Pour les besoins de l’émission J.E, notre Bureau d’enquête a pu suivre le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) dans sa lutte contre la violence armée engendrée par la guerre des stupéfiants ainsi que dans sa traque pour retrouver l’un des principaux responsables de ce conflit, le caïd Dave «Pic» Turmel.
«Merci d’être arrivés de bonne heure à matin. 4h, c’est de bonne heure...» Nous sommes le 29 janvier dernier, à Saint-Augustin-de-Desmaures, en banlieue ouest de la Capitale-Nationale.
Les membres du Groupe tactique d’intervention (GTI) de la police de Québec écoutent les directives de leur supérieur, alors qu’ils se préparent à mener une opération antidrogue potentiellement dangereuse.
La seule vue de ces policiers, vêtus en tenue de combat, avec leur casque, leur arme d’assaut et leur veste pare-balles, impressionne.
La maison visée, sur la rue Lanaudière, se trouve dans un quartier résidentiel aisé. C’est un endroit pratique pour dissimuler ses activités illicites, devait croire le suspect.
Pourtant, il n’a pas passé inaperçu et s’est fait dénoncer aux autorités.
«Y’a de la vente de drogue à cette adresse-là, beaucoup de va-et-vient. Ça dérange le voisinage», déclare l’officier à ses troupes lors du breffage.
Le suspect est vraisemblablement armé. Les policiers savent que leur frappe n’est pas sans risque.
Plus tard, nous apprendrons que la cible est un trafiquant associé au BFM, le gang du caïd en cavale Dave «Pic» Turmel, qui fait la guerre aux Hells Angels depuis près de deux ans pour leur disputer le contrôle du marché des stupéfiants dans la région.
Une personne parmi les proches du trafiquant visé a été assassinée il y a un mois à la suite d’une erreur sur la personne.
«Ils s’installent où ils peuvent se dissimuler, à travers la population. Et leurs actes de violence se passent là où ils sont, parmi les citoyens. C’est pourquoi on est toujours pressés d’intervenir sur des individus comme ça», nous expliquera le capitaine Martin Soucy, coordonnateur de la lutte à la violence urbaine du SPVQ.
Des cas de violence armée, on en compte par dizaines dans la région de Québec depuis deux ans. Et encore très récemment.
Comme ce jeune homme, aussi victime d’une erreur sur la personne, qui a été sauvagement battu à coups de marteau devant ses parents lors d’une violation de domicile liée au conflit des stupéfiants durant la nuit du 16 mars à Lévis.
«Je comprends pas, là! a dit sa mère, encore secouée, à notre Bureau d’enquête. Ils n’avaient pas de raison de lui faire ça.»
Deux jours plus tard, notre équipe est allée rencontrer l’un des nombreux individus qui se sont retrouvés dans la mire du BFM.
Pierre Bernier est un ex-membre des motards Red Devils, comme son fils Guillaume. Leur maison a déjà été la cible de coups de feu. Les policiers les ont prévenus que leur vie était «en danger».
Mais, lors de notre visite, Bernier a minimisé l’affaire.
«J’ai pris ma retraite, j’ai jamais eu de menaces», nous a-t-il affirmé.
Le surlendemain, sa maison a été détruite par des incendiaires.
«Tout le monde est prêt?» demande l’officier du GTI juste avant le raid chez le trafiquant.
Ses troupiers acquiescent aussitôt et lèvent tous un pouce en l’air avant de se diriger vers leur véhicule.
L’opération est réglée au quart de tour. Chacun a répété le rôle qu’on lui a confié.
«Quand on va rentrer dans la rue, on veut être le plus discrets possible. On ferme toutes nos lumières. On ne veut pas attirer l’attention», nous dit l’un des membres du GTI, avant que le cortège aille s’immobiliser près de l’adresse ciblée, dans l’obscurité totale.
Les policiers prennent position. Le leader de l’opération fait le décompte: «3, 2, 1... Go!»
La frappe est assourdissante, mais d’une efficacité chirurgicale. La porte d’entrée est forcée, des fenêtres du sous-sol sont fracassées, les membres de l’escouade d’élite assiègent les lieux en criant «Police!».
À peine quelques secondes plus tard, le suspect se fait passer les menottes aux poignets. Visiblement sidéré, il réalise qu’il ne s’agit pas d’un mauvais rêve.
Le 29 février 2024, ils ont investi un hôtel à Lisbonne en croyant mettre la main au collet d’un jeune caïd canadien et de son garde du corps, tous deux recherchés depuis l’été 2023.
Ils ont capturé le second, Roobens Denis, mais le premier avait filé avant leur arrivée.
Selon nos informations, la cavale de Dave «Pic» Turmel l’a d’abord amené à Paris, quelque part en 2022. On l’a ensuite vu en Espagne, au Portugal et en Allemagne.
Celui qu’on surnomme «Pic» depuis qu’il a poignardé deux personnes durant la nuit où il fêtait ses 18 ans, à Lévis, s’est d’ailleurs fait une copine d’origine allemande durant sa fuite à l’étranger.
Elle l’aurait accompagné dans plusieurs de ses déplacements ailleurs en Europe. Jusqu’à Rome, en Italie.
Le 18 mars dernier, le sergent détective Laurent Gaudreault, à qui le SPVQ a confié le mandat de traquer des fugitifs à l’étranger, nous réitérait que l’arrestation de Turmel était «une priorité absolue». Mais on sait que Turmel vit sous un autre nom.
Mais 11 jours plus tard, la traque de Turmel a finalement pris fin. Les policiers italiens l’ont épinglé lors d’un raid mené dans un logement de type Airbnb à Rome, vers minuit, dans la nuit du 27 mars.
Le fugitif de 28 ans vivait sous le nom d’emprunt Sébastien Ménard Dumas, tel que constaté sur un faux passeport.
«Il y a des centaines de policiers qui ont été impliqués de près ou de loin dans la recherche de ce fugitif-là depuis plus de deux ans. On a eu des centaines d’informations par rapport à ses localisations un peu partout dans le monde», nous a précisé l’enquêteur Gaudreault quatre jours après l’arrestation de «Pic».
«Ce que nous voulons avec cette nouvelle stratégie, c’est déstabiliser [les gangs], pour qu’ils se disent: “Québec, on ne veut pas aller là.”» selon le directeur adjoint aux enquêtes du SPVQ, Gaétan Marcotte.
Ça commence à l’école, où des jeunes sont «attirés par la violence» et l’argent facile généré par le trafic de drogue, a constaté le capitaine Soucy.
«Je crois vraiment que ça peut être efficace», a-t-il avancé, ajoutant que les parents ont aussi un rôle à jouer.
Notre équipe a aussi assisté à des «rencontres préventives», au cours desquelles le SPVQ a servi de sérieuses mises en garde à des jeunes pris en défaut pour des crimes violents.
«Si tu commets une infraction, on va s’assurer de t’amener en justice. Comprends-tu? On n’en veut plus, de violence armée. C’est non», se fait dire l’un de ces jeunes par un policier.
Mais l’ado et sa mère réagissent en riant...
«Tu devrais pas trouver ça drôle», répond aussitôt le policier à l’ado avant de servir le même avertissement à sa mère.