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Dans la mire des espions

Le Canada espionné de toutes parts
par des puissances étrangères

PHOTO MARTIN ALARIE /
TRAITEMENT PHOTO JOURNAL DE MONTRÉAL

Plusieurs enquêtes pour espionnage au Québec

Les entreprises et les universités québécoises sont plus sensibles aux possibles cas d’espionnage

Les services secrets canadiens mènent en ce moment plusieurs enquêtes au Québec en matière d’espionnage économique et d’ingérence étrangère, deux menaces qui ont supplanté le terrorisme comme principal péril pour la sécurité nationale.

Le temps où les services secrets fuyaient la lumière à tout prix et se tenaient à l’écart de la population est révolu.

Face à de nouvelles menaces qui s’infiltrent profondément dans toutes les sphères de la société, les services secrets veulent « sortir de l’ombre » et demandent l’aide de la population pour lutter contre l’ingérence des pays étrangers.

Dans une rare sortie publique, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) nous a confirmé que des enquêtes étaient en cours au Québec en matière d’espionnage.

Les plus grandes universités et plusieurs entreprises de la province ont été rencontrées dans les dernières années, voire les derniers mois, par les agents du SCRS. Les citoyens doivent être à l’affût de ces nouvelles menaces, plaide le service de renseignement.

Dans ce grand dossier, nous décortiquons les principales menaces qui guettent aujourd’hui le Québec, de l’espionnage économique aux cyberattaques en provenance de pays étrangers.

Une priorité pour la GRC

Le transfert vers l’étranger de technologies développées au Québec, le vol de données confidentielles, les cyberattaques sur nos infrastructures essentielles : ce sont là de nouvelles préoccupations non seulement pour les services secrets, mais également pour les policiers.

La Gendarmerie royale du Canada a même fait de l’ingérence étrangère sa « priorité numéro un » en matière de sécurité nationale, après avoir constaté l’« intérêt » de plusieurs pays pour les recherches canadiennes sur les vaccins pendant la pandémie.

« Les conséquences de l’ingérence étrangère sont tout aussi importantes pour le Canada que le terrorisme peut l’être [...] On ne perd pas seulement une quantité importante de savoir, mais également des milliards de dollars, qui sont littéralement évacués de l’économie.»
— DAVID BEAUDOIN, Inspecteur de l’équipe intégrée de la sécurité nationale (EISN) de la GRC.

C’est ce dernier qui avait annoncé l’arrestation d’un employé d’Hydro-Québec, Yuesheng Wang, accusé d’espionnage économique, en novembre dernier. Selon l’inspecteur Beaudoin, le Québec vit actuellement un « momentum » en matière d’espionnage.

Plusieurs incidents

Wanping Zheng
Wanping Zheng. CAPTURE D’ÉCRAN YOUTUBE

En effet, au cours des dernières années, les incidents en la matière se sont multipliés. Par exemple, un citoyen de Brossard, Wanping Zheng, a été accusé l’an dernier d’abus de confiance par un fonctionnaire public, car il aurait utilisé son statut d’ingénieur à l’Agence spatiale canadienne afin de négocier secrètement des ententes pour le compte d’une compagnie aérospatiale chinoise. Le dossier est devant les tribunaux.

Wanping Zheng
Wanping Zheng. CAPTURE D’ÉCRAN YOUTUBE

Deux scientifiques d’origine chinoise ont aussi été congédiés du Laboratoire national de microbiologie de Winnipeg en janvier 2020 pour un possible cas d’espionnage sur lequel le laboratoire a refusé de s’expliquer publiquement.

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Jamais autant
de signalements

Le responsable de l’Équipe
intégrée de la sécurité
nationale croit qu’Hydro-
Québec doit être protégée


La Gendarmerie Royale du Canada n’a jamais reçu autant de signalements liés à l’ingérence et à l’espionnage économique, un signe selon elle que ces deux menaces sont maintenant prises au sérieux par les universités et les entreprises de pointe.

Dans un entretien qu’il a accordé à notre Bureau d’enquête au cours des dernières semaines, l’inspecteur David Beaudoin, de l’équipe intégrée de la sécurité nationale (EISN), a expliqué l’importance qu’a pris le phénomène de l’espionnage depuis quelques années.


L’EISN est intervenue à deux reprises récemment au Québec, soit lors des arrestations d’un ex-employé d’Hydro-Québec accusé d’espionnage et d’un homme de Lévis accusé de terrorisme. Sera-t-on appelé à voir votre unité de plus en plus souvent dans l’actualité québécoise ?

Il est en effet possible de s’attendre à voir un peu plus l’EISN dans les nouvelles. Il y a des enquêtes actives constamment. Par exemple, le secteur énergétique est un fleuron du Québec et représente un intérêt stratégique à protéger. C’est certain qu’Hydro-Québec, par la taille de l’entreprise et par la capacité du réseau hydro-électrique, représente une menace potentielle plus importante qui doit être priorisée au Québec, tout comme le réseau académique.

C’est d’ailleurs une première canadienne, l’infraction que nous avons déposée contre l’employé d’Hydro-Québec sous la Loi sur la protection de l’information (espionnage économique). On est en train de tester cette loi-là pour la première fois. C’est certain qu’on attend avec impatience les décisions des tribunaux.

Est-ce qu’il y a un momentum favorable à la multiplication des cas d’ingérence étrangère et d’espionnage au pays actuellement ?

Je ne veux pas apeurer les gens et leur faire croire que la sécurité nationale est pire que c’était au Canada. Mais oui, il y a un momentum [...] D’un côté, on fait énormément de travail de prévention, particulièrement avec les secteurs à risque, ce qui fait que les gens sont davantage sensibilisés à la menace de l’ingérence étrangère.

On a plus de signalements que par le passé. Ensuite, il y a eu une modernisation de nos opérations. […] on devient de plus en plus efficace pour mener des enquêtes qui donnent des résultats et qui potentiellement permettent de judiciariser des dossiers.

david-beaudoin david-beaudoin
L’inspecteur David Beaudoin, de l’équipe intégrée de la sécurité nationale (EISN) de la Gendarmerie royale du Canada, estime qu’il y a actuellement un « momentum » en matière d’espionnage au Québec. PHOTO CHANTALE POIRIER, LE JOURNAL DE MONTRÉAL

Comment les tentatives d’espionnage se manifestent-elles concrètement sur un lieu de travail, par exemple dans une entreprise technologique de pointe ?

C’est souvent la sécurité corporative d’une entreprise qui va nous signaler une situation problématique. On nous rapporte des comportements qui sont suspects [...] Des employés vont remarquer qu’il y a des gens qui contreviennent au code de conduite de l’entreprise, qui vont utiliser des clés USB de manière inappropriée ou qui vont partager de l’information ou des dossiers sans utiliser les systèmes d’encryptage prévus.

On va remarquer également que certains employés vont partir avec des documents qui ne devraient pas sortir du bureau. On parle d’habitudes qui vont attirer l’attention.

L’image de l’espion surentraîné et équipé de technologies de pointe, comme dans les films, correspond-elle à la réalité ?

Les gens doivent modifier leur perception de ce qu’est l’espionnage. Ce n’est pas toujours l’œuvre de quelqu’un qui va descendre du plafond avec une corde et une cagoule et qui va réussir à desceller un coffre-fort ou déposer une clé USB magnétique sur un ordinateur et repartir avec les données. L’ingérence étrangère, c’est un phénomène complexe qui se traduit de plusieurs manières.

Ça peut aller de tactiques d’intimidation contre certaines personnes d’une origine ethnique en particulier à l’espionnage high-tech ou encore du positionnement dans certaines sphères de la société pour essayer d’influencer l’opinion publique.

Est-ce que, tout comme pour les services secrets, il y a une grande partie du travail de votre unité qui demeure dans l’ombre ?

Oui. Ce ne sont pas tous nos dossiers qui sont judiciarisés. Notre priorité va toujours être la sécurité du public et des infrastructures du Canada. Il arrive parfois qu’on pose simplement des actions de perturbation dans un dossier, car on n’est pas en mesure de le judiciariser.

Pour nous, c’est également une fin en soi de perturber les actions d’intérêts étrangers. Ça peut mettre fin à la menace ou la contrôler temporairement, le temps qu’on mette en place d’autres stratégies.

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ESPIONNAGE ET INGÉRENCE

Quels pays ciblent
le Canada ?


Turquie, Arabie saoudite, Inde, Iran Des menaces
pour les diasporas

Les auteurs de cybermenaces en provenance de ces pays ciblent particulièrement des membres de leur diaspora, notamment des opposants politiques.

« [Ils] s’adonnent à des activités hostiles qui menacent les intérêts du Canada à l’échelle nationale et internationale, notamment en intimidant des membres de leur diaspora », a écrit au printemps dernier le Groupe de travail sur la sécurité nationale de l’Université d’Ottawa dans un rapport.

En novembre, le Service canadien du renseignement de sécurité a aussi déclaré que l’Iran menaçait des dissidents du régime islamique qui vivent au Canada.

L’Iran et la Corée du Nord des cybermenaces stratégiques

Ces deux pays, parmi d’autres qui parrainent aussi des attaques informatiques, comme la Russie et la Chine, se démarquent en matière de cybermenaces, estime le Centre canadien pour la cybersécurité. Les auteurs de cybermenaces tentent d’exploiter des lacunes ou de forcer l’accès de réseaux informatiques afin de récolter des informations stratégiques ou carrément de procéder à des attaques.

Toutefois, selon le Centre, il est peu probable que l’on s’en prenne directement aux infrastructures essentielles du Canada en l’absence d’hostilités directes entre pays.

Russie Le pays
«qui ne dort jamais»

Les cyberattaques et les campagnes de désinformation en provenance de la Russie sont une source d’inquiétude pour les autorités canadiennes. « La Russie est plus encline à perturber et à miner notre système de gouvernement par des messages qui jettent un doute sur ce qui se passe chez nous », a témoigné en comité parlementaire Adam Fisher, directeur de l’évaluation du renseignement du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), le 3 novembre dernier.

Le directeur de Disinfo-Watch, une plateforme web sur la désinformation étrangère, a expliqué aussi devant ce même comité comment la Russie avait « exploité » la pandémie de COVID-19 pour répandre de fausses informations anti-confinement sur le web.

« L’objectif principal et permanent de la Russie est de miner et de déstabiliser notre démocratie en exploitant les enjeux les plus polarisants de l’heure », a expliqué Marcus Kolga, au Comité de la procédure et des affaires de la Chambre des communes, qui étudie présentement l’ingérence étrangère.

Disinfo-watch
Disinfo-Watch, une plateforme sur la désinformation étrangère. Capture d’écran tirée du site disinfowatch.org

M. Kolga, qui est également rattaché à l’Institut Macdonald-Laurier, a affirmé que la menace est constante. « Les Russes sont continuellement actifs. Leurs activités ne cessent jamais. Ils ne dorment jamais. »

Selon le Centre de la sécurité des télécommunications (CST), le Canada n’est pas toujours visé directement par la désinformation russe, mais cela s’est déjà produit. Par exemple, en avril 2022, le CST a dévoilé qu’une campagne russe affirmait que des soldats canadiens commettaient des crimes de guerre en Ukraine et utilisait des images « altérées » pour répandre des « faussetés » sur l’implication du Canada dans le conflit.

Chine à la recherche
des savoirs canadiens

Pékin est sur le radar des autorités canadiennes pour plusieurs raisons. D’abord, des soupçons pèsent sur la Chine en matière d’ingérence lors des dernières élections fédérales. Un comité siège actuellement au Parlement canadien pour faire la lumière sur des allégations de financement illégal de onze candidats.

Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) le martèle depuis un certain temps : l’ingérence en provenance de la Chine n’est pas une possibilité ; elle a déjà cours au Canada depuis quelques années, notamment par des tentatives de manipulation et d’intimidation de la diaspora chinoise via des médias sociaux et communautaires.

Elections Canada
Des soupçons pèsent sur la Chine en matière d’ingérence lors des dernières élections fédérales. PHOTO JOËL LEMAY, AGENCE QMI

De plus, on attribue à Pékin différentes tentatives d’espionnage économique. Dans son dernier rapport annuel, le SCRS indique que « les services de renseignement de la République populaire de Chine [...] se servent également d’agents de collecte non professionnels, c’est-à-dire de personnes qui n’ont reçu aucune formation officielle en renseignement et qui possèdent une expertise utile (p. ex., scientifiques, gens d’affaires) ».

Ces espions non traditionnels peuvent, volontairement ou après avoir été forcés de le faire, récolter de l’information sur des technologies de pointe ou des secrets commerciaux au profit de Pékin ou d’intérêts industriels chinois.

Enfin, le positionnement de la Chine dans l’Arctique inquiète également. Selon un rapport de 2021 du groupe de réflexion américain The Brookings Institution, la Chine s’équipe de brise-glaces et procède actuellement à l’installation d’infrastructures « scientifiques et satellites » dans plusieurs pays nordiques, dont la Norvège, l’Islande et la Suède.

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Nos institutions
de recherche
dans la mire

C’est surtout la Chine
qui s’intéresse aux technologies
de pointe québécoises


Des dizaines de chaires de recherche dans des domaines de pointe, une industrie biopharmaceutique reconnue, des entreprises technologiques de haut niveau : le Québec est particulièrement attirant pour les États étrangers qui cherchent à acquérir nos savoirs.

Au cours des dernières années, les services policiers et de renseignement canadien ont multiplié les séances d’information auprès des universités et entreprises de pointe à travers la province pour tenter d’endiguer, sinon de prévenir le phénomène de l’espionnage économique.

Car c’est dans ces lieux de savoir, beaucoup plus que dans les couloirs du parlement ou ceux des ambassades à Ottawa, que le risque d’espionnage est le plus grand.

« Par le passé, les espions tentaient de mettre la main sur les secrets politiques, militaires et diplomatiques du Canada [...] Aujourd’hui, ils concentrent leurs efforts sur les propriétés intellectuelles et les recherches avancées effectuées au moyen de systèmes d’ordinateurs de jeunes entreprises, de laboratoires universitaires et de salles de conférences », expliquait David Vigneault, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), lors d’un rare discours en février 2021.

La menace chinoise

Bien que plusieurs pays puissent représenter une menace en matière d’espionnage, la Chine est particulièrement à surveiller, selon les différents anciens employés du SCRS ou de la diplomatie canadienne interrogés par notre Bureau d’enquête.

Hydro Québec Hydro Québec
Hydro-Québec fait partie des infrastructures essentielles qui sont considérées comme des cibles potentielles d’espionnage par les services de renseignement. Un employé de la société d’État, Yueshang Wang, a été arrêté pour espionnage en novembre. Il se dit innocent et a été remis en liberté en attendant son procès. Photo Pierre-Paul Poulin et photo tirée de la page LinkedIn de Yuesheng Wang

En mai, le Groupe de travail sur la sécurité nationale de l’Université d’Ottawa a aussi fait une mise en garde à cet effet dans son rapport Une stratégie de sécurité nationale pour les années 2020.

« À leur insu, les innovateurs canadiens qui collaborent avec des partenaires chinois rendent service à l’armée chinoise, notamment dans le cadre de partenariats de recherche [...] Les meilleures universités de recherche du Canada comptent parmi les institutions qui collaborent le plus souvent avec les universités militaires chinoises ».

« On a été naïfs »

« Regardez Hydro-Québec, on n’a pas eu affaire à un grand espion des services secrets chinois. Mais c’est une personne dans un secteur sensible qui aurait pris la décision de devenir une menace et qui aurait potentiellement causé beaucoup de dommages », illustre Daniel Stanton, instructeur en sécurité nationale à l’Université d’Ottawa, qui a œuvré pendant 32 ans au SCRS.

L’ancien ambassadeur à Pékin, Guy Saint-Jacques, abonde dans le même sens. « La Chine fait des efforts extraordinaires pour rattraper son retard dans des domaines technologiques de pointe […] On a été naïfs. Il y a eu un effort systématique pour voler de la technologie canadienne (au cours des dernières années). »

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À quoi ressemble
un espion moderne ?


QUI EST-IL ?

  • Si certaines personnes espionnent de manière volontaire pour le compte d’un pays, d’autres sont forcées de le faire, par exemple sous la menace de représailles sur leurs proches demeurés dans leur pays d’origine.
  • Employés, étudiants, chercheurs, professeurs, partenaires d’affaires peuvent être sollicités ou forcés par un État étranger de lui fournir des informations.
  • En 2017, Pékin a introduit la Loi nationale sur le renseignement qui exige que les citoyens chinois coopèrent avec le service de renseignement, voire espionnent pour le compte de la Chine, si la demande leur en est faite.

Où opère-t-il ?

  • Les lieux de savoir, comme les chaires de recherche des universités, mais également les entreprises de technologies de pointe.

Que cherche-t-il ?

  • Des renseignements commerciaux, militaires et économiques. Les renseignements personnels peuvent aussi être visés.

Comment espionne-t-il ?

  • En personne, en ayant accès à des données, ou en ligne. Le cyberespionnage commercial en provenance de la Chine, la Russie, l’Iran et la Corée du Nord est particulièrement à surveiller au cours des deux prochaines années, selon le Centre canadien pour la cybersécurité.

 


Quelles formes prend l’ingérence en 2022 ?

OÙ CELÀ A-T-IL LIEU ?

  • Partout, mais les institutions démocratiques sont particulièrement à risque, puisque le but est de perturber et d’influencer les décisions stratégiques prises au Canada.

Quelles formes
cela prend-t-il?

  • Cela peut passer par des campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux ou des cybermenaces. Il peut y avoir aussi de la manipulation et de l’intimidation auprès de différentes diasporas au Canada.

COMMENT?

  • Il existe plusieurs moyens, par exemple s’immiscer dans des élections en finançant secrètement certains candidats, répandre des informations destinées à tromper la population sur les réseaux sociaux ou encore tenter d’influencer directement un élu ou une personne en autorité.
  • Selon le Service canadien du renseignement de sécurité, « toutes les administrations publiques (à l’échelon fédéral, provincial et municipal) sont exposées à une telle menace ».
Mire dans un ordinateur portable

Petit lexique
de sécurité nationale

Ingérence étrangère

  • Tentatives d’un État étranger d’influencer la population canadienne et/ou de favoriser ses intérêts stratégiques au détriment de ceux du Canada.
  • Peut se manifester de différentes façons : financement illégal lors d’élections, cyberattaques, désinformation sur les réseaux sociaux, chantage ou intimidation sur des citoyens originaires de l’État étranger ou encore vol de renseignements confidentiels.

Espionnage économique

  • Des pays ciblent l’économie canadienne en tentant de s’approprier des données ou des technologies dans un but militaire, commercial ou encore pour améliorer leurs propres services de renseignement.
  • Cela inclut l’espionnage traditionnel et en ligne. Cela peut aussi aller jusqu’à des investissements étrangers dans des entreprises de pointe ou des chaires de recherche dans un but caché de subtiliser des informations.
  • Les domaines les plus à risque selon le Service canadien du renseignement de sécurité : la biopharmaceutique, la santé, l’intelligence artificielle, les technologies marines, les technologies quantiques et l’aérospatiale.

Cybermenace

  • Compromission et espionnage de systèmes informatiques gouvernementaux ou d’entreprises privées dans un but d’espionnage, de sabotage ou même de terrorisme.
  • L’éventail des menaces est extrêmement large : cela va du piratage et du rançongiciel à des activités de surveillance en passant par les attaques informatiques à grande échelle.
  • Le Centre canadien pour la cybersécurité a recensé plus de 100 cas de cybermenaces ciblant des municipalités canadiennes depuis 2020.
Source : Rapports publics 2020 et 2021 du SCRS, Sécurité publique Canada
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Le Canada en retard sur nos alliés

Pendant que les États-Unis, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande s’activent, notre pays « n’agit pas »



Le Canada n’est pas prêt, tant stratégiquement que technologiquement, à faire face aux nouvelles menaces mondiales en matière de sécurité nationale, selon plusieurs experts.

Au printemps dernier, un groupe de travail de l’Université d’Ottawa regroupant les experts les plus chevronnés au pays en matière de défense et de sécurité nationale l’écrivait noir sur blanc : le Canada est « mal préparé » et ne peut plus se contenter de s’appuyer sur ses pays alliés, comme les États-Unis, pour se défendre contre les attaques d’autres pays.

« D’autres États, notamment nos alliés du Groupe des cinq (Australie, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, États-Unis), actualisent leurs politiques, développent de nouveaux outils et de nouveaux pouvoirs, consacrent davantage de ressources à la sécurité et créent de nouvelles alliances », lit-on dans le rapport Une stratégie de sécurité nationale pour les années 2020.

« Ils ont non seulement une vision claire des menaces qui pèsent sur le monde occidental, mais aussi une culture de sécurité nationale plus sophistiquée. Pendant ce temps, le Canada, lui, n’agit pas. »

Un monde qui a changé

Les cyberattaques d’États étrangers, la montée en puissance de pays totalitaires comme la Chine et la Russie, l’ingérence dans nos processus démocratiques : les dangers qui guettent le Canada sont nombreux et imprévisibles, comme l’a rappelé le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), David Vigneault, lors d’une allocution en février 2021.

« Nos adversaires ne jouent pas selon les règles généralement convenues dans le monde », a-t-il dit.

D’où l’urgence pour le Canada de se mettre à jour, plaidait encore cet automne en comité parlementaire la chef adjointe des renseignements électromagnétiques du Centre de la sécurité des télécommunications (CST), l’organisme chargé de la cybersécurité au pays.

« Dans l’optique du CST, nous ne manquons pas de constater que nos adversaires disposent de beaucoup de ressources. […] Nous avons beaucoup à faire pour rattraper notre retard », a dit Alia Tayyeb.

Des lois désuètes

Plusieurs lois sont à revoir. Celle qui définit le mandat du SCRS a été peu remaniée depuis sa création en 1984, tandis que la dernière grande politique en matière de sécurité nationale remonte à 2004. Et la surveillance d’Élections Canada sur « l’influence indue » se limite à la période électorale.

C’est aussi sans compter l’absence d’outils concrets pour lutter contre l’ingérence étrangère, rappelle le Groupe de travail sur la sécurité nationale de l’Université d’Ottawa, qui a présenté 65 recommandations pour renforcer la protection du Canada.

Certains de nos pays alliés réussissent à mettre la main au collet d’espions étrangers. Chez nous, il y a du retard, rappelle Charles Burton, un ancien conseiller au sein de l’ambassade du Canada à Pékin.

« La GRC et le SCRS ont investi énormément de ressources dans la lutte au terrorisme après le 11 septembre. Cela les a amenés à négliger d’autres menaces à la sécurité nationale, comme l’espionnage », dit-il.

« La Chine a réussi à infiltrer plusieurs institutions économiques et de recherches du Canada pendant que l’attention des agences de renseignement était tournée vers le terrorisme »

 


Ce que font
nos partenaires

Ces quatre pays forment avec le Canada le Groupe des cinq, une alliance de services de renseignement.

DOJ
En octobre, les États-Unis annonçaient le dépôt d’accusations contre 13 individus. PHOTO Reuters

ÉTATS-UNIS

  • Les États-Unis ont rapporté avoir été la cible de tentatives d’ingérence ou d’espionnage à quelques reprises. L’ingérence russe lors de la compagne électorale ayant mené à l’élection de Donald Trump en 2016 a été largement documentée, mais d’autres incidents d’origine chinoise ou iranienne ont aussi été remarqués lors du scrutin de 2020.
  • Cet été, dans une rare sortie commune, les dirigeants du FBI (police fédérale américaine) et du MI5 (services secrets de renseignement britannique) ont sonné l’alarme sur les dangers de l’espionnage commercial chinois.
  • Encore récemment, en octobre, les États-Unis annonçaient le dépôt d’accusations contre 13 individus soupçonnés de travailler pour les services secrets chinois et d’avoir notamment tenté d’entraver les poursuites américaines contre le géant Huawei.
Sergeï Skripal.
Sergeï Skripal. PHOTO AFP

ROYAUME-UNI

  • La tension est élevée entre le Royaume-Uni et la Russie, notamment depuis l’empoisonnement d’un ancien agent russe, Sergeï Skripal, ainsi que de sa fille, Loulia, à l’agent neurotoxique Novitchok dans la ville de Salisbury en mars 2018. Les services britanniques ont attribué l’attentat au gouvernement russe. Plusieurs diplomates russes avaient ensuite été expulsés.
  • En novembre dernier, le premier ministre britannique, Rishi Sunak, a annoncé la fin de l’« âge d’or » des relations entre la Chine et son pays sur fond de relations tendues. Le gouvernement a aussi demandé à plusieurs ministères de ne plus installer de caméras de surveillance fabriquées en Chine sur leurs « sites sensibles ».
  • Les services secrets britanniques M15 sont intervenus directement auprès du Parlement en janvier concernant une présumée espionne chinoise qui cultivait des liens avec des politiciens britanniques, à la suite de quoi cette dernière a été interdite d’entrée au parlement.

NOUVELLE-ZÉLANDE

Anne-Marie Brady
Anne-Marie Brady. PHOTO Kaveh Sardari, sardari.com
  • En 2017, une professeure de l’université de Canterbury, Anne-Marie Brady, a publié un rapport-choc (Armes magiques : les activités d’influence politique de la Chine sous Xi Jinping) sur les efforts de Pékin pour s’immiscer dans la politique de la Nouvelle-Zélande, notamment par des dons aux plus importants partis politiques et le recrutement d’anciens politiciens néo-zélandais par de grandes entreprises chinoises.
  • En audience cet automne devant un comité parlementaire à Ottawa, Mme Brady a indiqué que des enquêtes étaient en cours dans son pays concernant des dons « inappropriés ». Elle a aussi indiqué que les lois qui limitent les investissements étrangers en Nouvelle-Zélande comportent maintenant des critères de sécurité nationale.
Wang Liqiang
Wang Liqiang. PHOTO Fairfax Media

AUSTRALIE

  • L’Australie a été secouée par plusieurs cas allégués d’ingérence chinoise au cours des dernières années. Elle a d’ailleurs mis sur pied un groupe de travail pour lutter contre l’ingérence étrangère en 2019 après qu’un Chinois de 26 ans, Wang Liqiang, a demandé l’asile politique en se présentant comme un ex-espion transfuge.
  • Plusieurs autres mesures ont été prises depuis. Cette année, l’Australie a lancé un registre de désinformation pour lutter contre les fausses nouvelles et ainsi préserver l’intégrité du processus électoral pendant la dernière campagne.
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sarah-maude.lefebvre
@quebecormedia.com

Crédits

Journaliste : Sarah-Maude Lefebvre

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