Marc-André Grenon, accusé du meurtre de Guylaine Potvin et archives. Photo Courtoisie Sureté du Québec - Photos et vidéos Archives TVA

Meurtre de Guylaine Potvin, il y a 23 ans

Le présumé tueur coincé dans une enquête à la CSI

L'homme accusé d'avoir assassiné une étudiante à Jonquière a finalement pu être épinglé 22 ans après le meurtre en étant trahi par son nom de famille dans une enquête captivante où les bases de données généalogiques publiques ont été mises à profit.

Des avancées scientifiques fascinantes, une enquête digne de populaires séries télé et un véritable travail de moine. Voilà comment les autorités ont finalement pu épingler le présumé tueur de Guylaine Potvin, violée et assassinée dans son logement en avril 2000, révèlent des documents partiellement rendus publics par le tribunal aujourd’hui.

On ne saura probablement jamais ce qui se passait dans la tête de Marc-André Grenon pendant les 22 ans où il aurait miraculeusement réussi à passer entre les mailles du filet. Sentait-il l’épée de Damoclès qui lui pendait au-dessus de la tête? Était-il pris de remords? Croyait-il avoir réussi à s’en tirer? Chose certaine, les enquêteurs, eux, n’ont jamais abandonné ses deux présumées victimes.

Guylaine Potvin, assassinée en 2000 à Jonquière.
Guylaine Potvin, assassinée en 2000 à Jonquière. Photo courtoisie

Deux victimes

On se souvient surtout de Guylaine Potvin, qui n’a pas survécu à l’attaque sordide. Mais une seconde femme a vécu l’enfer à peine deux mois plus tard, à Québec. Son identité est protégée par la cour, mais elle fut victime d’une agression quasi identique, à l’exception qu’elle y a survécu.

Les deux habitaient dans des sous-sols convertis en résidence étudiante, les deux se rendaient à leurs cours à pied, avaient sensiblement le même âge et un physique similaire. Elles se trouvaient seules dans leur appartement et dans leur lit lors du crime. Les deux victimes portaient des marques au cou compatibles avec l'utilisation d'un lien, possiblement une ceinture.

photo A
photoB
Meurtre de Guylaine Potvin en octobre 2000 à Jonquière. Les policiers sortent son corps de son appartement. Photos Roger Gagnon / LES ARCHIVES / LE JOURNAL DE QUÉBEC

Généalogie

L’homme, aujourd’hui âgé de 48 ans, a finalement été épinglé à l’aide d’un système ultramoderne qui permettra assurément d'aider à résoudre d’autres cold cases dans les années à venir [voir autre texte].

Cet ingénieux système de comparaison de données génétiques, tirées notamment de sites spécialisés de généalogie, a permis d'identifier le nom de famille «Grenon» comme piste d'enquête à poursuivre et potentiel suspect d'intérêt prioritaire. Une enquête judicieuse de la SQ s’est alors amorcée afin de déterminer si Marc-André Grenon était bien le tueur. Au terme de celle-ci, les enquêteurs ont été en mesure de récolter la preuve nécessaire pour procéder à son arrestation, entre autres grâce à des techniques de filature. Bien que captivants, les autres détails des démarches policières sont visés par une ordonnance de non-publication afin d’éviter de contaminer l’opinion du futur jury.

Arrestation à Granby

On a finalement passé les menottes à Grenon quelques semaines plus tard.

La bague
Photo de la bague de finissante de Guylaine Potvin volée par le tueur. Photo courtoisie

Une perquisition a aussi été menée dans son logement de Granby, ville où il s’était établi depuis plusieurs années. Les policiers ont fouillé l’appartement de fond en comble à la recherche de nouvelles preuves. Ont-ils trouvé les deux «trophées» que le tueur avait volés à ses victimes, soit la bague de finissante que portait Guylaine Potvin le soir de son meurtre et le bracelet en or de l’autre victime de Québec? Il faudra attendre la tenue de son procès, prévu pour l’automne, pour avoir la réponse. En attendant celui-ci, Marc-André Grenon demeure derrière les barreaux.

Marc-André Grenon
Arrestation de Marc-André Grenon Photo Antoine Lacroix, Journal de Montréal

MISE EN GARDE :

Rappelons que Marc-André Grenon bénéficie de la présomption d’innocence et qu’il n’est reconnu coupable de rien pour le moment. Comme le procès n’a pas encore débuté, les faits mentionnés dans ce reportage n’ont pas été présentés en preuve devant la Cour et pourraient éventuellement être contestés.

Les proches de Guylaine Potvin se sont déplacés quelques fois au palais de justice de Chicoutimi dernièrement afin d'assister aux procédures judiciaires de Marc-André Grenon. Mardi, c'était d'ailleurs la première fois que la famille de la victime voyait le suspect en chair et en os. 
Les proches de Guylaine Potvin se sont déplacés quelques fois au palais de justice de Chicoutimi dernièrement afin d'assister aux procédures judiciaires de Marc-André Grenon. Mardi, c'était d'ailleurs la première fois que la famille de la victime voyait le suspect en chair et en os. Photo TVA

LES DEUX CRIMES

Guylaine Potvin, 19 ans, tuée le 28 avril 2000

La bague
Guylaine Potvin, assassinée en 2000 à Jonquière. Photo courtoisie

Le corps de l’étudiante en assistance sociale de 19 ans est trouvé par son amie peu avant 8h le matin. En arrivant sur les lieux, elle remarque que la porte d’entrée est entreouverte dans le logement du sous-sol, rue Panet, à Jonquière. Elle entend de la musique en provenance de la chambre de sa copine et constate que les lumières sont allumées. Elle s’avance et trouve alors Guylaine Potvin couchée sur son lit, sur le dos, sans couverture. Elle est presque nue et inerte.

Un certain désordre est notable. Des taches de semelles de chaussures sont visibles sur le mur et sur la tête de lit. Les couvertures sont au sol.

La bague
La résidence de Guylaine Potvin, assassinée en 2000 à Jonquière. Photo courtoisie

Guylaine Potvin a été agressée sexuellement et étranglée, comme en témoignent des marques au cou. Il s’agit d’une mort violente, relate le coroner.

On constate que l’agresseur s’est introduit sans forcer quoi que ce soit puisque Guylaine Potvin n’avait pas toujours l’habitude de verrouiller la porte. Le tueur s’est blessé pendant le crime et a laissé son sang sur la ceinture de la victime ainsi que sur une boîte de condoms.

Victime anonyme, 20 ans, agressée le 3 juillet 2000

Alors qu’elle dort dans son appartement du sous-sol à Sainte-Foy, elle sent quelqu’un la prendre par la gorge. Elle commence à manquer d’air, se débat et hurle. Elle arrête de bouger dans l’espoir qu’il cesse, mais elle perd ensuite conscience et ne se souvient plus de la suite.

Lorsqu’elle se réveille, elle a de la difficulté à respirer. Elle tente d’appeler le 911, mais l’opérateur ne l’entend pas puisque l’agresseur a volé le fil boudiné du téléphone. Ensanglantée et ayant une dent cassée, elle se réfugie chez une voisine à qui elle demande de l’aide. Les policiers arrivent et la conduisent à l’hôpital, où elle survit. Tout comme Guylaine Potvin, elle a été agressée sexuellement et rouée de coups au visage. On remarque également des marques au cou.

Lorsque les policiers analysent la scène, ils remarquent du sang sur la poignée de porte, sur le téléphone, sur la table à manger et sur le plancher de la cuisine. Des traces de lutte évidentes sont visibles dans la chambre de la victime ainsi que plusieurs autres traces de sang. Les draps, souillés de sang, sont au sol et le lit est déplacé. On détermine ensuite qu’elle a été battue violemment et agressée sexuellement. L’ADN de l’agresseur est retrouvé sur la scène.

 

L'enquête en dix étapes
En fonction des éléments rendus publics par le Tribunal, Le Journal présente un résumé de l'enquête de longue haleine menée sur une période de 22 ans. Si le dossier a d'abord été pris en charge par les services de police municipaux, celui-ci a été transféré à la section des "cold cases" de la Sûreté du Québec quelques années plus tard.
1. MÊME ADN
Peu après l’agression violente à l’été 2000 à Québec, le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale (LSJML) confirme que l’auteur du meurtre de Guylaine Potvin à Jonquière possède le même ADN que celui qui a agressé la jeune étudiante de 19 ans. L’ADN du suspect ne se trouve dans aucune banque existante ; il est donc impossible de l’identifier.
2. DES ALIBIS SOLIDES
Des centaines de personnes sont rencontrées par les enquêteurs. On disculpe la majorité d’entre elles via plusieurs techniques d’enquête, comme la preuve d’un alibi solide ou un prélèvement volontaire d'échantillon d’ADN.
3. DE NOUVELLES EMPREINTES
En janvier 2022, le Laboratoire de sciences judiciaires procède à une réanalyse de toutes les empreintes digitales prélevées dans les deux dossiers. Grâce aux nouvelles technologies, elle relève 47 nouvelles empreintes.
4. CORRESPONDANCE SURPRENANTE
L’une d’entre elles s’avère d’intérêt. Elle appartient à un étudiant ayant fourni son ADN il y a plusieurs années afin d’être disculpé. S’il est clair qu’il n’est pas le tueur, il partage toutefois une partie de son information génétique avec celle du coupable. D'après les experts , il s’agit d’une constatation «assez surprenante».
5. CHROMOSOME Y
À l’aide d’un système ultra moderne, des biologistes isolent le chromosome Y - celui que seuls les hommes possèdent et qui est transmis de père en fils - qui devrait correspondre à celui du profil génétique du tueur. On le compare ensuite avec ceux d'une banque confectionnée avec des données puisées sur des sites publics spécialisés de généalogie afin de déterminer si ce profil est souvent relié à une lignée de patronyme, donc à des noms de famille précis.
6. «GRENON»
En juin 2022, le Laboratoire de sciences judiciaires détermine que l’un des noms de famille prioritaires est « Grenon ».
7. IL VIVAIT TOUT PRÈS
À la suite de techniques d'enquête traditionnelles, le nom de Marc-André Grenon se distingue des autres. Il devient donc le suspect principal, notamment parce qu’il vivait à quelques mètres des victimes lors des crimes et qu'il avait alors des antécédents criminels au moment des crimes.
Marc-André Grenon
Marc-André Grenon lors de ses précédentes arrestations Photo courtoisie Sureté du Québec
8. RETROUVÉ À GRANBY
Les enquêteurs retrouvent Marc-André Grenon, alors qu’il vit désormais dans un appartement, à Granby. Il est sans emploi. L’enquête démontre qu’il a déménagé près de 60 fois dans sa vie.
Marc-André Grenon
Marc-André Grenon Photo facebook de Marc-André Grenon
9. EMPREINTES PRÉLEVÉES
Grâce notamment à des techniques de filature, les enquêteurs obtiennent la preuve désirée afin d'obtenir un mandat pour prélever les empreintes corporelles de Grenon.
10. ARRESTATION
En octobre 2022, les enquêteurs de la Sûreté du Québec procèdent à son arrestation à Granby.

« Si j’avais quelque chose à me reprocher, je commencerais à m’inquiéter »

Les banques généalogiques publiques accessibles aux policiers permettront assurément de résoudre d’autres « cold cases » québécois dans les années à venir, estime un expert.
« Disons que si j’avais quelque chose à me reprocher, que j’avais commis un meurtre non résolu il y a plusieurs années, je commencerais à m’inquiéter, estime le professeur en généalogie Emmanuel Milot. Il y a beaucoup de potentiel là-dedans. »

Celui qui enseigne à l’Université de Trois-Rivières connaît bien la méthode employée par les policiers et les biologistes du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale (LSJML) pour identifier un suspect deux décennies plus tard dans le meurtre de Guylaine Potvin.

Sans parler précisément de ce cas, le professeur Milot a accepté de décortiquer et vulgariser cette méthode scientifique.

Moins de 200 $

Les données retrouvées sur les banques généalogiques publiques, auxquels les forces de l’ordre de plusieurs pays ont désormais accès, sont fournies volontairement par de très nombreuses personnes à travers le monde. Pour moins de 200 $, n’importe qui peut faire venir chez soi une petite trousse dans laquelle des échantillons, généralement de salive, sont prélevés. Les écouvillons sont ensuite renvoyés à la compagnie, qui compare les résultats avec toutes les informations génétiques qu’elle possède. Le client peut alors savoir qui sont ses ancêtres et avoir une meilleure idée de ses origines. Dans certains cas, on peut également s’en servir pour connaître les risques de maladie héréditaire.

« C’est très populaire, dit le professeur Milot. On peut se retrouver bien malgré nous dans une banque comme celle-là et être identifié comme un 3e, 4e ou 5e cousin, par exemple. On n’est pas à l’abri qu’un membre de notre parenté éloignée ait fourni son ADN dans une telle banque. »

Crimes graves

Ces banques sont toutefois utilisées en dernier recours et uniquement dans des cas de crimes graves, comme des meurtres. Elles permettent notamment aux policiers de suivre les lignées paternelles liées au chromosome Y, que seuls les hommes possèdent, et ainsi cibler des noms de famille en particulier.

« Jusqu’à peu, c’était très corrélé parce que les noms de famille se transmettaient de père en fils, explique le spécialiste en généalogie. Aujourd’hui, c’est différent, un enfant peut avoir le nom de famille de sa mère, ou les deux. Il y a des adoptions aussi. »

Or, au Québec, notre histoire fait en sorte que de nombreux patronymes sont surreprésentés, comme les Tremblay et les Gagnon. Cette approche utilisant le chromosome y a donc de très bonnes chances de fonctionner, estime le professeur Milot, bien qu’elle connaîtra tout de même ses limites.

Guylaine Potvin, assassinée en 2000 à Jonquière.
Joseph James DeAngelo, un ancien policier de surcroît, a admis avoir commis 13 meurtres et des dizaines de viols. Il a été arrêté à l’âge de 73 ans, soit une quarantaine d’années après les crimes sordides, après qu’un cousin éloigné ait soumis son ADN dans une banque de généalogie publique. Photo AFP

Premier cas en 2018

Le « Golden State Killer » fut la première personne à avoir été coincée à l’aide de cette technique, en 2018, aux États-Unis.

Joseph James DeAngelo, un ancien policier de surcroît, a admis avoir commis 13 meurtres et des dizaines de viols. Il a été arrêté à l’âge de 73 ans, soit une quarantaine d’années après les crimes sordides, après qu’un cousin éloigné ait soumis son ADN dans une banque de généalogie publique.