BRISE DES VIES
grâce au
quartz rose,
avec de
l’hématite,
grâce à de
l’améthyste…
Si l’utilisation ésotérique des roches et des minéraux pour se guérir n'a de prouvé que son effet placebo, elle génère pourtant des milliards de dollars. Mais à quel prix ?
Notre Bureau d’enquête est allé à Madagascar, principal pays producteur de pierres.
Nous avons vécu de l’intérieur la réalité choquante de travailleurs, parfois adolescents, qui approvisionnent notre industrie du bien-être, au péril de leur vie.
« Ce trou descend d’abord de 15 mètres et compte environ 300 mètres de galeries souterraines. Cinq personnes descendent dans la mine et deux autres restent en haut du trou pour s’occuper de la manivelle », explique le mineur Faralahy Landrysoa.
Nous sommes au sommet d’une montagne aride, en plein centre de l’île africaine de Madagascar. Si on tranchait la montagne en deux, elle dévoilerait une fourmilière de tunnels précaires et exigus. Des mineurs y circulent, accroupis, et piochent durant des heures dans l’espoir d’en extirper de scintillantes pointes de cristal de quartz, qui seront vendues partout dans le monde.
Santatra a un visage espiègle. Un petit sourire en coin, il penche timidement la tête quand on le regarde, puis tire la langue avec des yeux rieurs. Il a 14 ans. Ses traits juvéniles, sa croissance inachevée et son humeur candide contrastent avec l’environnement qui l’entoure.
Sa vie se résume à cette mine de cristal de quartz. Les travailleurs dorment sur place, entassés dans des cabanes de fortune, à peine protégés des intempéries. Son camarade Faralahy Landrysoa a pioché son premier cristal à 13 ans.
On est à 12 heures de marche de la route goudronnée la plus proche et à quelques heures de plus du village d’Anjoma Ramartina.
Salaires de misère
Un travailleur sur 5 gagne sa vie dans les petites mines artisanales à Madagascar. C’est le deuxième secteur pourvoyeur d’emploi après l’agriculture.
Les journaliers engagés dans les mines sont payés en moyenne 1,50 $ CAN par jour, l’équivalent de 7 tasses de riz. C’est la moitié du seuil de la pauvreté établi par l’ONU ; 80 % des Malgaches vivent en dessous.
Une quinzaine d’hommes et d’adolescents sont sur le site, tous embauchés par « un patron ». Ils travaillent en équipe. L’une d’elles est en action et nous invite à la joindre.
Des ouvertures creusées à mains d’hommes mènent aux entrailles de la montagne. L’entrée d’un tunnel vertical est recouverte d’un abri qui protège la structure rudimentaire. L’installation a les allures d’un puits. Une chaudière en plastique est attachée à une corde enroulée autour d’un tronc d’arbre horizontal déposé sur deux autres morceaux de bois en forme de « Y ».
À la différence qu’on n’y transporte pas de l’eau, mais plutôt des humains, qui posent un pied dans la chaudière et se tiennent à la corde pour descendre et remonter.
Tout au fond, l’impression que les poumons se compressent est instantanée. En regardant vers le haut, les visages penchés dans l’ouverture du trou sont devenus de petites silhouettes.
Parfois, les passages souterrains sont si profonds que des coéquipiers à l’extérieur aident les mineurs à respirer. Ils utilisent de longs sacs en plastique qu’ils remplissent d’air et qu’ils écrasent vers le fond du trou pour l’acheminer entre les parois oppressantes, instables et friables.
Les opérations sont à haut risque et les blessures, parfois très graves, sont inévitables.
Le bruit des pics résonne au loin. La voix des mineurs déjà engouffrés dans les tunnels est à peine audible. Ils passeront des heures sous terre à chercher les cristaux de quartz de la plus haute qualité, un coup de masse à la fois.
À Montréal comme ailleurs, les adeptes de lithothérapie désirent acheter les plus translucides, les plus brillants, les plus purs.
Qu’est-ce que la lithothérapie ?
La lithothérapie est une pratique pseudoscientifique selon laquelle les pierres et les minéraux émettraient des vibrations et auraient le pouvoir de soigner les souffrances physiques et psychologiques.
Les adeptes appellent ces pierres « cristaux de guérison », ou, en anglais, « healing crystals ». Cette croyance veut que les pierres soient chargées d’une énergie et de vertus thérapeutiques transmises à l’humain en les serrant dans les mains, en les portant en bijou ou en les exposant dans une pièce.
Sur la route des cristaux de guérison
Dans la série documentaire de deux épisodes Les dangers des cristaux guérisseurs, diffusée sur VRAI, notre Bureau d’enquête vous transporte dans ces conditions extrêmes, jusqu’au fond de mines artisanales dangereuses de Madagascar, et remonte la route des cristaux jusqu’au Québec.
À la source,
risquée et illégale
On est au kilomètre zéro. La commune d’Anjoma Ramartina est le chef-lieu des mines de la région. Les spectaculaires paysages vallonneux qui l’entourent sont morcelés par des exploitations minières – majoritairement artisanales et illégales – d’or, de pierres et de minéraux. Aux premiers rayons du soleil, les mineurs quittent le village, à pied ou en charrette, vers les mines à proximité. Parmi elles, la mine de quartz rose de Nasanga.
Il fait une chaleur accablante. Clarin transporte des morceaux de quartz qui pèsent parfois près de deux fois son poids. Il a 62 ans. Pieds nus, il monte péniblement la côte abrupte, recouverte d’éclats de minéral tranchant. Ses jambes tremblent sous le poids du morceau de 60 kg qu’il porte sur son dos et qui rapportera à son équipe 10 $ CAN (0,15 $ CAN/kilo).
À proximité, Yasmine et Badisto, tous deux âgés de 14 ans, transforment les retailles en petites pépites roses qu’ils vont vendre au village pour encore moins cher : 0,09 $ CAN/kg.
C’est le point de départ du quartz rose dont on suivra la trace. Il s’apprête à parcourir 13 840 km jusqu’à Montréal, sur l’une des incalculables routes des pierres autour du globe
Des routes intraçables, souvent illicites, théâtre de scènes d’horreurs et sur lesquelles des groupes armés connus mondialement vont jusqu’à financer leurs activités. Lire l’article
Un minéral très recherché
Le quartz est le minéral le plus abondant sur terre. Néanmoins, on s’arrache celui de Madagascar, qui en extrait un peu plus de 600 tonnes par année. C’est l’un des principaux pays producteurs, derrière le Brésil et la Chine.
À plus petite échelle, une vingtaine de pays en font l’extraction, y compris le Canada, et plus précisément, le nord-ouest du Québec.
Dans la cour intérieure d’une maison plus cossue d’Anjoma Ramartina, entourée d’un muret et d’une grande porte de métal cadenassée, des travailleurs trient des amas de pépites de quartz rose sous la supervision de Lydia Rasoarimalala Haingonirive. L’entrepreneure achète les minéraux bruts provenant des mines avoisinantes, y compris celle de Nasanga, pour les revendre en grande quantité. Dans les tas se trouvent les pépites travaillées par Yasmine et Badisto.
Elle les revendra 10 fois plus cher.
Lydia possède aussi une mine de calcite bleue et un atelier de lapidaire, là où les pierres transformées sont sculptées à la main. Six jours par semaine, douze heures par jour, des hommes et des adolescents travaillent dans le bruit, la poussière et la saleté, sans équipement de protection, pour donner aux roches colorées des formes populaires de cœur, de crâne, de sphères ou encore de pyramide.
Le travail des enfants
Le travail des enfants est visible partout à Madagascar : 47 % des 5 à 17 ans sont forcés de travailler. 86 000 le font dans les mines, même si l’âge légal y est de 18 ans, contrairement à d’autres secteurs moins dangereux. Lire l’article
Des tonnes à dos d’hommes
Les grandes cargaisons de quartz, extraites à la mine par Clarin et son équipe, prennent le chemin de l’entrepôt de William Solomon Rabemanantsoa, l’exploitant de la carrière. Ses clients sont principalement des Chinois, quelques Indiens et un exportateur malgache. Un conteneur de 27 tonnes leur est vendu cinq fois plus cher que le prix payé à l’équipe de mineurs.
Son chiffre d’affaires oscille entre 60 000 $ CAN et 120 000 $ CAN par année. Ses journaliers dans les mines gagnent moins de 400 $ CAN par année.
« Des fois, on se casse la gueule », lance en ricanant le vieil homme charismatique. Son air inoffensif et attachant contraste avec le milieu dans lequel il opère. Ce Malgache a tiré son épingle du jeu, à travers la corruption (Lire l’article). Le gel des permis miniers, les groupes armés – les Dahalo – qui sèment la terreur dans l’industrie et la compétition des Chinois qui envahissent le marché.
Comment ? Sa mémoire lui fait à tout coup défaut sur les questions compromettantes, la faute à son âge ou grâce à un habile jeu d’acteur.
William regarde l’heure sur sa montre Daniel Wellington – qui vaut cinq mois du salaire moyen malgache. Son chauffeur l’attend à sa voiture. Il doit filer vers la capitale pour un rendez-vous médical.
On part dans la même direction.
La deuxième partie du récit : Sales et profitables. Lire la suite
— Avec la collaboration de Joris Cottin, Eve Lévesque et Élodie Châteauvert
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Contactez-moi en toute confidentialité à audrey.ruel-manseau@quebecormedia.com
Crédits
Journaliste : Audrey Ruel-Manseau
Design et réalisation : David Lambert
Intégration, animation : Cécilia Defer
Direction, création éditoriale : Charles Trahan
LES DANGERS DES CRISTAUX GUÉRISSEURS
Journaliste et co-réalisatrice : Audrey Ruel-Manseau
Directeur photo et co-réalisateur : Joris Cottin
Monteur : Mario Daoust
Cheffe de production : Élodie Châteauvert
Productrice et directrice de contenu : Ève Lévesque
Directeur du Bureau d’enquête : Jean-Louis Fortin
REMERCIEMENTS
CE REPORTAGE A BÉNÉFICIÉ D’UNE BOURSE DU FONDS QUÉBÉCOIS EN JOURNALISME INTERNATIONAL (FQJI)
