Photos Anne Caroline Desplanques, Le Journal de montréal

Le Journal en Suède

Les civils Suédois entraînés à la résistance

Historiquement pacifistes, les Suédois craignent que la guerre qui secoue l'Ukraine frappe bientôt à leurs portes au point que de simples civiles s'entraînent maintenant à la résistance d'un bout à l'autre du pays. Le Journal est allé à leur rencontre.

STOCKHOLM, Suède – Les Suédois ont si peur d’être attaqués par la Russie depuis qu’elle bombarde l’Ukraine qu’ils s’engagent en masse dans la Garde nationale, une unité de l’armée composée de citoyens ordinaires entraînés à la résistance.

 

Images Anne-Caroline Desplanques, Le Journal de Montréal

«Avec la guerre en Ukraine, j’ai senti qu’il fallait que j’en fasse plus pour mon pays», confie Anders Lindberg, employé de la mine de fer de Kiruna, au nord du pays, et membre de la Garde civile depuis un an.

L’engouement pour la Garde nationale est tel qu’il a fallu sortir des instructeurs de la retraite pour entraîner des gens comme Anders Lindberg ou encore Loukas Christodoulou, enseignant de Stockholm, qui n’avait jamais tenu une arme de sa vie auparavant.

«Depuis que j’ai suivi mon entraînement, je ne me sépare jamais de mon stylo et de mon foulard. Comme ça, je suis capable de faire un garrot n’importe quand »,
—Loukas Christodoulou, enseignant et membre de la Garde civile

La conversation semble surréelle sous les cerisiers en fleur à la terrasse d’un café de la capitale suédoise, une ville qui n’a jamais été bombardée ou occupée et qui n’a pas connu la guerre depuis 1809. Mais la paix centenaire n’est plus garantie dans l’esprit des Suédois.

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Loukas Christodoulou, enseignant et membre de la Garde nationale de Stockholm, en Suède. Photo Anne Caroline Desplanques, Le Journal de montréal

«Toute la notion de paix éternelle à laquelle nous croyons s’est effondrée, c’est comme si le ciel nous était tombé sur la tête», indique Stefan Hedlund, expert en études russes à l’Université d'Uppsala.

Consensus politique et social

Le chercher explique qu’après 40 ans de désarmement et de démobilisation, la reconstruction de la défense suédoise coûte très cher, mais que tous les obstacles qui existaient avant la guerre se sont complètement évanouis.

 

Dépenses militaires suédoises

En proportion du produit intérieur brut (PIB)



* projection du gouvernement actuel


 Le Canada , en comparaison, consacrait 2% de son PIB à la défense en 1990 et 1,3% en 2018. Ce chiffre n'a pas bougé depuis.

Source : Banque mondiale

 

Investir en défense fait désormais consensus entre tous les partis politiques, car la prise de conscience ne touche pas que les experts, elle traverse toute les sphères de la société, souligne M.Hedmund.

«Le monde est de plus en plus dangereux, il faut se préparer»
—Jonas Nilsson, un travailleur de la santé
Photo Anne Caroline Desplanques, Le Journal de montréal

souffle Jonas Nilsson, un travailleur de la santé rencontré à Kiruna, tandis qu’il observait comment la Garde nationale, l’armée et les services d’urgence répondent à une simulation d’attaque terroriste sur sa ville.

Deux bataillons de la Garde nationale locale, dont fait partie Anders Lindberg, participaient à la simulation dans le cadre d’exercices militaires d’envergure menés dans tout le pays ce printemps.

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Simulation de bombardement sur une base de l'armée de l'air suédoise à Linköping, à 2h de train au sud de la capitale de la Suède, Stockholm. Photo Anne Caroline Desplanques, Le Journal de montréal

Entraînés à la guerre

Pour être en mesure de défendre leur pays, les membres de la Garde nationale sont entraînés aux méthodes de survie, aux premiers soins ou à utiliser une radio, mais aussi à tirer, jeter des grenades ou encore poser des mines antichars.

Après une formation initiale de deux semaines, ils suivent huit jours d’entraînement annuel pendant lesquels l’État leur verse 80% de leur salaire. Certains employeurs complètent les 20% restant pour encourager leurs employés à s’investir.

Et l'entraînement n'a rien de théorique. Le Journal a pu assister à une simulation de bombardement sur une base aérienne à Linköping, au sud du pays, qui donnait froid dans le dos tant il était réaliste.

La Garde nationale et les services d'urgence étaient appelés à soutenir l'armée pour secourir près d'une centaine de victimes. Elles gisaient hurlantes et maquillées par des professionnels du cinéma autour de véhicules évantrés dans un champ, où on disperçait des fumigènes pour donner l'illusion d'un missile.

Anders Lindberg, employé à la mine de fer de Kiruna dans l'Arctique suédois, a rejoint le corps de la Garde civile pour défendre le pays en cas d'attaque russe. Photo Anne Caroline Desplanques, Le Journal de montréal
Anders Lindberg, employé à la mine de fer de Kiruna dans l'Arctique suédois, a rejoint le corps de la Garde civile pour défendre le pays en cas d'attaque russe. Photo Anne Caroline Desplanques, Le Journal de montréal

Plus de 400 000 militaires et citoyens ordinaires, comme Loukas Christodoulou et Anders Lindberg, ont reçu leur affectation de guerre le 31 décembre. Ils peuvent être mobilisés en moins de six heures, partout au pays.

«Nous avons tous notre équipement à la maison pour être prêts à réagir à tout moment, indique Anders Lindberg, arme automatique en bandoulière. Mais, moi, mon objectif c’est qu’on soit si bon que personne n’aura envie de nous attaquer.»

 

La Garde nationale en chiffres

19000 membres avant février 2022, 23000 membres aujourd'hui. Sigle de la Hemvärnet, la garde nationale suédoise. IMAGE TWITTER
4600 candidats en moyenne de 2018 à 2021, 29 000 candidats en trois mois uniquement de janvier à mars 2022. Tous les candidats ne sont pas ultimement recutés. Ils doivent subir des vérifications de sécurité et réussir l'entraînement initial.
Source : Forces armées suédoises

 

Espionnage et sabotage

La Suède craint particulièrement des opérations de sabotages que pourrait mener Moscou sur son réseau d’hydroélectricité, de trains ou de télécommunications. C’est d’ailleurs par la simulation d’une telle opération qu’a débuté l’exercice Aurora 2023 rassemblant 25 000 soldats ce printemps.

«Dans les derniers mois des navires russes ont été surpris à surveiller les câbles sous-marins sur les côtes scandinaves et les installations énergétiques en haute mer, notamment»
—Stefan Hedlund, expert en études russes à l’Université d'Uppsala
Photo Wikimedia Commons

Dans ce contexte, la veille de notre arrivée, le 25 avril, la Suède a expulsé quatre diplomates russes soupçonnés d’espionnage. Pour M.Hedlund, les autorités suédoises avaient ces agents à l’œil depuis très longtemps, mais ont été poussées à agir pour rassurer l’opinion publique, très inquiète.

Depuis Kiruna au nord du pays, le travailleur de la santé Jonas Nilsson, n’a pas perdu une ligne de l’affaire des espions russes :

«Les Russes nous espionnent, donc je suis sûr qu’ils préparent quelque chose. Ils vont faire quelque chose en Suède, mais on ne sait pas encore quoi. C’est pour ça que c’est important d’être préparé», dit-t-il.


Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.