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Depuis le début de la pandémie

Plus de 200 jeunes ont commis l'irréparable

La détresse psychologique a fait plus de victimes chez les jeunes de moins de 25 ans que les routes en 2021

Ils étaient jeunes, avec toute la vie devant eux... Mais la société les a échappés. Plus de 200 jeunes Québécois se sont enlevé la vie depuis le début de la pandémie et ces drames surviennent même si plusieurs victimes avaient tenté d’obtenir de l’aide.

Depuis mars 2020, 213 Québécois âgés de 25 ans ou moins ont mis fin à leurs jours, a compilé Le Journal sur la base des rapports de coroner. Il s’agit même d’un décompte incomplet, puisque des dossiers d’enquête ne sont pas encore publiés. Tous les suicides font l’objet d’une investigation par le Bureau du coroner.

« C’est vraiment tragique », déplore Karine Gauthier, présidente de la Coalition des psychologues du réseau public.

Cette détresse a été encore plus mortelle que les routes au Québec. En comparaison, 87 jeunes de moins de 25 ans sont morts par suicide en 2021, soit 43 % de plus que sur la route pour la même catégorie d’âge (61 décès).

Bien que le nombre de suicides chez les jeunes soit stable ces dernières années, la détresse est manifestement en hausse, surtout depuis la pandémie de COVID-19, constatent plusieurs acteurs du milieu. Récemment, plusieurs suicides ont soulevé des lacunes dans les soins en santé mentale.

« On ne s’en va pas du tout dans la bonne direction. Il y a plus de détresse et moins de services, remarque Mme Gauthier. Les jeunes en ont besoin plus que jamais. »
— Karine Gauthier, présidente de la Coalition des psychologues du réseau public.
PHOTO FOURNIE, ARCHIVES LE JOURNAL DE MONTRÉAL

L’aide n’est pas au rendez-vous

D’ailleurs, le taux d’hospitalisation pour tentative de suicide a plus que doublé chez les adolescentes de 10 à 14 ans entre 2008 et 2019, montre un rapport de 2022 de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

« Là où le bât blesse, ce sont les services qui ne sont pas souvent au rendez-vous », se désole la pédopsychiatre Annie Loiseau, à Rimouski.

« On voit des situations qui dégénèrent dans cette attente-là », dit-elle à propos des patients, lorsqu’ils se rendent enfin à ses soins ou sont hospitalisés.

Toxicomanie, décrochage scolaire, isolement social, maladie mentale : toutes sortes de problèmes sont évoqués dans les enquêtes post mortem. Dans plusieurs cas, une rupture amoureuse récente a précédé le passage à l’acte.

Fait troublant: plus de la moitié des 213 victimes étaient connues pour des problèmes de santé mentale ou des idées suicidaires. Un grand nombre de jeunes étaient bien entourés par leur famille et leurs amis, mais ce soutien n’aura pas suffi pour éviter le geste fatal.

« On apprend à vivre avec »

« Malgré tout ce que j’ai fait, j’essaie encore de trouver ce que j’aurais pu faire de plus, confie, impuissante, Christine Lafleur, dont le fils de 23 ans s’est suicidé en 2021. Je ne m’en remettrai jamais, mais on apprend à vivre avec. »

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Selon une coroner qui a enquêté sur plusieurs suicides de jeunes récemment, la société doit clairement faire plus.

« En général, tout décès par suicide aurait pu être prévenu », croit fermement Me Julie-Kim Godin.

Dans plusieurs rapports, on peut lire que le patient s’est suicidé dans les heures ou les jours suivant un congé de l’hôpital en psychiatrie. D’autres avaient vu leur psychologue ou médecin de famille peu de temps avant le passage à l’acte. « Lors d’un suivi [...], jugeant que M. ne va pas bien, sa psychologue tente de contacter son médecin de famille. N’y parvenant pas, elle suggère à l’entourage de faire un suivi urgent avec le médecin. Quelques jours plus tard, elle apprend le décès de celui-ci », a écrit un coroner après un décès.

Encore des tabous

Par ailleurs, beaucoup de jeunes dépressifs sont encore réticents à aller chercher de l’aide. Plusieurs coroners ont fait mention de suicides imprévisibles pour les proches, qui n’ont rien vu venir.

Tous les intervenants consultés sont d’accord sur une chose : l’accès aux soins en santé mentale doit être amélioré pour éviter ces tragédies.

«Clairement, il y a du travail à faire. Si tout était fait, les gens iraient demander de l’aide, ils auraient de l’aide en temps opportun, et on éviterait les suicides», croit Me Godin.

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213 décès depuis la pandémie
Le Journal a lu et compilé les 213 rapports de coroner à propos des suicides de jeunes de 25 ans et moins au Québec, depuis le début de la pandémie, en mars 2020.
213 décès, 53 femmes et 160 hommes
35 étaient mineurs, la plus jeune victime avait 10 ans 113 des 213 victimes étaient connues pour des idées suicidaires ou avaient consulté pour des problèmes de santé mentale
Les Premières Nations sont surreprésentées dans les statistiques de suicide depuis des années, un phénomène souvent décrié. Véritable fléau, les jeunes hommes inuit sont jusqu'à 30 fois plus à risque que les non autochtones, selon Statistique Canada. 5 JEUNES AVAIENT DES TROUBLES D'IDENTITÉ DE GENRE
SOURCE: RAPPORTS DU CORONER

Le plus récent cas remonte en novembre 2022, mais d’autres s’ajouteront à la liste, en raison des délais de dépôt des rapports d’enquêtes. Par respect pour les familles endeuillées, Le Journal a choisi de ne pas nommer les gens décédés. Voici quelques extraits de rapports de coroner :

 

Plusieurs appels à l’aide sans réponse

« M. X a fait le premier pas pour se sentir mieux : il a osé demander de l’aide. Ses proches et lui-même ont sans délai consacré considérablement de temps, d’énergie et de ressources pour lui obtenir du soutien et des services. [...] Malheureusement, il semble que notre réseau de la santé, au sens large, et nos professionnels ont laissé M. X passer à travers les mailles du filet malgré les nombreuses demandes d’aide. Son décès par suicide aurait dû être évité. »

- Décès d’un jeune de 19 ans en février 2022

Des services en vacances

« La psychothérapie a éventuellement cessé avec les vacances d’été. Aucune référence à un professionnel de la santé n’a été faite et aucun plan de traitement pour traiter les symptômes psychotiques n’a été mis en place [...] Il est inquiétant de voir qu’elle a été laissée ainsi sans traitement ni soutien. »

- Décès d’une fillette de 13 ans en décembre 2021, qui avait consulté une psychothérapeute

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Psychologue abasourdi

« M. X était suivi par un psychologue depuis environ deux ans. Ses proches ont rencontré ce dernier dans les jours suivant le décès. Le psychologue était abasourdi et aurait fait état de peurs cachées et de contacts sociaux difficiles. M. X était vraisemblablement dans un état de détresse psychologique qu’il refoulait afin de protéger son entourage. »

- Décès d’un jeune homme de 21 ans en février 2022

Prise en charge priorisée...

« On avait ici un jeune homme en détresse qui, suite à une crise où il a dû être hospitalisé, s’est isolé dans sa chambre, a consommé une bonne quantité d’alcool, a tenu des propos inquiétants sur téléphone et Facebook et personne ne semble lui être venu en aide directement. » « Il est difficile de comprendre que quatre jours après son congé, alors que la prise en charge devrait être priorisée, il ne s’était encore rien passé du côté des services sociaux pour relancer et aider M. »

- Suicide d’un jeune de 25 ans en septembre 2020

Dans son état habituel

Une victime de 24 ans a vu son psychiatre le 27 janvier 2021, et s’est tuée trois jours plus tard.

« Ce dernier a évalué qu’il était dans son état habituel, c’est-à-dire atteint de dépression modérée à sévère et ayant des idées de mort passives, sans plan ni intention. » Le jeune homme avait insisté sur le fait qu’il était « en contrôle et il était opposé à une nouvelle hospitalisation. »

Un mariage arrangé

Une jeune femme de 20 ans originaire d’Inde qui avait subi un mariage arrangé dans son pays natal s’est suicidée en août 2020.

Elle vivait au Canada depuis 2018, avec un statut d’étudiante, et son mari l’avait rejointe l’année suivante. Elle n’avait aucune autre famille ni aucun réseau de soutien au Québec. Elle avait eu plusieurs conflits conjugaux avec son mari, et avait menacé de se suicider. Des textos ont révélé qu’elle « se sent seule et que son mari a été mal choisi par sa famille », a écrit le coroner.

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