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Des fausses contraventions remises par la compagnie Max Park Inc. Photos MARTIN ALARIE, LE JOURNAL DE MONTRÉAL

Conducteurs piégés

Les «faux tickets» dans la mire des inspecteurs

Qui sont les compagnies qui s’enrichissent en vous remettant des «contraventions illégales»?

Le Journal a enquêté durant des semaines sur ces entreprises très discrètes après avoir reçu des dizaines de témoignages d’automobilistes inquiets. Ces compagnies privées, qui distribuent des amendes bidon allant jusqu’à 103$, veulent même développer leur commerce partout au Québec… et dans le reste du pays.

Au moins trois entreprises québécoises qui s’enrichissent en remettant de «fausses contraventions» de stationnement à des automobilistes floués sont désormais dans le collimateur de l’Office de la protection du consommateur (OPC).

«Je paniquais au début parce que je pensais que c’était une vraie contravention. Ça n’a pas d’allure de faire ça! Il y a des gens qui vont vraiment payer parce qu’ils pensent que c’est légal», s’insurge Sylvie Daoust, en entrevue avec Le Journal.

Cette Québécoise s’est sentie «dupée» le 7 novembre dans un centre d’achat près du métro Langelier à Montréal. Elle a reçu une «fausse amende» de 69$ de l’entreprise privée Max Park Solutions, comme des dizaines d’autres automobilistes inquiets qui nous ont contactés.

Entrevue avec Sylvie Daoust, qui a reçu une fausse contravention de la compagnie Max Park Inc. Photo MARTIN ALARIE, LE JOURNAL DE MONTRÉAL

L’infraction de Mme Daoust? «Avoir stationné un véhicule et quitté en direction de la station de métro», peut-on lire sur le document bidon. Notons que Max Park Solutions, spécialisé dans la gestion de stationnements privés, affirme sur son site web desservir 12 régions du Québec allant de la Côte-Nord à l’Estrie.

«Ils m’ont donné la contravention en disant que je ne suis pas allée au magasin où j’ai stationné, mais c’est faux. C’est là que je me suis dit que ça commençait à ressembler à une possible arnaque», dénonce la résidente de l'arrondissement de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles.

Illustration Chapitre Qui sont ils
Une pancarte de la compagnie Stat Park Inc., au Quartier DIX30, à Brossard. Photo MARTIN ALARIE, LE JOURNAL DE MONTRÉAL

Qui sont ces entreprises?

Ces entrepreneurs du grand Montréal assurent qu’ils opèrent en toute légalité en remettant de «fausses amendes» de stationnement aux Québécois pour éviter, entre autres, «un festival du remorquage» à leurs clients. Voici un portrait des compagnies lavalloises qui soulèvent l’ire des automobilistes.

Stat Park Inc.
Elle surveille 400 terrains avec caméras et agents sur place
  • Propriétaire: Lyne Côté
  • Nombre de plaintes à l'Office de la protection du consommateur (OPC): 47
  • 3 octobre 2023: l'OPC leur envoie un rappel des dispositions de la Loi sur le recouvrement (lié aux faux billets de contravention)
  • Année de création: 2018
  • Lieu: Située à Laval
  • Amende de stationnement: 103$
Lyne Côté
Lyne Côté, propriétaire de la compagnie Stat Park Inc. qui remet beaucoup de faux billets de contravention au Quartier DIX30. Photo tirée du compte Facebook de Lyne Spark

En entrevue avec Le Journal, Stat Park Inc. confirme gérer des centaines de terrains de stationnement où l'entreprise donne de «fausses contraventions» pour les automobilistes fautifs. La compagnie a obtenu un contrat, entre autres, avec les stationnements du Quartier DIX30 à Brossard et du Marché Jean-Talon à Montréal.

«Il y a des gens qui préfèrent stationner chez nos clients privés pour éviter les stationnements payants. On n’en serait pas là si on n’avait pas cette problématique et les compagnies en gestion de stationnement comme nous n'existeraient pas», se défend sa présidente, Lyne Côté.

Photo Martin Alarie, Le Journal de montréal
Exemple d'une fausse contravention de la compagnie Stat Park Inc., remise au Quartier DIX30, à Brossard. Photo Francis Pilon, Le Journal de montréal

Stat Park Inc. assure ne pas donner de «fausses contraventions» aux conducteurs fautifs, mais plutôt une simple «facture». Mme Côté précise que cette méthode est moins agressive que de faire remorquer les véhicules et bien moins dispendieuse aussi. Elle souhaite ainsi éviter un «festival du remorquage».

Mais pourquoi lesdites «factures» ressemblent-elles autant à un véritable constat de la Ville de Montréal et ont les mêmes couleurs, alors?

«Non, ce n’est pas un constat, on écrit que c’est une facture dessus. J’ai dépensé des milliers et des milliers de dollars en avocats. Ce n’est pas légiféré. Aucune loi ne me dit que j’ai le droit ou que je n’ai pas le droit de faire ça», insiste Mme Côté, très énergique au bout du fil.

Max Park Solutions Inc.
Un gros joueur très discret dans 12 régions du Québec
  • Propriétaire: Gary Bastien
  • Nombre de plaintes à l'Office de la protection du consommateur (OPC): 32
  • 17 janvier 2023: l'OPC leur envoie un rappel des dispositions de la Loi sur le recouvrement (lié aux faux billets de contravention)
  • Année de création: 2020
  • Lieu: Située à Laval
  • Amende de stationnement: 69$, mais 99$ si payée après 30 jours
Gary Bastien
Édifice dans lequel se trouve Max Park Solutions Inc., sur la 100e avenue à Laval. Photo Martin Chevalier

Gary Bastien, à la tête de Max Park Solutions Inc., a refusé notre demande d’entrevue. Le Journal a d’ailleurs reçu des dizaines de témoignages de Québécois qui se plaignaient d’avoir reçu une «fausse contravention» venant de leur compagnie, notamment aux Galeries Laval dans le grand Montréal.

«Nous avons bien reçu votre demande pour une entrevue téléphonique. Nous préférons échanger avec vous par courriel, merci de respecter notre choix», écrit dans un courriel «l’équipe de Max Park».

Photo Martin Alarie, Le Journal de montréal
Modèle de «fausse contravention» de la compagnie Max Park Solutions Inc. Photo Martin Alarie, Le Journal de montréal

L’entreprise, qui n’a aucune affiche extérieure sur son immeuble à Laval, nous a d’ailleurs envoyé un communiqué presque identique à celui transféré par Stat Park Inc.

«Les gestionnaires immobiliers subissant trop d'abus dans l'utilisation des places de stationnement sans autorisation, résultant des conséquences désavantageuses pour eux. lls font donc appel à des entreprises comme la nôtre pour rétablir une saine utilisation dans leurs espaces de stationnement», mentionne-t-on.

Sur son site web, la compagnie lavalloise indique desservir 12 régions dans la province, dont le Centre-du-Québec, l'Outaouais et même la Mauricie.

Paypark Canada inc.
On le supplie d’encaisser l’argent
  • Propriétaire: Sylvain Vallières
  • Nombre de plaintes à l'Office de la protection du consommateur (OPC): 13
  • 2 août 2023: l'OPC leur envoie un rappel des dispositions de la Loi sur le recouvrement (lié aux faux billets de contravention)
  • Année de création: 2019
  • Lieu: Située à Laval
  • Amende de stationnement: 63$
Sylvain Vallières
Sylvain Vallières, qui a lancé l'entreprise Pay Park Canada Inc. Il confirme travailler en collaboration avec Lyne Côté, de Stat Park Inc. Photo tirée du compte Facebook de Sylvain Vallieres

Sylvain Vallières, propriétaire de Pay Park Canada Inc., prétend avoir cessé de donner de «fausses contraventions» de stationnement au Québec.

«Je m’occupe maintenant de la location de stationnement loué à l’heure», explique-t-il vaguement, tout en confirmant travailler en collaboration avec Stat Park Inc. Notons que les deux entreprises sont situées dans le même bâtiment à Laval.

Photo Martin Alarie, Le Journal de montréal
Les compagnies Stat Park et Pay Park sont situées dans le même bâtiment à Laval. Photo Martin Alarie, Le Journal de montréal

Le gestionnaire de Pay Park Canada Inc. a avoué que certains clients remettent encore de vieux avis de paiement de sa compagnie et non de «fausses contraventions».

«Il y a peut-être des concierges de bloc-appartements qui peuvent émettre nos avis sur un véhicule pour ne pas stationner chez eux. C’est 63$, raconte M. Vallières. Des fois, on reçoit un chèque et on l’encaisse juste parce que des gens insistent pour qu’on le fasse. Ils veulent la paix d’esprit.»

— Avec Nicolas Brasseur, Agence QMI

Illustration Chapitre Les autorités s'en mêlent
Une fausse contravention remise en novembre 2023 par la compagnie Max Park Inc. Photo MARTIN ALARIE, LE JOURNAL DE MONTRÉAL

Les autorités s’en mêlent

Deux autres entreprises remettent aussi ce genre d’«amendes» dans des stationnements privés du grand Montréal, soit Pay Park et Stat Park. Cette dernière a avoué à notre représentant vouloir s’implanter partout au Québec et dans le reste du pays au cours des prochaines années.

L’Office de la protection du consommateur (OPC) a confirmé pour sa part avoir rappelé à l’ordre ces trois compagnies. Des inspecteurs de l’organisme leur ont envoyé, au cours des derniers mois, un «avis de rappel des dispositions de la Loi sur le recouvrement de certaines créances».

Selon cette loi, personne ne peut, dans le recouvrement d’une créance, utiliser un écrit susceptible d’être confondu avec un document officiel... comme une véritable amende qui ne peut être remise que par un agent de stationnement d’une ville ou un policier.

Charles Tanguay
« Les consommateurs qui ont reçu un document sur des frais de stationnement interdit devraient communiquer avec l’Office pour porter plainte. »
— Charles Tanguay, porte-parole de l'Office de la protection du consommateur
PHOTO FOURNIE PAR L'Office de la protection du consommateur (OPC)

« S’ils ont déjà payé lesdits frais, ils peuvent mettre en demeure le commerçant de les rembourser et réclamer des dommages-intérêts et punitifs.», poursuit Charles Tanguay.

Pluie de plaintes contre eux

Au moins 92 plaintes ont été déposées à l’Office contre ces gestionnaires de stationnements qui remettent ce qu’ils prétendent être des «factures» et non de «faux tickets». Quarante-sept plaintes concernent Stat Park, 32 visent Max Park Solutions et 13, Pay Park.

92 plaintes
Au moins 92 plaintes ont été déposées à l’Office contre ces gestionnaires de stationnements qui remettent ce qu’ils prétendent être des «factures» et non de «faux tickets».

La majorité de celles-ci ont le même motif, selon l’OPC. «Des plaignants rapportent avoir reçu ce qui s’apparente selon eux à un ticket de stationnement», précise Charles Tanguay.

Selon Me Éric Lamontagne, avocat spécialisé en défense des infractions routières, les «fausses contraventions» de ces entreprises sont tout simplement illégales (voir notre autre texte à ce sujet).

«La forme du document remis ne fonctionne pas et ressemble beaucoup à une vraie amende. Ça donne une fausse impression aux gens qu’ils doivent payer rapidement cette “fausse contravention” parce qu’il y aura sinon des conséquences juridiques ou que le montant à payer augmentera», déplore Me Lamontagne.

 

! QUOI FAIRE SI VOUS RECEVEZ UNE FAUSSE CONTRAVENTION DE STATIONNEMENT?
  • Portez plainte à l’Office de la protection du consommateur
  • Ne payez pas le montant de la fausse amende
  • Ne contactez pas l’entreprise. Sinon, elle récoltera vos informations privées
  • Si vous avez payé lesdits frais, vous pouvez mettre en demeure le commerçant de vous rembourser
  • Vous pourriez même réclamer des dommages intérêts punitifs à la Cour des petites créances
  Source : L'Office de la protection du consommateur