Première partie :
NOTRE BIEN-ÊTRE
BRISE DES VIES
sparkle Quartz rose
Trouver l’amour
grâce au
quartz rose,
contrer l’anémie
avec de
l’hématite,
sparkle Hématite
sparkle Améthyste
ralentir l’Alzheimer
grâce à de
l’améthyste


Les cristaux aux prétendus pouvoirs de guérison sont partout : des réseaux sociaux, aux boutiques spécialisées, en passant par les pharmacies. Ils ont percé le marché planétaire du bien-être dans une envolée fulgurante à laquelle les Québécois participent.
shimmer shimmer shimmer Base main
 

Si l’utilisation ésotérique des roches et des minéraux pour se guérir n'a de prouvé que son effet placebo, elle génère pourtant des milliards de dollars. Mais à quel prix ?

Notre Bureau d’enquête est allé à Madagascar, principal pays producteur de pierres.

sparkle sparkle Afrique Madagascar Full map Base map

Nous avons vécu de l’intérieur la réalité choquante de travailleurs, parfois adolescents, qui approvisionnent notre industrie du bien-être, au péril de leur vie.

« Ce trou descend d’abord de 15 mètres et compte environ 300 mètres de galeries souterraines. Cinq personnes descendent dans la mine et deux autres restent en haut du trou pour s’occuper de la manivelle », explique le mineur Faralahy Landrysoa.

L’entrée de la mine artisanale de cristal de quartz. Vidéo extraite du documentaire Les dangers des cristaux guérisseurs

Nous sommes au sommet d’une montagne aride, en plein centre de l’île africaine de Madagascar. Si on tranchait la montagne en deux, elle dévoilerait une fourmilière de tunnels précaires et exigus. Des mineurs y circulent, accroupis, et piochent durant des heures dans l’espoir d’en extirper de scintillantes pointes de cristal de quartz, qui seront vendues partout dans le monde.

Santatra a un visage espiègle. Un petit sourire en coin, il penche timidement la tête quand on le regarde, puis tire la langue avec des yeux rieurs. Il a 14 ans. Ses traits juvéniles, sa croissance inachevée et son humeur candide contrastent avec l’environnement qui l’entoure.

Santara
Santatra, 14 ans, vit à la mine avec les autres mineurs. Image extraite du documentaire Les dangers des cristaux guérisseurs

Sa vie se résume à cette mine de cristal de quartz. Les travailleurs dorment sur place, entassés dans des cabanes de fortune, à peine protégés des intempéries. Son camarade Faralahy Landrysoa a pioché son premier cristal à 13 ans.

« Moi, mon village est très loin, je viens de loin, raconte Faralahy, aujourd’hui âgé de 24 ans. Je n’arrive à faire de l’argent qu’au moyen de mon travail à la mine. »

On est à 12 heures de marche de la route goudronnée la plus proche et à quelques heures de plus du village d’Anjoma Ramartina.

Salaires de misère

Un travailleur sur 5 gagne sa vie dans les petites mines artisanales à Madagascar. C’est le deuxième secteur pourvoyeur d’emploi après l’agriculture.

Illustration
1,50 $ / jour
(7 tasses de riz)

Les journaliers engagés dans les mines sont payés en moyenne 1,50 $ CAN par jour, l’équivalent de 7 tasses de riz. C’est la moitié du seuil de la pauvreté établi par l’ONU ; 80 % des Malgaches vivent en dessous.

Une quinzaine d’hommes et d’adolescents sont sur le site, tous embauchés par « un patron ». Ils travaillent en équipe. L’une d’elles est en action et nous invite à la joindre.

Des ouvertures creusées à mains d’hommes mènent aux entrailles de la montagne. L’entrée d’un tunnel vertical est recouverte d’un abri qui protège la structure rudimentaire. L’installation a les allures d’un puits. Une chaudière en plastique est attachée à une corde enroulée autour d’un tronc d’arbre horizontal déposé sur deux autres morceaux de bois en forme de « Y ».

À la différence qu’on n’y transporte pas de l’eau, mais plutôt des humains, qui posent un pied dans la chaudière et se tiennent à la corde pour descendre et remonter.

Le pied dans la chaudière
Les mineurs descendent sous terre, debouts, un pied dans un chaudière de plastique, en se tenant sur une corde de nylon. Photo AUDREY RUEL-MANSEAU, BUREAU D’ENQUÊTE

Tout au fond, l’impression que les poumons se compressent est instantanée. En regardant vers le haut, les visages penchés dans l’ouverture du trou sont devenus de petites silhouettes.

Parfois, les passages souterrains sont si profonds que des coéquipiers à l’extérieur aident les mineurs à respirer. Ils utilisent de longs sacs en plastique qu’ils remplissent d’air et qu’ils écrasent vers le fond du trou pour l’acheminer entre les parois oppressantes, instables et friables.

Les opérations sont à haut risque et les blessures, parfois très graves, sont inévitables.

Le bruit des pics résonne au loin. La voix des mineurs déjà engouffrés dans les tunnels est à peine audible. Ils passeront des heures sous terre à chercher les cristaux de quartz de la plus haute qualité, un coup de masse à la fois.

À Montréal comme ailleurs, les adeptes de lithothérapie désirent acheter les plus translucides, les plus brillants, les plus purs.

Qu’est-ce que la lithothérapie ?

La lithothérapie est une pratique pseudoscientifique selon laquelle les pierres et les minéraux émettraient des vibrations et auraient le pouvoir de soigner les souffrances physiques et psychologiques.

shimmer shimmer Base main

Les adeptes appellent ces pierres « cristaux de guérison », ou, en anglais, « healing crystals ». Cette croyance veut que les pierres soient chargées d’une énergie et de vertus thérapeutiques transmises à l’humain en les serrant dans les mains, en les portant en bijou ou en les exposant dans une pièce.

Sur la route des cristaux de guérison

Dans la série documentaire de deux épisodes Les dangers des cristaux guérisseurs, diffusée sur VRAI, notre Bureau d’enquête vous transporte dans ces conditions extrêmes, jusqu’au fond de mines artisanales dangereuses de Madagascar, et remonte la route des cristaux jusqu’au Québec.


Voir sur VRAI

 

À la source,
risquée et illégale

On est au kilomètre zéro. La commune d’Anjoma Ramartina est le chef-lieu des mines de la région. Les spectaculaires paysages vallonneux qui l’entourent sont morcelés par des exploitations minières – majoritairement artisanales et illégales – d’or, de pierres et de minéraux. Aux premiers rayons du soleil, les mineurs quittent le village, à pied ou en charrette, vers les mines à proximité. Parmi elles, la mine de quartz rose de Nasanga.

Anjoma Tananarive Base map

Il fait une chaleur accablante. Clarin transporte des morceaux de quartz qui pèsent parfois près de deux fois son poids. Il a 62 ans. Pieds nus, il monte péniblement la côte abrupte, recouverte d’éclats de minéral tranchant. Ses jambes tremblent sous le poids du morceau de 60 kg qu’il porte sur son dos et qui rapportera à son équipe 10 $ CAN (0,15 $ CAN/kilo).

À proximité, Yasmine et Badisto, tous deux âgés de 14 ans, transforment les retailles en petites pépites roses qu’ils vont vendre au village pour encore moins cher : 0,09 $ CAN/kg.

Extraction
entre 0,09 $
et 0,15 $ le kilo

C’est le point de départ du quartz rose dont on suivra la trace. Il s’apprête à parcourir 13 840 km jusqu’à Montréal, sur l’une des incalculables routes des pierres autour du globe

Des routes intraçables, souvent illicites, théâtre de scènes d’horreurs et sur lesquelles des groupes armés connus mondialement vont jusqu’à financer leurs activités. Lire l’article

Un minéral très recherché

Le quartz est le minéral le plus abondant sur terre. Néanmoins, on s’arrache celui de Madagascar, qui en extrait un peu plus de 600 tonnes par année. C’est l’un des principaux pays producteurs, derrière le Brésil et la Chine.

Illustration
600 tonnes / an

À plus petite échelle, une vingtaine de pays en font l’extraction, y compris le Canada, et plus précisément, le nord-ouest du Québec.

Dans la cour intérieure d’une maison plus cossue d’Anjoma Ramartina, entourée d’un muret et d’une grande porte de métal cadenassée, des travailleurs trient des amas de pépites de quartz rose sous la supervision de Lydia Rasoarimalala Haingonirive. L’entrepreneure achète les minéraux bruts provenant des mines avoisinantes, y compris celle de Nasanga, pour les revendre en grande quantité. Dans les tas se trouvent les pépites travaillées par Yasmine et Badisto.

Elle les revendra 10 fois plus cher.

La revente
acheté 0,09 $ / kg
revendu 0,90 $ / kg

Lydia possède aussi une mine de calcite bleue et un atelier de lapidaire, là où les pierres transformées sont sculptées à la main. Six jours par semaine, douze heures par jour, des hommes et des adolescents travaillent dans le bruit, la poussière et la saleté, sans équipement de protection, pour donner aux roches colorées des formes populaires de cœur, de crâne, de sphères ou encore de pyramide.

Il n’y a pas que le travail dans les mines qui soit dangereux; les étapes subséquentes sont aussi à hauts risques de blessures graves. Vidéo extraite du documentaire Les dangers des cristaux guérisseurs

Le travail des enfants

Le travail des enfants est visible partout à Madagascar : 47 % des 5 à 17 ans sont forcés de travailler. 86 000 le font dans les mines, même si l’âge légal y est de 18 ans, contrairement à d’autres secteurs moins dangereux. Lire l’article


Des tonnes à dos d’hommes

Les grandes cargaisons de quartz, extraites à la mine par Clarin et son équipe, prennent le chemin de l’entrepôt de William Solomon Rabemanantsoa, l’exploitant de la carrière. Ses clients sont principalement des Chinois, quelques Indiens et un exportateur malgache. Un conteneur de 27 tonnes leur est vendu cinq fois plus cher que le prix payé à l’équipe de mineurs.

« Quand ça marche bien, on arrive à vendre cinq, six conteneurs par an. Mais quand ça ne marche pas, même trois conteneurs, c’est un peu difficile », explique l’entrepreneur.

Son chiffre d’affaires oscille entre 60 000 $ CAN et 120 000 $ CAN par année. Ses journaliers dans les mines gagnent moins de 400 $ CAN par année.

Exportation
Salaire 400 $ / an
Ventes 120 000 $ / an

« Des fois, on se casse la gueule », lance en ricanant le vieil homme charismatique. Son air inoffensif et attachant contraste avec le milieu dans lequel il opère. Ce Malgache a tiré son épingle du jeu, à travers la corruption (Lire l’article). Le gel des permis miniers, les groupes armés – les Dahalo – qui sèment la terreur dans l’industrie et la compétition des Chinois qui envahissent le marché.

Comment ? Sa mémoire lui fait à tout coup défaut sur les questions compromettantes, la faute à son âge ou grâce à un habile jeu d’acteur.

William Solomon Rabemanantsoa
William Solomon Rabemanantsoa devant une cargaison de 27 tonnes de quartz rose qui quittera vers la Chine. Photo AUDREY RUEL-MANSEAU, BUREAU D’ENQUÊTE

William regarde l’heure sur sa montre Daniel Wellington – qui vaut cinq mois du salaire moyen malgache. Son chauffeur l’attend à sa voiture. Il doit filer vers la capitale pour un rendez-vous médical.

On part dans la même direction.

La deuxième partie du récit : Sales et profitables. Lire la suite->


— Avec la collaboration de Joris Cottin, Eve Lévesque et Élodie Châteauvert

Avez-vous des informations d'intérêt public concernant le marché des cristaux de guérison?

Bubble

Contactez-moi en toute confidentialité à audrey.ruel-manseau@quebecormedia.com

 

 

Crédits

Journaliste : Audrey Ruel-Manseau

Design et réalisation  : David Lambert

Intégration, animation : Cécilia Defer

Direction, création éditoriale : Charles Trahan

LES DANGERS DES CRISTAUX GUÉRISSEURS

Journaliste et co-réalisatrice : Audrey Ruel-Manseau

Directeur photo et co-réalisateur : Joris Cottin

Monteur : Mario Daoust

Cheffe de production : Élodie Châteauvert

Productrice et directrice de contenu : Ève Lévesque

Directeur du Bureau d’enquête : Jean-Louis Fortin

 

Bureau d'enquete Vrai

REMERCIEMENTS

CE REPORTAGE A BÉNÉFICIÉ D’UNE BOURSE DU FONDS QUÉBÉCOIS EN JOURNALISME INTERNATIONAL (FQJI)