Selon la présidente de la FTQ Magali Picard
L’ex-président de la FTQ-CONSTRUCTION est «un caïd»
L’ancien président de la FTQ-Construction Rénald Grondin aurait fait régner un régime de terreur pendant des années dans ce syndicat, au point où l’actuelle présidente de la FTQ, Magali Picard, ose même le comparer à un «caïd». Elle affirme dans un enregistrement que des témoins auraient eu peur de parler lors de l’enquête sur les agressions sexuelles commises par Grondin.
En 2022, Grondin a démissionné en catastrophe de son poste de président, dans la foulée de la révélation des agressions sexuelles qu’il avait commises une décennie auparavant sur une secrétaire. La FTQ-Construction (FTQ-C) a alors ordonné une enquête sur ces agressions, mais a-t-elle réellement fait toute la lumière sur cette affaire?
Au cours des derniers mois, notre Bureau d’enquête a découvert que la peur et une culture du silence auraient empêché plusieurs employés de la FTQ-C de révéler ce qu’ils savaient.
La présidente de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), Magali Picard, est la première à le reconnaître.
«Ces gens-là, qui étaient témoins, ils avaient aussi peur. De se dire: “Si je parle, ça va [sic] être mon tour. C’est moi qui vais recevoir un bloc de béton, c’est moi qui vais se faire menacer.” Pis même à l’enquête [...], cette inquiétude sur ce caïd-là était toujours présente», entend-on dire Mme Picard dans un enregistrement d’octobre 2023 que nous avons obtenu.
Nous avons aussi constaté ceci :
- Même si la FTQ-C a toujours nié avoir été au courant des agressions, l’Association des Manœuvres Inter-Provinciaux (AMI), qui lui est affiliée, a négocié pendant des années une entente de départ avec la femme que Grondin avait agressée;
- Qui plus est, c’est Grondin lui-même qui a signé l’entente de départ de sa victime, au nom de ce syndicat;
- Nous avons aussi découvert que la FTQ-C a ensuite a modifié ses règlements internes pour permettre à Grondin d’accéder à la présidence dans les années suivant ses agressions.
La «loi du silence» à la FTQ-Construction
C’est le quotidien La Presse qui avait révélé en 2022 que Rénald Grondin avait commis des agressions sexuelles lorsqu’il dirigeait le local AMI, et que cela ne l’avait nullement empêché de devenir par la suite le président du plus important syndicat québécois dans le secteur de la construction.
Un président qui était toujours craint, même après sa démission en 2022 lorsqu’une firme mandatée par la FTQ a enquêté sur ses agressions, entend-on dans l’enregistrement d’octobre 2023, lors d’une rencontre à laquelle participaient notamment Magali Picard et la victime de Rénald Grondin.
«Il y avait suffisamment de gens qui étaient au courant, qui étaient haut placés et qui étaient dans l’exécutif de la FTQ-Construction, qui étaient dans l’exécutif de l’AMI. C’est pas vrai que les gens n’étaient pas au courant», lance la victime à Magali Picard, lors de cette rencontre qui visait à revenir sur son traumatisme.
Dans son rapport rendu public en mars 2023, la firme Latitude Management avait conclu que les dirigeants de la FTQ et de la FTQ-Construction n’étaient probablement pas au courant des agressions commises par Grondin lorsque ce dernier a été nommé président.
«De lire que la vérité n’est même pas ressortie [dans le rapport], ça m’a fait mal, doublement mal. Je me suis sentie encore une fois agressée», entend-on dire la victime à ce sujet, blâmant la «loi du silence» à la FTQ-C.
«Ces gens-là, ils étaient tellement conscients de ce que tu vivais qu’ils sentaient même pas qu’ils avaient le courage de dire: “Ben oui, je le savais.” [...] C’est juste te dire à quel point ce gars-là, tout le mal qu’il a fait autour de lui», réplique alors Magali Picard à la victime.
Le président de l’AMI intimidé
Même d’autres dirigeants syndicaux semblaient craindre Grondin. Dans le même enregistrement, l’actuel directeur de l’AMI et syndicaliste de longue date Jocelyn John avoue avoir déjà eu «peur» de Grondin, qui «runnait le show». Il confie même avoir été «harcelé» et «intimidé» à trois reprises par ce dernier.
«Il y a encore pas longtemps, on était encore tous sous l'emprise de Grondin. C'est un caïd. Tout le monde shakait dans ses culottes quand il ouvrait la gueule. J'ai découvert ça, y a pas longtemps, tu comprends?», dit-il à la victime.
Personne ne parle
Ni l’AMI ni la FTQ-Construction n’ont voulu répondre à nos questions. Idem pour Rénald Grondin. Joint brièvement au téléphone, il nous a dit que cette histoire était pour lui du «passé».
Lorsque nous avons tenté de parler à des dirigeants de locaux affiliés à la FTQ-Construction, celle-ci leur a envoyé un courriel leur demandant de ne pas nous accorder d’entrevue.
Nous avons réussi à joindre la victime de Rénald Grondin, qui n’a pas voulu commenter le dossier. Elle nous a demandé de taire son nom, par crainte de représailles, affirmant avoir déjà reçu un bloc de béton sur le pare-brise de son véhicule après avoir dénoncé les agressions en 2010.
Début du harcèlement de Rénald Grondin, alors président de l’Association des Manœuvres Inter-Provinciaux (AMI), envers une secrétaire.
La victime quitte son travail. Un rapport médical fait état d’agressions et de harcèlement.
La Commission des lésions professionnelles reconnaît que la victime a subi une lésion en lien avec les agressions répétées de son supérieur, Rénald Grondin.
L’avocat de l’AMI fait une proposition à la victime pour qu’elle démissionne de son poste.
L’AMI conclut une entente avec la victime. C’est Rénald Grondin lui-même qui signe la quittance.
Grondin est nommé président par intérim de la FTQ-Construction. Il participe pour la première fois au Souper des bâtisseurs, une soirée-bénéfice pour un organisme qui lutte notamment contre l’exploitation sexuelle des jeunes.
Lors du congrès annuel de la FTQ-Construction, des règlements sont modifiés et Grondin est nommé officiellement président.
La Presse révèle le passé d’agresseur de Grondin et ce dernier démissionne. La firme Latitude Management est embauchée pour faire enquête après une motion unanime adoptée à cet effet à l’Assemblée nationale.
- Mars: La firme rend son rapport qui affirme que la preuve ne démontre pas de «façon prépondérante» que les dirigeants de la FTQ-C étaient au courant des agressions au moment de nommer Grondin président en 2018;
- Juin et octobre: Magali Picard et d’autres dirigeants de la FTQ-Construction rencontrent la victime. Mme Picard reconnaît que Grondin était un «caïd».
Vous avez des informations à nous communiquer à propos de cette histoire? N'hésitez pas à écrire directement à notre journaliste sarah-maude.lefebvre@quebecormedia.com
