Roxana
Roxana enfant
Photo Clara Loiseau / Photo d'archive fournie / Vidéo tirée de J.E.

Adoption et trafic d'enfants en Roumanie

Une Québécoise part à la recherche de sa véritable identité

Le Journal l'a suivie jusque dans son pays d'origine où elle a rencontré sa famille biologique

Une Québécoise de Châteauguay a découvert avoir été victime de trafic d'enfant en 1991 lorsqu'elle a été adoptée en Roumanie. Le Journal l'a suivie lors de son enquête pour retrouver son identité jusque dans son pays natal.

Une Québécoise adoptée en Roumanie dans les années 1990 a eu tout un choc quand elle a découvert il y a plus d’un an qu’elle avait été non seulement victime d’un trafic international d’enfants, mais aussi vendue sous l’identité d’un autre bébé.

«C’est comme si j’avais tout perdu, que je n’avais plus d’identité... En une seconde j’ai perdu mon nom et ma date de naissance. Tout ce que je pensais être depuis ma naissance est parti en fumée», laisse tomber celle qui a toujours pensé s'appeler Roxana Pamela Harrison.

Cette jeune femme de 33 ans, qui a grandi à Châteauguay, n’avait jamais souhaité chercher ses origines jusqu’en mars 2023, quand une banale discussion dans un salon d’esthétique est devenue la bougie d’allumage d’une quête identitaire.

Roxana Pamela Roumanie
Danielle Harrison et sa fille, Roxana Pamela Harrison, à Bucarest, en Roumanie en juillet 1991. Photo fournie par Roxana Pamela Harrison

«Je savais que j’avais été adoptée, mes parents m’avaient toujours dit que ça avait été une adoption super éthique, et je ne ressentais pas le besoin de savoir», confie-t-elle.

Adoption dans les années 1990

Si les parents de Roxana Pamela se sont tournés vers l’adoption, c’est parce qu’ils n’avaient pas été capables d’avoir des enfants. Ils ont d’abord tenté leur chance au Québec, mais les nombreuses années d’attente les ont découragés.

Ils entendent alors parler de l’histoire d’une femme de Vancouver qui venait d’arriver au Canada avec un bébé roumain.

Roxana Pamela Roumanie
Bucarest en janvier 2024 Photo Clara Loiseau

En moins d’une semaine, sa (future) mère adoptive, Danielle Harrison, se retrouve de l’autre côté de l’océan, à Bucarest, où elle restera environ deux semaines avant de repartir avec une petite fille joufflue aux grands yeux bleus et aux cheveux blonds.

Roxana Pamela Roumanie
Roxana Pamela Harrison lorsqu'elle n'avait que quelques mois, en Roumanie, juste avant d'être adoptée par des Québécois. Photo fournie par Roxana Pamela Harrison
Que l’enquête commence

C’est donc au détour d’une conversation entre sa meilleure amie et une esthéticienne sur le sort d’enfants roumains, plus particulièrement des Roms, victimes de trafic de personnes, que la Québécoise a commencé à réfléchir à sa propre adoption.

«On passait une soirée entre filles quand elle m’a dit ça et ça a semé une petite graine dans ma tête.»

«Quelques longues semaines plus tard, on commençait notre enquête», se remémore-t-elle.

Un test ADN et beaucoup de recherche

Le jour où elles commencent les recherches, le 19 avril 2023, sera marqué comme le début du reste de sa vie.

Roxana Pamela Roumanie
Depuis le premier jour, la meilleure amie de Roxana, Marie-Ève Brasseur, accompagne et soutient son amie, et ce, jusqu'à Bucarest lorsqu'elle est partie à la rencontre de sa famille biologique et de ses origines. Photo Clara Loiseau

Sur ses papiers roumains et ses papiers d’adoption, il est indiqué que la mère biologique de Roxana Pamela est Maria Iordache, née à Targoviste, une petite ville à environ deux heures de Bucarest.

 

Roumanie

Après avoir contacté sur Facebook une centaine de Maria Iordache qui pourraient correspondre à l’image qu’elle s’était faite de sa mère – soit une femme blonde aux yeux bleus comme elle –, elle décide de publier un texte sur un groupe Facebook de la municipalité de Targoviste.

Elle tombe ensuite sur une page destinée aux personnes adoptées qui cherchent leur famille biologique en Roumanie, The Never Forgotten Romanian Children, où elle découvre des centaines de gens dans la même situation qu’elle.

Avide d’en savoir plus sur ses origines, elle fait des tests ADN sur une plateforme numérique pour trouver des proches biologiques qui pourraient avoir aussi fait un test.

Le 6 mai 2023, un Roumain du nom d’Aurelian Mihai la contacte à la suite de sa publication dans le groupe. Il lui apprend qu’il connaît une fille qui porte le même nom, qu’elle a la même date de naissance et semble avoir la même mère.

«Il me dit qu’il veut me parler par téléphone, parce qu’il pense qu’il y a une histoire de mixed-up (mélange) international», relate-t-elle.

C’est ainsi que Roxana Pamela Harrison commence à comprendre qu’elle vit peut-être avec l’identité d’une autre personne depuis plus de 30 ans.

 

Roxana Pamela Roumanie
Le passeport roumain qui a été délivré à Roxana Pamela Harrison quelques jours avant qu'elle quitte la Roumanie pour s'envoler avec sa mère adoptive vers le Canada. Dans la section taille, à droite, on peut lire «en croissance». Photo fournie par Roxana Pamela Harrison

Montréal, 6 mai 2023

Après avoir appris que ses papiers n’étaient peut-être pas les siens, la trentenaire décide que, pour faire la lumière sur son adoption, elle doit absolument retrouver sa famille biologique.

 

«J’avais du mal à comprendre [ma situation], je pensais plutôt que quelqu’un usurpait mon identité. Pour moi, mes papiers ont toujours été les vrais», souffle Roxana Pamela Harrison.

Pour Aurelian Mihai, devenu la clef de l’énigme de cette histoire, il était impossible de laisser Roxana Pamela sans réponse.

«Je savais que ça avait un lien avec mon ex-copine»

«Elle n’avait pas pu faire ses cartes d’identité roumaines parce que le gouvernement lui disait qu’elle avait été adoptée au Canada, alors qu’elle était [en Roumanie]», se souvient le jeune homme, avec qui Le Journal s’est entretenu.

Il devient alors messager pendant plusieurs semaines entre la Québécoise et la famille de «l’autre» Roxana Pamela.

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La mère de l'avocat qui a vendu Roxana Pamela Harrison la tient dans ses bras, à Targoviste, en Roumanie, en juillet 1991. Courtoisie Roxana Pamela Harrison

Ce qu’elle a ensuite appris l’a sidérée. La mère de Roxana Pamela, Maria Iordache, avait en fait voulu vendre sa propre fille, mais avait fait volte-face au dernier moment.

«Comme les papiers étaient déjà prêts sous ce nom-là (Roxana Pamela), ils ont pris un autre enfant», explique M. Mihai.

Par le truchement de ce dernier, Mme Iordache recommande alors à la Québécoise d’arrêter de chercher sa vraie mère, qui est malheureusement décédée il y a longtemps. Son père biologique, lui, personne ne l’a vu depuis des années.

Roxana Pamela Roumanie
Roxana Pamela Harrison lorsqu'elle n'avait que quelques mois, en Roumanie, juste avant d'être adoptée par des Québécois. Photo fournie par Roxana Pamela Harrison

Impossible pour la jeune femme de suivre les «conseils» de Mme Iordache avec tout ce qu'elle sait.

«J’ai besoin de connaître la vérité», lance-t-elle, déterminée.

Découverte de sa famille

Pendant ce temps, la Québécoise reçoit les résultats de ses tests ADN qui lui révèlent qu’elle pourrait être originaire du nord de l’Inde, d'où est originaire la communauté rom.

«Quand j’ai vu que j’étais plus d’un tiers du nord de l’Inde, j’ai vraiment ri. Comment cela pourrait-il être possible, alors que je suis blonde aux yeux bleus!», s’esclaffe-t-elle.

Elle était persuadée qu’il y avait eu une erreur.

«Quand j’ai vu que j’étais plus d’un tiers du nord de l’Inde, j’ai vraiment ri.»

Mais ces résultats lui permettent surtout de découvrir que des membres de sa famille éloignée ont aussi leur ADN dans la base de données. C’est comme ça qu’elle trouve pour la première fois l’une de ses cousines, Oana Bodgan.

Une histoire de sourcils

Tout de suite, Roxana Pamela et son amie, Marie-Ève, la cherchent sur tous les réseaux sociaux et ont été capables de trouver d’autres membres de sa famille.

« On est tombées sur un homme qui avait exactement les mêmes sourcils que moi. J’ai tout de suite su qu’on avait un lien»

«On a commencé à faire des arbres généalogiques en reliant les gens sur Facebook. Et là, on est tombées sur un homme qui avait exactement les mêmes sourcils que moi. J’ai tout de suite su qu’on avait un lien», se remémore la jeune femme qui a passé des heures à comparer les photos des sourcils.

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Vasile Gheorghe Facebook

C'est en voyant cette photo sur les réseaux sociaux que Roxana Pamela Harrison s'est rendu compte qu'elle avait les mêmes sourcils que cet homme, Vasile Gheorghe, qui vit en Roumanie. Pour elle, il n'y avait aucun doute qu'ils avaient des liens, mais elle ne pouvait imaginer qu'elle avait, en fait, trouvé son père biologique.

Elle décide donc d’écrire à celui avec qui elle partage des «sourcils touffus».

Grâce au site The Never Forgotten Romanian Children, elle apprend en parallèle qu’une tante aurait reconnu sa photo publiée sur leur page quelques jours plus tôt.

C'est en publiant une annonce sur la page Facebook de The Never Forgotten Romanian Children que Roxana Pamela a tenté dans un premier temps de trouver de l'information sur sa famille, une décision qui a été payante puisqu'un homme l'a contactée afin de lui donner des informations.

 

Roxana Pamela Roumanie
Roxana Pamela Roumanie
Capture d'écran The Never Forgotten Romanian Children

Le jour même, elle rencontre alors virtuellement Sanda Câlin, la grande sœur de sa mère biologique.

«C’était très très émotif, surtout pour elle. De mon côté, j’avais encore du mal à me rendre compte de ce que je vivais», confie celle qui parle parfaitement anglais, langue dans laquelle elle communique avec sa famille retrouvée.

C’est alors qu’elle découvre qu’elle s’appelle en réalité... Adriana Câlin.

«C’était très très émotif [...] J’avais encore du mal à me rendre compte de ce que je vivais»

Le lendemain, elle rencontre, virtuellement aussi, son demi-frère, Denis Câlin, ainsi que plusieurs de ses cousines biologiques.

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Denis Câlin Photo Clara Loiseau

«C’était très étrange, parce que tous ces gens connaissaient mon existence depuis toujours, alors que moi, je les découvrais», glisse-t-elle.

Puis, quelques semaines plus tard, Roxana Pamela, parle pour la première fois avec son père biologique, Vasile Gheorge, qui sort tout juste de prison.

«C’était comme si tous les astres s’alignaient», se souvient-elle.

L’homme de 63 ans ne lui cache pas la vérité, lui expliquant qu’elle a été vendue, avec l’aide de la famille Iordache.

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L'avocat (à droite) qui a vendu Roxana Pamela sous une autre identité, avec son épouse (femme à droite) qui tient Roxana Pamela et la mère de la femme de l'avocat qui tient un autre bébé en juillet 1991 à Bucarest, en Roumanie. Photo fournie par Roxana Pamela Harrison

«Il m’a dit que j’avais été vendue pour 1000$ US (8000 Lei). Quand j’ai su ça, j’ai tout de suite décidé que je ne pourrais pas garder le nom de Roxana Pamela, que mes parents adoptifs avaient gardé en «hommage» à ma famille», explique-t-elle.

Rapidement, la petite fille de Châteauguay a décidé de partir en Roumanie pour rencontrer sa famille biologique, reprendre sa véritable identité et rendre à une pure inconnue son véritable nom.

C’est le 11 janvier 2024 que Roxana Pamela Harrison monte enfin dans un avion en direction de Bucarest. Le Journal l’a accompagnée tout au long de son voyage, alors qu’elle revenait dans ce pays d’Europe de l’Est pour la première fois depuis son adoption en 1991.

 

Roxana Pamela Roumanie
Le Palatul Parlamentului, palais du parlement roumain, construit par le dictateur Nicolae Ceausescu, est le deuxième plus grand bâtiment du monde, après le Pentagone. Il est également le symbole de la mégalomanie du dictateur, tué le 25 décembre 1989 lors de la révolution. Photo Clara Loiseau

BUCAREST, 11 Janvier 2024

Dix mois après le début de sa quête, la Québécoise met les pieds dans son pays natal pour rencontrer sa famille biologique roumaine qui la cherche depuis plus de 30 ans.

 

Elle s'émerveille en observant les passagers roumains voyageant avec elle dans l'avion et compare leurs traits avec les siens.

«C'est la première fois que je ressemble à des gens», dit-elle

«J’ai hâte de voir ma tante Sanda, mon frère, mes cousines. Mon père biologique, c’est ça que j’appréhende le plus», raconte la jeune femme de 33 ans, fébrile, après s’être installée dans l’avion.

Arrivée de Roxana à l'aéroport Vidéo J.E.

À son arrivée à Bucarest, c'est sa cousine, Roxana, et sa nièce, Theodora, qui sont venues chercher Roxana Pamela à l'aéroport. Les retrouvailles ont été beaucoup plus émotives que prévu pour Roxana lorsque les deux femmes se sont longuement prises dans les bras l'une de l'autre.

Roxana Pamela Roumanie
À son arrivée à Bucarest, c'est sa cousine, Roxana, et sa nièce, Theodora, qui sont venues chercher Roxana Pamela à l'aéroport. Les retrouvailles ont été beaucoup plus émotives que prévu pour Roxana lorsque les deux femmes se sont longuement prises dans les bras l'une de l'autre. Photo Clara Loiseau

Après des mois de conversations et d’appels virtuels, les retrouvailles sont particulièrement émotives, notamment avec sa tante Sanda Câlin. Même si les deux femmes ne parlent pas la même langue et ont besoin que quelqu’un traduise pour elles, l’amour qui les lie est palpable.

Roxana Pamela Roumanie
Roxana Pamela en compagnie de sa tante, Sanda Câlin, qui a cherché pendant près de 30 ans sa nièce qu'elle considérait comme sa fille. Photo Clara Loiseau
«J’ai beaucoup souffert, [son adoption] m’a marquée à vie. Je n’ai jamais cessé de la chercher toute ma vie», raconte la femme de 57 ans sans quitter des yeux celle qu’elle considère comme sa fille.

Les larmes aux yeux après l’avoir serrée dans ses bras, Sanda Câlin confie se sentir dorénavant complète.

«Au moins maintenant, nous sommes ensemble, je vais retrouver la paix», confie-t-elle, en serrant la main de Roxana Pamela qui lui sourit.

Plein d’émotion

C’est que Roxana Pamela Harrison, dont le vrai nom est en fait Adriana Câlin, avait été placée sous sa garde alors qu’elle n’avait que quelques semaines.

«Ma mère ne pouvait pas s’occuper de moi, alors Sanda m’avait prise comme si j’étais sa fille», explique la jeune femme.

Roxana Pamela Roumanie
Mariana Câlin se tient avec son deuxième enfant et demi-frère de Roxana Pamela, Denis Câlin, qui a aujourd'hui 29 ans. Photo fournie par Roxana Pamela Harrison

C'est avec cette photo que Roxana Pamela Harrison a découvert pour la première fois à quoi ressemblait sa mère biologique, Mariana Câlin.

Mais alors que des milliers de gens se tournaient vers la Roumanie dans l’espoir d’adopter des enfants, les parents biologiques de Roxana Pamela, Vasile Gheorghe et Mariana Câlin, décident de troquer leur jeune enfant pour se sortir de la misère et lui offrir un avenir meilleur en dehors du pays qui se relevait encore de la révolution de 1989.

C’est que Vasile et Mariana Câlin vivaient, comme la plupart des Roms, dans des conditions difficiles en plein cœur d’un ghetto de Bucarest. Leur toit n’était qu’une sorte de hutte de fortune sans accès à l’eau ni à l’électricité. Vasile Gheorghe a alors convaincu la mère de son bébé à qui il promettait, avec la famille Iordache qui s’est occupée de la transaction, des nouvelles de la petite ainsi que des photos pour la voir grandir.

Roxana Pamela Roumanie
Les trois petites maisons, sans accès à l'eau, à l'électricité ni au chauffage, où vivait la famille de Roxana Pamela Harrison dans les années 1990. La maisonnette au fond (avec le mur blanc) est celle où Roxana Pamela a vécu ses premières semaines avant d'être prise par sa tante, Sanda Câlin. Photo fournie par Oana Bogdan

Le couple a donc vendu Adriana pour qu’elle soit adoptée par des étrangers. Sanda, la tante, ne s’en est jamais remise et s’était donné pour mission de retrouver l’enfant, qu’elle pensait en Italie. Elle était même passée à la télévision locale pour lancer un appel à l’aide. La mère d'Adriana, Mariana Câlin, est, elle, décédée en 2005 d'un cancer du poumon.

Roxana Pamela Roumanie
Roxana Pamela avec son demi-frère et sa tante, Sanda Câlin Photo Clara Loiseau
«Je n’avais pas son vrai nom, alors je ne pouvais pas la trouver, la localiser», explique Mme Câlin.

Elle ne savait pas qu’Adriana avait été adoptée sous le nom de la petite voisine d’à côté, Roxana Pamela Iordache.

Toute la famille a été mise à contribution pour tenter de retrouver l’enfant à l’époque et plusieurs années après.

« Je ne sais pas combien de jeunes femmes Sanda m’a présentées en pensant l’avoir retrouvée. Mais chaque fois, c’était la déception lorsqu’elle voyait que ce n’était pas Adriana »
Denis Câlindemi-frère de Roxana Pamela, qui l'a cherchée depuis près de 20 ans
Photo Clara Loiseau

Pour lui, qui a toujours su qu’elle existait quelque part, les retrouvailles ont été un soulagement.

«C’est comme si je la connaissais depuis toujours, c’est naturel. C’est comme si elle était juste partie en vacances au Canada et qu’elle revenait à la maison», glisse le jeune homme de 29 ans visiblement ému.

Découvrir un père

Après plusieurs jours à découvrir Bucarest et de nombreux membres de sa famille du côté maternel, Roxana Pamela a rencontré son père biologique, Vasile Gheorghe.

«[Lorsqu’elle m’a contacté], j’ai été excité, parce que je ne pensais pas qu’elle était vivante», lance au Journal l’homme de 63 ans, expliquant avoir entendu que beaucoup d’enfants adoptés dans les mêmes années étaient vendus pour leurs organes.

Roxana Pamela Roumanie
Roxana Pamela Harrison a rencontré en compagnie de sa fille Kaylee, son père biologique Vasile Gheroghe Photo Clara Loiseau
« Je regrette. J’aurais aimé qu’elle grandisse à mes côtés, mais la situation était telle que ce n’était pas possible »
Vasile Gheorgepère biologique de Roxana Pamela
Photo Clara Loiseau

Même si elle a encore du mal à comprendre comment on peut envisager de vendre sa propre chair, Roxana Pamela comprend que le contexte de l’époque pouvait pousser les gens à faire des choses incompréhensibles pour survivre.

Roxana Pamela Roumanie
Roxana et son demi-frère, Denis, cherchent l'endroit où les restes du corps de leur mère ont été enterrés, dans la partie du cimetière réservée aux membres de la communauté rom, qui n'ont pas d'argent. Roxana et Denis étaient particulièrement émotifs, alors que la tombe restait introuvable dans ce terrain pas entretenu du tout où des ossements sortaient même du sol. Photo Clara Loiseau

«J’ai fait la paix avec cette facette de mon histoire. Ce n’est pas la plus jolie des vérités, mais c’est la mienne», explique-t-elle.

«Tout ce que je veux, c’est que la vraie Roxana Pamela puisse retrouver son identité, et moi, la mienne», confiait-elle au Journal

Roxana décida de se présenter dans les bureaux de l’Autorité nationale pour la protection des droits de l’enfant et l’adoption (ANPDCA), à Bucarest le 16 janvier dernier.

Roxana Pamela Roumanie
Roxana Pamela Harrison Photo Clara Loiseau

Bucarest, 16 janvier 2024

Ce que Roxana Pamela Harrison a découvert sur son adoption en mettant les pieds en Roumanie pour reprendre sa véritable identité l’a sciée en deux: son adoption a été annulée huit ans plus tôt.

 

Cette jeune femme de 33 ans espère pouvoir retrouver son vrai nom, Adriana Câlin, et sa vraie date de naissance depuis qu’elle a appris qu’elle avait été adoptée sous la mauvaise identité.

Pour des raisons de confidentialité, Le Journal n’a pas pu l’accompagner lors de sa rencontre. Mais après une vingtaine de minutes dans les locaux du gouvernement, elle apprend finalement qu’elle ne pourrait pas avoir accès à son dossier.

«Ils m’ont expliqué que Roxana Pamela Iordache a fait annuler l’adoption en 2016 en prouvant qu’elle n’avait jamais été adoptée au Canada», a lancé en colère la jeune femme, en sortant des locaux gouvernementaux.

«Les papiers ont été envoyés au gouvernement québécois et ç’a été reconnu au Québec.»

«Comment ça se fait que moi je ne le sache pas?»

Plus d’identité

Aux yeux du gouvernement roumain, il n’existe qu’une seule Roxana Pamela et elle vit en Roumanie depuis toujours et non au Canada.

«Je n’existe plus ici tant que je ne trouve pas mon attestation de naissance», laisse tomber la jeune femme, anxieuse.

Pour retrouver son identité, elle doit donc mettre la main sur son véritable certificat de naissance. C’est donc à la maternité de l’hôpital Alessandescu-Rusescu où elle a vu le jour, qu’elle s’est rendue avec sa tante et son demi-frère.

Roxana Pamela Roumanie
La maternité Alfred Rusescu, à Bucarest, où est née Roxana Pamela sous le nom d'Adriana Câlin en 1990. L'hôpital, qui est la seule maternité publique de Bucarest, en Roumanie, accueille énormément de familles de la communauté rom. Photo Clara Loiseau

Si on lui dit dans un premier temps que le document a sûrement brulé dans un incendie, un billet de 100 euros donné par sa tante à un employé va permettre de découvrir que l’important papier se trouve finalement... dans un autre service auquel il faut envoyer une demande pour l’obtenir.

Roxana Pamela Roumanie
Roxana Pamela devant la maternité Alfred Rusescu, à Bucarest, où elle est née sous le nom d'Adriana Câlin en 1990. Photo Clara Loiseau

Pour l’avocate roumaine qui représente la Québécoise, Emanuela Nan, il faut d’abord assembler toutes les pièces du puzzle.

« Ce n’est pas un cas normal. Cela ne devrait pas arriver, mais nous finirons par établir son identité et tout ira bien. »
Emanuela Nanavocate roumaine qui représente Roxana Pamela
Photo Clara Loiseau

Au moment d’écrire ses lignes, près d’un an après s’être rendue en Roumanie, la jeune femme constate que rien n’avance du côté administratif, autant du côté du Québec que de la Roumanie.

Roxana Pamela ne sait donc toujours pas si elle doit fêter son anniversaire le 20 décembre 1990, comme le pense sa tante Sanda, ou plutôt le 17 décembre, comme dit se souvenir son père biologique, plutôt que le 22 avril 1991, date inscrite sur le certificat de naissance qui n’est plus le sien.

Roxana Pamela Roumanie
Bucarest en janvier 2024 Photo Clara Loiseau

«C’est extrêmement frustrant, car personne ne semble savoir quoi faire ou même vouloir faire quelque chose. »

«La seule chose que je sais, c’est que je ne veux plus m’appeler Roxana Pamela, mais bien Adriana, comme j’aurais toujours dû l’être», laisse tomber la jeune femme.

En plus de sa propre enquête, elle espère maintenant pouvoir aider d’autres adoptés à faire la lumière sur leur propre adoption.

«Ceux qu’ils veulent connaître leur histoire devraient avoir le droit de connaître la vérité, même si elle est difficile, et je veux être là pour les aider», conclut-elle.

Roxana Pamela Roumanie
Roxana Pamela en compagnie de son demi-frère, Denis, le jeudi 18 janvier 2024 à Bucarest. Photo Clara Loiseau

 

 

Crédits

Journaliste : Clara Loiseau, avec la collaboration de Félix Séguin, du Bureau d'Enquête

Design : David Lambert

Intégration web et animations : Cécilia Defer

Directeur création éditoriale : Charles Trahan

 

 


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