Photos Clara Loiseau, Le Journal de montréal

Crise du logement

L’enfer des locataires de Toronto et Vancouver

Un cauchemar qui semble vouloir s’installer au Québec

Le Journal est allé voir les impacts de cette crise qui secoue ces deux grandes villes canadiennes depuis des années.

La crise du logement de Montréal suit le même chemin que celles de Vancouver et Toronto où les loyers sont devenus si exorbitants que des locataires avec de bons salaires se retrouvent forcés de vivre dans leur voiture ou des logements insalubres s’ils ne veulent pas se retrouver à la rue.

Trouver un logement décent, abordable et réussir à le payer chaque mois relève du défi, a pu constater Le Journal lors de son passage dans ces deux villes canadiennes. Sur place, la représentante du Journal a pu rencontrer des dizaines de résidents de tous âges, de tous les milieux économiques aux expériences toutes plus cauchemardesques les unes que les autres.

«Ce qui arrive à Vancouver [avec le logement] devrait être un avertissement pour le reste du pays. [...] », soutient Andy Yan, directeur du programme urbain de l’Université Simon Fraser, urbaniste agréé et professeur auxiliaire en études urbaines.

Andy Yan
« Quand on regarde les données, on voit que le prix des loyers ne fait qu’augmenter, contrairement aux salaires »
– Andy Yan, Université Simon Fraser
PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ SIMON FRASER

Selon les données de la SCHL et de Statistique Canada, entre le 2005 et 2015, les loyers vancouvérois ont augmenté de 36,8%, tandis que les revenus ont grimpé de 11,2%.

Revenus VS Loyers
Augmentation des revenus et des loyers entre 2005 et 2015
SOURCES : SCHL et Statistique Canada

À Toronto, pour la même période, les loyers ont augmenté de 23,39%, alors que les revenus ont eu une hausse d’à peine 3,3%. À Montréal, on constate une augmentation aussi rapide des loyers (23,79%), avec une hausse des revenus médians de 8,84%.

«Est-ce que c’est normal de travailler à temps plein et de ne pas être capable de se loger parce que les loyers sont trop élevés? Il faut que les gouvernements fassent quelque chose!», s’agace Fadiah Nacef, rencontré dans son appartement de Toronto infesté de souris et de cafards.

Photo CLARA LOISEAU, Le Journal de montréal
Fadia Nacef, 36 ans, paie 1200$ à Toronto pour un minuscule 1 1/2 avec des souris et des cafards comme colocataires. N'acceptant plus de vivre dans ces conditions et étant incapable de trouver un logement à un loyer raisonnable, elle a décidé de tout quitter et viendra vivre à Montréal dès l'été 2023. Photo CLARA LOISEAU, Le Journal de montréal

La voiture ou la rue

La situation dans la Ville Reine force de plus en plus de gens à vivre, comme elle, dans des conditions difficiles, à partager des chambres avec parfois trois autres personnes minimum ou même à craindre de se retrouver à la rue.

Là-bas, le loyer moyen d’un appartement de deux chambres a atteint 1765$, selon la SCHL, et 3301$ selon Rentals.ca, qui estime «mieux [capter] la réalité des taux de locations auxquels des locataires potentiels feraient face».

«Ça fait des mois que je cherche et je ne trouve rien que je peux me payer. Est-ce que ma seule solution, ça va être d’aller dans un refuge avec ma fille autiste?», s’inquiète Jackie Gilmore, 40 ans, qui touche 2900$ d’aide du gouvernement chaque mois.

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Sarah Gilmore, 58 ans, sa fille Jackie, 40 ans, et sa petite-fille de 8 ans, Meadow, craignent de se retrouver à la rue ou dans un refuge, alors qu'elles sont incapables de se trouver un logement décent en-dessous de 1800$ pour vivre ensemble. Photo CLARA LOISEAU, Le Journal de montréal

À Vancouver, la situation est telle que de plus en plus de gens sont forcés de vivre dans leur voiture.

C’est que le prix moyen d’un appartement de deux chambres se situe à 2002$, selon les données de la SCHL, soit presque le double de Montréal. Mais en réalité, le prix moyen d’un 4 1/2 peut plutôt monter jusqu’à 3727$ selon Rentals.ca.

«Se dire qu’on travaille à temps plein et qu’on ne peut rien se trouver, c’est vraiment difficile. Je pense que j’ai tellement pleuré en 9 mois qu’il ne me reste plus de larmes», confie Farnazeh Sani, qui vit dans son auto et sur les canapés de ses frères.

Plus rien pour manger

Désespérés de ne pas se retrouver dans la rue, de plus en plus de gens mettent 100% de leurs revenus dans leur loyer plutôt que dans la nourriture et les demandes d’aide débordent dans les organismes.

« Pour survivre, j’ai commencé à aller dans des entreprises de pharmaceutique. »

«Techniquement, je suis en train de vendre mon sang et ma santé pour avoir de l’argent à la fin du mois», confie Nancy, rencontrée devant la banque alimentaire Parkdale Community Foodbank, à Toronto.

Si la crise est si importante dans ces deux villes, c’est principalement à cause du manque de logement social et du ralentissement important de leur construction. 

Hausse de 30% à venir

Entre mai 2022 et mai 2023, le coût des loyers a explosé de 16,8 % à Vancouver, selon les données récoltées de Rentals.ca. À Toronto, la hausse était encore plus élevée, atteignant même 21,2 %. En comparaison, les loyers montréalais ont enregistré une hausse moyenne de 10,7 %.

Mais quand on regarde les projections de la SCHL qui montrent que les loyers montréalais pourraient augmenter de 30 % d’ici cinq ans, les experts vont dans le même sens: Montréal est en train de prendre la même trajectoire.

Projections pour 2025
Prix moyen d’un loyer mensuel pour un logement de deux chambres

Toronto

Vancouver

Montréal

SOURCES : SCHL

Et la crise du logement est loin de s’arrêter à la frontière de la métropole. Que ce soit à Gatineau, Rimouski ou Sherbrooke, par exemple, la flambée des prix des loyers et la baisse des taux d’inoccupation inquiète à travers la province.

– Avec la collaboration de Nicolas Brasseur, Agence QMI.

 

Photo CLARA LOISEAU, Le Journal de montréal
Mal entretenues pendant des dizaines d'années, de très nombreuses maisons de chambres ont dû être évacuées et sont laissées à l'abandon dans l'est de Toronto, dans le quartier de Cabbagetown, alors que des dizaines de personnes sont à la rue. Photo CLARA LOISEAU, Le Journal de montréal

MALGRÉ LE SIGNAL D’ALARME, MONTRÉAL TARDE À AGIR

Montréal doit impérativement tirer les leçons des erreurs des autorités qui ont laissé la crise du logement gravement dégénérer à Vancouver et Toronto avant qu’il ne soit trop tard, plaident des experts.

«[Les gouvernements] ont créé la tempête parfaite : un manque drastique de stock [de logements], une grande demande et pas de contrôle des loyers.»
— Dania Majid, avocate pour le Centre ontarien de défense des droits des locataires (ACTO).

«Tout ça a fait monter les prix des loyers de plus en plus vite et ça a ensuite amené des investisseurs qui ont vu l’opportunité parfaite de se faire du profit», explique Me Majid.

Que ce soit à Toronto ou à Vancouver, les crises du logement ne datent pas d’hier. En fait, elles ont surtout commencé à s’aggraver dans les années 1990 lorsque le gouvernement fédéral s’est déchargé de la responsabilité de la question du logement, ajoute MmeMajid.

Manque de logement social

À ce moment-là, ce sont les provinces et les municipalités qui se sont alors retrouvées responsables et la construction de logements sociaux a considérablement baissé.

«Ça a fait qu’il y a eu une pénurie de logements, une grande demande et donc une grande pression sur la construction», poursuit Me Majid.

Photo CLARA LOISEAU, Le Journal de montréal
À Toronto, depuis le début de la pandémie, il devient de plus en plus difficile de se loger lorsqu'on n'a pas les moyens de vivre dans les tours à condo qui continuent de pousser comme des champignons un peu partout dans la ville. Photo CLARA LOISEAU, Le Journal de montréal

Andy Yan, directeur du programme urbain de l’Université Simon Fraser de Vancouver, abonde dans le même sens. «Un des problèmes majeurs que l’on a au Canada, c’est que l’on n’a pas construit de logements pour les ménages à faible revenu depuis très longtemps et maintenant on voit les conséquences», souligne-t-il, ajoutant que Vancouver doit servir d’avertissement aux autres grandes villes et provinces.

Plutôt que des appartements locatifs, ce sont des condominiums qui poussent comme des champignons.

50%
la moitié des nouveaux condos construits appartiennent à des investisseurs

«La question, c’est vraiment: pour qui construit-on vraiment? Ce qu’on sait à travers les données du Programme de la statistique du logement canadien c’est que 50% des nouveaux condos construits appartiennent à des investisseurs», indique-t-il, en précisant que ce sont souvent des gens qui ont déjà une, deux, voire trois propriétés.

Tripler les loyers

Outre les nouvelles constructions, les investisseurs se sont aussi rués vers les biens résidentiels déjà existants à Toronto, ajoute Dania Majid.

«La plupart des biens immobiliers résidentiels sont achetés par des investisseurs et non par des gens qui ont besoin de vivre dans ces immeubles. Ils représentent plus 25% des acheteurs de biens résidentiels», affirme-t-elle, en précisant que ce sont autant de grandes corporations que des petits investisseurs.

25%
le quart de biens résidentiels sont achetés par des investisseurs

Résultat: de plus en plus de locataires se font évincer pour que les propriétaires puissent augmenter, doubler ou même tripler les loyers, augmentant la pression sur le marché.

Montréal suit la voie

Pour Stéphan Corriveau, directeur général du Centre de transformation du logement communautaire, et Andy Yan, directeur du programme urbain de l’Université Simon Fraser, urbaniste agréé et professeur auxiliaire en études urbaines, il est clair que Montréal suit le même chemin.

Stephan Corniveau
« Montréal est une des villes qui avait réussi à se protéger de tous les phénomènes d’hyperspéculation, mais c’est en train de prendre fin. »
– Stéphan Corriveau, directeur général du Centre de transformation du logement communautaire
PHOTO TIRÉE DU SITE DU Centre de transformation du logement communautaire

Cela est notamment dû au fait qu’il y a de plus en plus de grands et très grands propriétaires qui ne sont plus seulement montréalais, mais qui viennent d’autres régions, provinces ou même pays et qui cherchent principalement à faire de l’argent.

«La plupart du parc immobilier de Montréal a été construit avant l’an 2000, pourtant, le prix des loyers va en augmentant constamment. Ce n’est pas parce qu’il y a eu des travaux de rénovation incroyables, c’est juste qu’il y a quelqu’un qui pense être capable de faire plus d’argent», explique M. Corriveau.

 

Photo CLARA LOISEAU, Le Journal de montréal
Pancartes de location à Vancouver. Photo CLARA LOISEAU, Le Journal de montréal

MONTRÉAL PLUS PROCHE QUE JAMAIS DE TORONTO ET VANCOUVER

Le Québec ne doit pas attendre que Montréal devienne pareille à Toronto et Vancouver et doit prendre rapidement des actions pour endiguer la crise du logement, prévient le FRAPRU.

«Quand on regarde la crise du logement et de l’itinérance à Vancouver et Toronto, on avait des signaux sur les conséquences de l’inabordabilité et ça devrait nous alarmer pour renverser cette tendance qui pourrait devenir une tendance lourde à Montréal», prévient Véronique Laflamme, porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU).

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Véronique Laflamme, porte-parole du Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) lors de la manifestation organisée à Sainte-Anne-des-Monts, le vendredi 12 mai 2023. Photo CLARA LOISEAU, Le Journal de montréal

Pour cette dernière, il suffit de regarder les chiffres des recensements de 2016 et 2021 pour comprendre l’ampleur du problème et surtout de la vitesse à laquelle la métropole québécoise se rapproche de Vancouver et Toronto.

«À Vancouver et Toronto, on peut dire que l’abordabilité des logements n’existe pratiquement plus. [...] »

«Quand on regarde ce qui se passe à Montréal, on voit une explosion du prix des loyers et on a l’impression qu’on en vient au même point et qu’on est déjà là à certains égards», déplore Mme Laflamme.

Car en seulement cinq ans, Montréal a perdu près de 90 000 logements à moins de 750$.

- 90 000
en 5 ans, Montréal a perdu près de 90 000 logements à moins de 750$

«Ces logements se perdent notamment parce qu’il n’y a pas de contrôle des loyers, pas de registre des loyers, pas assez de protection contre les évictions et les stratagèmes frauduleux, mais aussi à cause des constructions de logements neufs qui sont très, très chers», soutient Mme Laflamme.

Logements sociaux

Comme à Vancouver et Toronto, elle rappelle aussi que le retrait du gouvernement fédéral dans la construction de logements sociaux a eu un effet important, même si le Québec avait fait des jaloux dans le reste du Canada avec la création du programme Accès Logis.

«C’est difficilement compréhensible de voir que le gouvernement du Québec ralentit ses investissements [dans le logement social], alors que tout le monde dit qu’il faut investir massivement dans les logements sociaux», souligne Mme Laflamme.

Comme la construction de logements sociaux est très lente, il faut absolument mettre en place des protections pour éviter de nouvelles pertes de logements abordables.

«On ne peut pas se permettre de voir s’effriter aussi rapidement le parc de logements qui est encore abordable sur le marché privé en protégeant les locataires! Et ça ne coûte rien à l’État», ajoute-t-elle.