Photos Pierre-Paul Poulin, Joël Lemay et photos d'archives
«Les tueurs devraient être nerveux»
Plusieurs «cold cases» ont récemment été résolus grâce aux technologies de l’ADN... et il ne s’agit que de la pointe de l’iceberg de tout ce qui s’en vient
Alors que l’année 2025 a été la meilleure pour résoudre de vieux meurtres, les tueurs n’ont qu’à bien se tenir: les policiers ont bon espoir de voir le nombre d’homicides élucidés augmenter drastiquement dans les prochaines années, notamment grâce aux avancées de la science. Le Journal vous présente un tour d’horizon des nouvelles techniques d’enquête et plusieurs témoignages de familles qui s’accrochent à l’espoir de savoir enfin qui a tué un de leurs proches.
Jamais autant de meurtres traînant dans les cartons des escouades des crimes non résolus ont finalement été solutionnés que cette année et les tueurs ayant réussi jusqu’ici à échapper à la justice devraient craindre d’être démasqués: grâce aux nouvelles technologies d’ADN, d’autres cold cases risquent d’être élucidés, et ce, très prochainement, avertissent les autorités.
« Les dossiers [résolus] qu’on a vus dans les médias, ce n’est que la pointe de l’iceberg de tout ce qui s’en vient »
– Nicolas Tremblay, biologiste judiciaire au Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale (LSJML)
Photo Agence QMI, JOËL LEMAY
Les scientifiques qui y travaillent ont été plus que jamais sollicités par les escouades de policiers attitrées aux affaires non résolues afin de replonger dans de vieux meurtres sordides qui avaient indigné la province.
Une année record
Et les résultats en ont surpris plus d’un: en 2025, les enquêteurs d’un peu partout au Québec ont pu résoudre au moins six cold cases. Quatre d’entre eux ont connu un dénouement en l’espace d’à peine un mois, dont celui de Valérie Leblanc, à Gatineau, et de Catherine Daviau, à Montréal.
«Depuis la création de l’escouade des crimes non résolus en 2004 à la Sûreté du Québec, c’est la meilleure année», affirme le lieutenant par intérim Éric Bolduc, qui est à la tête de cette équipe.
Éric Bolduc, policier responsable de l’escouade des crimes non résolus à la Sûreté du Québec.
Photo Pierre-Paul Poulin
Cette escouade se contentait auparavant de résoudre un ou deux meurtres par année. Parfois même aucun.
Depuis quelques années, les autorités peuvent compter sur de nouvelles technologies pour relancer des enquêtes qui stagnaient. Ces avancées dans le domaine de la biologie judiciaire permettent de tirer profit de l’ADN laissé par des suspects sur des scènes de crime.
«Ce n’est pas juste une belle promesse, on obtient vraiment des résultats concrets quand on travaille certaines affaires non résolues», s’enthousiasme M. Tremblay.
« C’est sûr que ça va plus vite. On se concentre sur quelque chose qui va nous amener inévitablement un résultat »
– Sophie Tougas, capitaine des crimes majeurs de la police de Longueuil
Photo Agence QMI, JOËL LEMAY
Il faut se souvenir que même dans les années 1990, les tests d’ADN étaient encore peu efficaces pour retrouver des criminels.
Une révolution
Mais dernièrement, la généalogie génétique est venue révolutionner le domaine, explique le biologiste Nicolas Tremblay.
Cela consiste à comparer l’ADN retrouvé sur une scène de crime à celui d’individus qui l’ont volontairement versé sur des sites internet de généalogie, curieux de retracer leurs origines.
Des biologistes travaillent sur l’analyse d’ADN au laboratoire judiciaire Othram, au Texas.
PHOTO FOURNIE PAR OTHRAM
Cette méthode n’identifie pas directement un suspect, mais plutôt des parents éloignés, permettant ainsi de donner de nouvelles pistes à explorer aux enquêteurs.
«C’est un outil puissant très précieux. Nous pouvons littéralement fournir des noms. Je ne peux vous dire combien de fois la police avait une liste initiale de suspects et en recevant notre rapport, ils y reconnaissent un nom», raconte Michael Vogen, directeur des services pour les forces de l’ordre chez Othram.
Ce laboratoire judiciaire du Texas, qui collabore avec des corps policiers même au Canada, concède que cette technologie est fastidieuse. Mais les dirigeants espèrent qu’un jour la généalogie génétique sera plus facile d’accès et pourra même devenir un outil quotidien pour les enquêtes policières, et ce, partout dans le monde.
Des biologistes en plein analyse d'ADN au laboratoire judiciaire Othram, au Texas.
PHOTO FOURNIE PAR OTHRAM
Au Québec, le premier meurtre à avoir été élucidé grâce à ces avancées de la science est celui de Sharron Prior, survenu en 1975 (voir encadré). Comme dans d'autres dossiers, le suspect était décédé, mais ce dénouement a permis aux proches de boucler la boucle.
Un vent d’espoir
Ces percées scientifiques ravivent surtout l’espoir de familles qui, depuis des décennies, attendent qu’on mette la main sur le tueur d’un de leurs proches.
«Il y a des meurtriers qui devraient être nerveux», laisse tomber Éric Bolduc.
«Ceux qui ont commis des crimes graves et qui pensaient s’en être sauvé et que l’enquête était sur une tablette, ce n’est pas le cas. S’il y a de la preuve ADN, la police pourrait bientôt venir cogner à votre porte», ajoute à son tour Nicolas Tremblay.
En haut, de gauche à droite, les victimes Catherine Daviau, Sharron Prior et Valérie Leblanc. En bas, de gauche à droite, Marie-Chantale Desjardins, Guylaine Potvin et Adrien Allard. Photos d’archives
Récemment résolus au Québec
Un nombre record de cold cases qui ont horrifié le Québec ont été résolus dans les dernières années, un phénomène qui se multipliera sans aucun doute prochainement grâce aux nouvelles technologies. En voici quelques-uns :
Valérie Leblanc Octobre 2025
Valérie Leblanc.
Photo courtoisie
À la rentrée scolaire en août 2011, l’étudiante de 18 ans est retrouvée morte dans un boisé derrière le cégep de l’Outaouais. Pendant 14 ans, son meurtre crapuleux est resté un mystère jusqu’à ce que la police de Gatineau passe les menottes à Stéphane Rivard. Le Gatinois de 51 ans n’a aucun antécédent judiciaire. Considérant les procédures judiciaires à venir, les autorités ont simplement dit avoir pu procéder à son arrestation «grâce à l’évolution des techniques d’enquête».
Catherine Daviau Septembre 2025
Catherine Daviau.
PHOTO FOURNIE PAR LE SPVM
En décembre 2008, la Montréalaise de 26 ans s’est fait violer et a brutalement été assassinée dans son appartement du quartier Rosemont. Les policiers détenaient de l’ADN, mais ils ont nagé en plein mystère pendant 17 ans, incapables de trouver le responsable. Un profileur criminel avait même analysé le dossier pour tenter de brosser un portrait du suspect.
Puis, grâce à la généalogie génétique, la police de Montréal a finalement pu identifier le meurtrier l’automne dernier. Il s’agit du criminel de carrière Jacques Bolduc, décédé en 2021 dans un pénitencier.
Adrien Allard Septembre 2025
Adrien Allard.
Photo fournie par la SQ
Par un soir de février 1979, Adrien Allard a été tué lors d’un cambriolage qui a mal viré. Les deux suspects, qui portaient des vêtements de motoneige, se sont présentés chez Adrien Allard et son frère. Denis Desrosiers vient d’être accusé d’homicide involontaire, près d’un demi-siècle plus tard. Il aurait été trahi par de la preuve ADN. Les autorités auraient utilisé l’outil Patronyme pour faire débloquer l’enquête.
Marie-Chantale Desjardins Décembre 2023
Marie-Chantale Desjardins.
Photo d’archives
En 1994, la dépouille de la fillette de 10 ans a été découverte quatre jours après sa disparition, dans un boisé de Rosemère. Il a fallu près de 30 ans avant que les autorités puissent finalement accuser Réal Courtemanche. L’homme a été dans la mire des policiers pendant 15 ans, mais il a finalement été trahi par son ADN, détecté grâce aux avancées de la science. Le criminel de carrière a récemment été condamné à la prison à vie.
Sharron Prior Mai 2023
Sharron Prior.
Photo d’archives, Le Journal de Montréal
En 1975, l’adolescente de 16 ans a été retrouvée sans vie dans un champ de Longueuil. Sans piste concrète pendant 48 ans, les autorités ont finalement recouru à deux techniques innovantes, soit la généalogie génétique et l’outil PatronYme, pour faire avancer l’enquête.
Et ils ont pu remonter jusqu’à Franklin Maywood Romine, un Américain qui avait déjà habité à Montréal. Il était toutefois décédé depuis 1982.
«Quand on a appris le nom du meurtrier, on a eu une énorme satisfaction. On a surtout pu informer la famille, qui attendait cette réponse», se souvient la capitaine des crimes majeurs au Service de police de l’agglomération de Longueuil, Sophie Tougas.
Les enquêteurs se sont même rendus en Virginie-Occidentale, aux États-Unis, pour déterrer la dépouille de Romine et ainsi confirmer à 100% qu’il était le tueur.
Guylaine Potvin Octobre 2022
Guylaine Potvin. Photo fournie par CHANTALE POTVIN, tirée du site web guylainepotvin.ca
En 2000, l’étudiante au Cégep de Jonquière, âgée de 19 ans, a été agressée sexuellement et tuée dans son appartement. De l’ADN masculin a été retrouvé, mais l’identité du suspect est demeurée inconnue pendant deux décennies.
L’avancée des techniques de généalogie judiciaire a permis de cibler un patronyme et ainsi refermer l’étau sur un certain Marc-André Grenon. Il a depuis été condamné à la prison à vie.
Ce cas est le premier à avoir passé le test des tribunaux avec PatronYme, un outil inédit du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale.
Meurtres non résolus
POURSUIVEZ VOTRE LECTURE
Vous avez des informations à nous communiquer à propos de ce cas ou vous voulez nous partager une histoire? N'hésitez pas à écrire directement à notre journaliste Valérie Gonthier à l'adresse valerie.gonthier@quebecormedia.com
Crédits
Recherche et rédaction : Erika Aubin et Valérie Gonthier