Le Québec pris au piège par Ottawa
Objectif 100 millions de Canadiens en 2100 ?

Plus d'immigrants :
la solution à la pénurie
de main-d’œuvre?

Les immigrants du Canada et du Québec participent au marché du travail comme jamais. Mais il est illusoire de penser que l’immigration à elle seule réglera les problèmes de main-d’œuvre

Photo Adobe Stock

 

Les immigrants n’ont jamais été si bien intégrés sur le marché du travail québécois, la province faisant désormais même mieux que l’Ontario. Mais en accueillir plus ne résoudra pas tous nos besoins de main-d’œuvre.

Philip Cross
« L’immigration est la façon la plus facile de combler les besoins de main d’oeuvre, mais ce n’est pas la seule et ce n’est pas la plus optimale »
— Phillip Cross, chercheur à l’Institut Macdonald-Laurier.
Photo tirée du Site internet du MLI

Besoin de bras

Comme l’ensemble du Canada, le Québec a besoin de bras. Alors qu’il y a 20 ans, pour chaque travailleur qui quittait le marché du travail, 1,3 était prêt à le remplacer, il n’y en a plus que 0,8 aujourd’hui.

Des travailleurs étrangers dans un champs de fraises
Des travailleurs agricoles étrangers s’affairaient dans un champ de fraises l’île d’Orléans, près de Québec, en 2019. Photo JEAN-FRANCOIS DESGAGNES, lE JOURNAL DE QUÉBEC

Les nouveaux arrivants sont donc essentiels pour combler une partie de ces emplois. Et ils y parviennent mieux que jamais : un travailleur québécois sur cinq s’identifie désormais comme immigrant, d’après l’Enquête sur la population active de Statistique Canada.

Taux de chômage

Immigrants vs. natifs

 
2012
2022
Immigrants
12,7 %
5,3 %
Natifs
7,8 %
2,9 %
Source : Statistique Canada

Ainsi, le taux de chômage des immigrants n’a jamais été aussi bas. Alors qu’il caracolait à 12,7 % en avril 2012, il n’était plus que de 5,3 % en avril 2022, contre 2,9 % pour les natifs.

En comparaison, le taux de chômage des Néo-Canadiens en Ontario était de 8,2 % en avril 2012 et est passé à 5,6 % dix ans plus tard.

Mais ici comme ailleurs au pays, cela ne veut pas dire que les immigrants contribuent à la société à leur plein potentiel, souligne le directeur général de TNO, un organisme consacré à l’accueil des migrants à Toronto.

Il relate qu’une soixantaine de travailleurs de la santé se réunissent tous les dimanches dans ses locaux pour réseauter et se soutenir sans pouvoir offrir des soins parce que leurs diplômes ne sont pas reconnus ici.

« Les seuils d’immigration sont fixés par le gouvernement fédéral, mais ce sont les provinces qui ont la responsabilité de la reconnaissance des diplômes et c’est là que ça bloque », dit Ahmed Hussein.

D’autres solutions

Or, de nombreux experts estiment qu’il est illusoire de penser que l’immigration à elle seule réglera les problèmes de main-d’œuvre.

« Il y a des enjeux de productivité, d’inadéquation entre la demande et l’offre et de reconnaissance des qualifications », soutient Daye Diallo, économiste à l’Institut du Québec.

Dans ce contexte, « l’immigration ne permet pas de pallier l’ensemble des pénuries de main-d’œuvre », dit-il.

Selon Philip Cross, le Canada devrait avant tout travailler à accroître la participation au marché du travail, tant des plus vieux, par des incitatifs à repousser la retraite, que des 20 à 25 ans, qui n’ont jamais été si peu nombreux à travailler.

Il ajoute qu’un sérieux coup de barre est essentiel pour doper l’innovation et la productivité et assurer ainsi que les nouveaux cerveaux que nous accueillons contribuent à l’économie à leur plein potentiel, plutôt que de gonfler les rangs des travailleurs au salaire minimum.

 

Hamzah Al Khatba
Hamzah Al Khatba, ingénieur, son épouse, Byan Abazed, et leur fille, Amal, sont arrivés à Cornwall en août 2022. Il a été recruté grâce à l’ONG Talent Beyond Boundaries, qui connecte des réfugiés à des entreprises à la recherche de main-d’œuvre qualifiée. Photo Anne-Caroline Desplanques

Recruter des talents dans des camps de réfugiés

CORNWALL | Face à la pénurie de main-d’œuvre, de plus en plus d’entreprises se tournent directement vers l’étranger pour embaucher, y compris dans les camps de réfugiés.

« Le Canada était dans ma liste de souhaits, mais je n’espérais pas que ça se passe si bien, se réjouit Hamzah Al Khatba. En deux semaines, j’ai obtenu plus de droits ici que je n’en ai jamais eu en Jordanie. »

En août 2022, l’ingénieur syrien est arrivé avec son épouse, Byan, professeure de mathématiques, et leur fille de quatre ans, Amal. Le couple était demandeur d’asile en Jordanie.

Originaire de Daraa, en Syrie, la ville berceau de la révolution contre le régime dictatorial de Bachar Al-Assad, Hamzah vit maintenant à Cornwall, en Ontario, où l’a recruté SigmaPoint Technologies, une entreprise manufacturière.

Dans cette petite ville à la frontière de l’Ontario et du Québec, la pénurie de main-d’œuvre est plus aiguë que dans les métropoles. La population vieillit et les nouveaux arrivants ne choisissent pas spontanément de s’installer en région.

Au Québec, alors que la grande région de Montréal reçoit en moyenne 37 000 nouveaux arrivants par an, 11 des 17 régions administratives n’en accueillent qu’un millier. La situation n’est pas différente en Ontario, où les immigrants choisissent massivement la grande région de Toronto, mais ignorent les autres.

Procédé inhabituel

SigmaPoint a donc dû faire preuve de créativité en s’associant à Talent Beyond Boundaries (TBB), ou Talents au-delà des frontières en français, une ONG qui connecte les réfugiés qualifiés avec des entreprises. Elle leur ouvre ainsi la porte de l’immigration économique et leur évite la précarité de l’immigration humanitaire, c’est-à-dire le statut de réfugié.

Inauguration de la deuxième installation de SigmaPoint Technologies Inc. à Cornwall en 2015. Photo d’archives, Le Journal de Montréal

Hamzah a ainsi obtenu une entrevue d’embauche avec SigmaPoint en avril 2021. La rencontre virtuelle s’est conclue par une offre d’emploi et un contrat de travail qui a permis à toute la famille d’immigrer avec le statut de résident permanent.

Il a cependant fallu attendre plus de 14 mois avant qu’Immigration Canada ne délivre les précieux sésames.

« Le traitement des dossiers est bien trop long », déplore l’ex-ministre de l’Immigration John McCallum, maintenant associé à TBB.

« Ici, ça nous prend en général huit mois entre l’offre d’emploi et l’arrivée au pays, alors qu’en Angleterre on arrive à le faire en un mois », dit-il.

Mais SigmaPoint était prête à patienter. Pour faciliter l’intégration de Hamzah et de sa famille, l’entreprise leur a offert un logement gratuitement pendant cinq mois, et Tom Kaneb, le président de l’entreprise, les a lui-même accompagnés à la banque et à l’épicerie.

« Tous les employés savaient qu’on arrivait et nous attendaient. Ils nous ont tous accueillis. Ils avaient même des photos de nous. On aurait dit qu’ils nous connaissaient avant même qu’on arrive », raconte Hamzah, encore ému de l’accueil reçu.

Objectif 100 millions de canadiens en 2100 ?

Complétez votre lecture