2020
424
Moyenne G7
471

En 2020, il y avait 424 unités pour 1000 habitants, contre 427 en 2016. En comparaison, la moyenne du G7 est de 471 pour 1000.

Entre 2016 et 2020, nous avons construit en moyenne moins de 250 000 unités d’habitation par an, soit moins d’un million en quatre ans.

Or, la population du pays a bondi de plus de 1,3 million de personnes au cours de la même période, dopée par l’immigration.

Et en 2022, pas moins de 955 000 nouveaux arrivants ont débarqué au pays, d’après les données d’Immigration Canada compilées par Benjamin Tal, économiste en chef adjoint à la CIBC.

Ceci représente « un changement sans précédent de la demande de logements en une seule année », souligne-t-il.

Inquiétudes à Toronto

Le problème est particulièrement criant à Toronto, la ville la plus cosmopolite du pays, celle qui accueille le plus grand nombre de nouveaux arrivants au point que la moitié de ses résidents ne sont pas nés au Canada.

«Il y a de réelles inquiétudes», indique Valerie Ann Preston, qui consacre ses recherches à l’immigration et à la résilience des milieux urbains à l’Université York, de Toronto.

Valerie-Ann Preston
« Où les logera-t-on et comment fera-t-on pour leur offrir des services décents ? C’est la grande question de l’heure »
— Valerie Ann Preston, chercheuse à l’Université York à Toronto.
PHOTO LE JOURNAL DE MONTRÉAL

 

Jamais depuis 50 ans la métropole ontarienne n’a accueilli autant de nouveaux arrivants qu’en 2021-2022. En parallèle, le taux d’inoccupation est passé de 4,4 % à 1,7 % entre 2021 et 2022, selon les données de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL).

Prix moyen pour un logement d’une chambre à Toronto

Source : Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL)

2022
2202 $/mois
2023
2532 $/mois

En un an, le loyer moyen d’un logement d’une chambre a bondi de 13 %, atteignant 2532 $ par mois, ce qui place les nouveaux arrivants dans une situation d’extrême précarité.

Pour répondre à la demande gonflée par l’immigration et stabiliser les prix dans l’ensemble du pays, il faudrait dès maintenant construire 50 % plus d’habitations que prévu chaque année, calculent les économistes de la Caisse Desjardins.

Mais c’est plutôt le contraire qui se passe : la hausse des taux d’intérêt, le coût élevé des matériaux et le manque de main-d’œuvre ralentissent les chantiers.

 

 

Thorncliffe park
Le complexe de tours de Thorncliffe Park à Toronto a été conçu pour accueillir 9000 personnes, mais il en loge aujourd’hui plus de 20 000. C’est ici qu’arrivent le plus d’immigrants au pays. Photo ANNE-CAROLINE DESPLANQUES, LE JOURNAL DE MONTRÉAL, AGENCE QMI

Des conditions de vie dignes de bidonvilles

TORONTO | Dans les quartiers populaires de Toronto qui accueillent le plus d’immigrants, la crise du logement est telle que plusieurs générations s’entassent dans des logements exigus.

« Tout est devenu si cher, je ne sais pas comment je ferais si j’arrivais aujourd’hui. Quand je suis arrivée, mon premier appartement me coûtait 240 $ par mois, maintenant le même appartement se loue 2400 $ par mois », explique Shani, qui a fui les persécutions au Kenya dans les années 1970 avec toute sa famille.

Shani et ses frères et sœurs sont réunis autour d’un café à Thorncliffe Park, le quartier qui les a accueillis et qui continue de recevoir le plus de nouveaux arrivants au pays. Quelque 80 % de ses résidents ne sont pas nés au Canada.

Thorncliffe Park
Le complexe de tours de Thorncliffe Park à Toronto. Photo ANNE-CAROLINE DESPLANQUES, LE JOURNAL DE MONTRÉAL, AGENCE QMI

Situé à 40 minutes en transport en commun de la tour du CN, Thorncliffe Park abrite la plus importante communauté musulmane au Canada. Dans les boutiques, les vêtements occidentaux sont éclipsés derrière les saris colorés indiens et les tuniques traditionnelles arabes.

À l’épicerie halal du coin, les produits viennent pour la plupart d’Inde ou du Pakistan. Dans les allées chargées d’épices, de fruits secs et de feuilles de thé de tout genre, on s’interpelle en plus de langues qu’il y a d’étages aux immeubles gris alentour.

À la caisse, on compte les sous, car ici plus d’une personne sur deux vit avec moins de 20 000 $ par année.

Surpopulation

Sadia Zafar dirige les cours de langues au TNO, l’organisme communautaire du quartier qui offre des services d’accueil aux nouveaux arrivants.

« Avec de tels revenus, impossible de payer le loyer moyen de 2532 $ par mois, alors on s’entasse », dit-elle.

Il n’est pas rare que deux frères, leurs épouses et leurs enfants cohabitent avec leurs parents âgés, tandis que les étudiants internationaux convertissent des appartements en dortoirs.

Ainsi, alors que le complexe de tours devait à l’origine accueillir 9000 personnes, il en loge aujourd’hui plus de 20 000, et le taux d’inoccupation est sous la barre du 1 %.

« Des loyers élevés pour des conditions de vie dignes de bidonvilles », décrit la chercheuse de l’Université de Toronto Emily Paradis, dans une analyse des conditions de vie dans ces tours surpeuplées où neuf familles sur dix sont à risque de se retrouver à la rue.

Hors de portée

Il y a quelques années encore, Thorncliffe Park était si abordable qu’on pouvait prendre le temps de s’y construire un capital économique et social. On étudiait le soir et le jour on s’échinait dans les usines et les entrepôts alentour pour économiser dans le but d’ouvrir un commerce et de déménager dans de meilleurs quartiers.

C’était « le rêve canadien ». Mais pour Aïsha Hakim, arrivée il y a peu d’Afghanistan, ce rêve synonyme d’ascension sociale semble hors de portée.

« Le loyer est tellement cher. Tout notre argent y passe, on ne peut pas économiser », indique-t-elle au sortir d’un cours d’anglais au TNO.

 

Safswat Al-Areqi
Safswat Al-Areqi, 48 ans, a fui la guerre civile en Arabie saoudite en 2016 et a trouvé refuge à Montréal. Il vit maintenant dans l’arrondissement de Saint-Laurent, à Montréal. Photo Clara Loiseau, Le Journal de Montréal

Montréal trop chère
pour eux

Après avoir tout quitté, fui des guerres ou des conditions de vie difficiles dans leur pays d’origine, des immigrants craignent d’être maintenant la cible de propriétaires prêts à tout pour les déloger de leur loyer modique, en pleine crise du logement.

« Il y en aura toujours, des immigrants, qui viendront [au Canada] pour la sécurité, offrir une bonne éducation et une bonne vie à leur enfant, peu importe le coût de leur toit… Mais avec les loyers, beaucoup n’auront plus grand-chose pour vivre décemment », laisse tomber Safwat Al-Areqi, qui a fui la guerre civile en Arabie saoudite en 2017.

Safswat Al-Areqi
Safswat Al-Areqi. Photo Clara Loiseau, Le Journal de Montréal

Lorsqu’il a traversé à pied la frontière entre les États-Unis et le Canada, il a tout de suite su qu’il irait à Montréal.

« Vancouver, c’était déjà trop cher. Toronto aussi », explique ce père monoparental de 48 ans qui a rapatrié ses enfants, adultes aujourd’hui, au pays après avoir eu sa résidence permanente.

Marié depuis peu, M. Al-Areqi ne peut même pas emménager avec sa nouvelle épouse, qui a aussi un enfant à charge.

« Si on veut un logement qui répond à nos besoins, un 6 ½, c’est dans les 2000 $ aujourd’hui. Je ne peux pas me le permettre », affirme-t-il, en expliquant subir des pressions de son propriétaire pour quitter son foyer.

Rêve brisé

Le son de cloche est le même pour Safia Mebarki. Cette femme de 40 ans a quitté son emploi, sa famille et son Algérie natale pour tenter d’avoir une meilleure vie ici.

« Arriver aujourd’hui ici ? Je ne pourrais pas », laisse tomber celle qui vit dans un énorme immeuble à logements au bord de l’autoroute 15, dans l’arrondissement de Saint-Laurent.

Impossible pour elle de s’imaginer où elle vivrait si elle arrivait aujourd’hui ni comment il sera possible d’accueillir autant d’immigrants dans l’avenir alors que la situation est déjà difficile.

Situation des logements au Québec

Loyer mensuel moyen Logement de deux chambres en 2022
Ensemble du Québec : 975 $
  • Loyers
  • Hausses
  • Vacants
Source : Société Canadienne d'hypothèque et de logement. Calculs incluant les régions métropolitaines de recensement (RMR)

« Je ne peux même pas déménager. Ça nous coûterait 600 $-700 $ de plus pour avoir un appartement de la même taille que notre 4 ½, qui nous coûte 950 $ », explique-t-elle.

Son propriétaire tente depuis quelques mois de la faire partir pour refaire l’appartement et le relouer à plusieurs centaines de dollars de plus, affirme-t-elle.

« Il l’a fait à côté déjà en essayant de les louer à 1600 $ et a été obligé de baisser le prix à 1400 $ parce qu’il n’arrivait pas à louer le logement », explique la mère de famille qui regrette presque d’avoir traversé l’Atlantique.

« Ici, j’ai mes amis, c’est mon quartier. Mon fils a son école et ses amis. On ne veut pas aller ailleurs. Pour aller où ? », demande-t-elle.

Pas de logements

Les deux familles vivent dans ce quartier qui est composé à près de 54 % d’immigrants, selon le dernier recensement effectué par Statistique Canada. Plus de 13,5 % de la population du quartier ont des besoins impérieux en matière de logement, donc qui n’ont pas de logements répondant adéquatement à leur besoin, selon le dernier rapport de la Société d’hypothèque et de logement canadienne.

Pour Maria Vasquez, à la tête du Comité logement Saint-Laurent, la situation est de plus en plus difficile dans le quartier : « Il n’y a pas de logements, il n’y a pas de logements abordables, les gens n’ont nulle part où aller. »

Objectif 100 millions de canadiens en 2100 ?

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